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LIENS UTILES
www.decroissance.org
www.casseursdepub.org
www.paul-aries.fr
www.anti.pub.fr

LIVRES
Paul Ariès, Décroissance ou barbarie, Lyon, Golias, 2006.
Paul Ariès, Misère du sarkozysme, Lyon, Parangon, 2006.
Paul Ariès, Le mésusage, essai sur l’hypercapitalisme, Lyon, Parangon, 2007.
Paul Ariès, Putain de ta marque, Lyon, Golias, 2003.
Georges Balandier, Le grand système, Paris, Fayard, 2001.
Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La sorcellerie capitaliste, Paris, La découverte, 2005.
Dany Robert-Duffour, L’art de réduire les têtes, Paris, Denöel, 2003.
François Brune, De l’idéologie aujourd’hui, Lyon, Parangon, 2003.
Journal La décroissance


 
Gratuité de l'usage, renchérissement du mésusage
par Paul Ariès*

 
Les peuples ont longtemps été bercés par les mirages d’une révolution globale au nom de laquelle ils n’ont cessé de remettre au lendemain du « Grand Soir » la transformation concrète de leur mode de vie. Si on ne croit plus en la possibilité d’une société plus fraternelle, le SMIG à 1500 euros reste une revendication confortable et juste socialement. Comment pourrait-on renvoyer dos à dos exploités et exploiteurs sous prétexte que les revendications des premiers seraient mal ficelées. J’entends bien que le corporatisme entretient le système mais entre le « toujours plus » des patrons et celui des smicards comment hésiter ? Les objecteurs de croissance ne vont tout de même pas défiler contre ces « salauds de pauvres » qui osent revendiquer alors que la maison brûle. Ce serait ne pas voir que la défaite historique du mouvement socialiste est peut être l’occasion inespérée de redécouvrir d’autres façons d’en finir avec ce monde d’oppressions.
L’expérience des petits matins blêmes empêche de croire encore à cette révolution par décret et sans rien toucher à nos façons de vivre. Le plus grand échec du socialisme existant est de s’être donné pour objectif de rattraper le niveau de vie (donc le genre de vie) des Etats-Unis, comme s’il pouvait y avoir une façon socialiste de consommer : il n’y aura pas davantage de société de consommation décroissante.

Nos anciens ont souvent hésité entre plusieurs chemins de révolte. Ils auraient pu choisir Proudhon contre Marx ou Charles Gide et le coopératisme contre Georges Sorel et le syndicalisme révolutionnaire. Il est possible que ces choix eussent été beaucoup plus funestes. Raison de plus pour ne pas déserter et reprendre sans fin l’ouvrage. Ne faut-il pas avant tout écouter ce flot de questionnements qui commence par balayer pas mal de nos confortables certitudes ?
La crise de la représentation politique et la fin de la centralité du travail rendent de nouveau légitimes de nouveaux objets sociaux. Beaucoup ne sont pas si neufs et se disent avec des mots anciens. D’autres sont des échos aux transformations actuelles du capitalisme. On ne change pas un monde sans théorie c’est pourquoi nous devons produire collectivement une nouvelle pensée à la hauteur des enjeux et capable de s’opposer frontalement à la révolution conservatrice.

Les objecteurs de croissance proposent une autre lecture de l’hyper-capitalisme fondée sur les concepts de démesure, de dé-différenciation, de vénalisation du marchand mais aussi du mésusage. Comment pourrait-on combattre la société de consommation et ne pas opter pour un mode de vie plus frugal pour être plus juste socialement ? Comment anticiper sur une autre société si nous ne favorisons pas la simplicité volontaire et expérimentations collectives ?
Ne perdons pas de vue que ces dynamiques ne permettront pas cependant de rompre d’avec le capitalisme que si nous passons de la figure du consommateur à celles de l’usager et du citoyen.

L’usager contre le consommateur

Redevenir usager suppose une révolution culturelle et économique. La meilleure façon d’y parvenir est de combattre le mésusage par le refus du jetable, du tout-fait, de l’éphémérisation des produits par la mode et le progrès technologique, des low-cost, de la grande distribution, des produits « hors-sol » et désaisonnalisés, de la publicité notamment à l’école, de l’extension du marchand et de sa vénalisation, etc. L’Espagne prouve avec sa réglementation qui interdit les mannequins anorexiques qu’il est possible de combattre la mise en échec des femmes réelles et l’exploitation commerciale de la souffrance. Nous devons aussi nous réapproprier la maîtrise de nos usages (individuellement et collectivement) par la réinvention de cultures de l’usage (celle du mangeur, du voyageur, du lecteur, etc.) contre celles du mésusage (consommateurs d’aliments, de tourisme, de sexe, de modes, etc.). Une nouvelle législation y aidera : elle est simple en ce qui concerne les éco-taxes mais pourquoi ne pas envisager la limitation du système des franchises lié à la globalisation ?

Le citoyen contre le consommateur


Le consommateur s’oppose dans le champ privé à l’usager. Deux terrains s’ouvrent à l’ex-consommateur dans le champ public.
1) Arracher en tant que citoyen une nouvelle hiérarchie des normes juridiques qui fasse primer le droit des personnes sur celui des consommateurs, marchands, fabricants et autres publicitaires. Le droit de produire des biens inutiles doit être subordonné à la satisfaction préalable des besoins fondamentaux et authentiques des personnes. Le droit de faire de la publicité est sans doute légitime mais doit être subordonné à celui des personnes à être protégée de toute agression. Interdisons donc la publicité sauf dans quelques espaces.
Rendons la terre à son usage en combattant le retour de la rente foncière (notamment par la distribution des trois millions d’hectares de terres incultes et des deux millions de logements vides).
2) Se refuser comme consommateur de la même façon que le producteur se refuse en tant que salarié en cessant son travail. Pourquoi ne pas envisager une grève générale de la consommation conçue comme un mouvement social avec des revendications opposées au pouvoir économique et politique ? Elle peut être l’occasion de faire avancer la société vers l’abolition de « la domination des uns sur les autres et de tous sur la planète ». Elle doit prendre appui sur ce qui constitue l’Interdit majeur de l’hyper-capitalisme mais qui ne cesse de suinter par toutes ces fissures : la (quasi)gratuité. Cette extension de la sphère de la gratuité n’ira pas sans culture de la gratuité mais aussi sans contre-partie ontologique : la gratuité de l’usage ne peut aller sans renchérissement du mésusage tout comme l’allocation universelle inconditionnelle au niveau du SMIC exige l’adoption d’un revenu maximum d’activité. Pourquoi devrait-on payer le même prix le mètre cube d’eau pour le ménage (usage) et pour sa piscine (mésusage) ? Pourquoi surtaxer uniformément le prix du pétrole ce qui aboutirait à pénaliser encore les milieux populaires et ne pas opter pour un système de prix variables selon la quantité consommée ou l’usage ? Pourquoi payer les mêmes impôts fonciers pour une résidence principale et pour une maison de campagne ?
Ce raisonnement vaut pour l’ensemble des biens communs existants et pour ceux que les citoyens feront reconnaître comme tels.

« Gratuité de l’usage, renchérissement du mésusage » : voilà qui aiderait à renouveler la pensée d’une « gauche » exsangue et permettrait de marier le « rouge » et le « vert » par un retour au politique. Voilà aussi de quoi renouveler les formes de notre combat.
Paul Ariès*

* Politologue et enseigne à l’université Lyon II, militant anti-pub et objecteur de croissance, membre du collectif Casseurs de pub.