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>> Politique internationale et enjeux planétaires >> Quelle place dans le paysage international pour l’Europe et la France ? >> Pousser les frontières et penser un espace euro-méditerranéen comme future force géopolitique Pour une politique pratique euro-méditerranéenne par Ghislaine Glasson Deschaumes* Voici dix ans, l’espace euro-méditerranéen a été identifié par l’Union européenne (UE) comme une zone géopolitique prioritaire et fondamentale. Construit sur la réalité géographique d’une mer en partage, où les strates de circulations et d’interactions (pacifiques ou conflictuelles) sont innombrables, le Partenariat euromed a donc réuni depuis 1995 les Etats membres de l’UE et les pays du pourtour méditerranéen, y compris la Turquie et Israël. Créé dans le contexte des espoirs de paix au Proche-Orient, ce Processus semblait répondre à un besoin essentiel : vivre ensemble en paix, construire des liens tels qu’ils contribueraient à la prospérité de la région. Sur le plan économique, les bilans font apparaître certes des avancées, mais aussi un creusement de l’écart de richesse entre les deux rives. Sur les plans politique et culturel, trop peu a été fait. En dépit de leurs engagements dans le Partenariat, des régimes dictatoriaux ou autoritaires ont maintenu les processus de démocratisation sous le boisseau, marginalisé la société civile, misé sur les discours identitaires religieux et/ou nationalistes. Le durcissement ubuesque des politiques européennes de visa a progressivement détourné les étudiants, intellectuels, artistes, scientifiques, militants du Sud, discréditant l’intention d’échange initiale, tandis que les migrants s’échouaient de plus en plus nombreux sur les rives européennes. L’échec des Accords d’Oslo au Proche-Orient et l’aggravation terrible de la situation en Palestine/Israël, les décisions européennes de sanction sur l’aide aux Palestiniens, l’impact de la destruction du Liban rendent toute synergie régionale improbable. Deux éléments nouveaux interfèrent désormais. D’une part, les Etats-Unis sont maintenant un acteur à part entière dans la région (accords de libre-échange bilatéraux, bases militaires, aide à la « démocratie »). D’autre part, les frontières provisoires de l’UE ont été repoussées vers l’Est et vers le Sud, et les institutions ont été amenées à concevoir une « politique européenne de voisinage » (PEV) fondée sur le contrat bilatéral avec chacun des « nouveaux voisins ». Prenant acte de leurs différences d’évolution économique, politique, sociale, elle propose aux pays qui le souhaitent une coopération « sur mesure ». De facto, cette politique est construite sur une stratégie d’empire [1]. Les marches de l’Europe doivent être « sécurisées » et il appartient aux « voisins » de bien garder leurs frontières, de se réformer et de libéraliser leur marché – la contrepartie étant un soutien institutionnel et financier de l’UE [2]. Cette politique « extérieure » est étroitement articulée à la politique intérieure de l’UE, notamment en matière de contrôle des flux migratoires. L’UE édicte les normes du contrat et se projette comme centre rayonnant en cercles concentriques vers son extérieur, figurant un espace géopolitique bien différent dans sa conception de celui du Partenariat, multilatéral et marqué par la vision régionale d’un destin commun. Le discours institutionnel européen fait valoir que la PEV renforcera le Partenariat euromed. Mais il faut bien plus à celui-ci pour se renforcer ! Les différences et les différents sont réels, qu’ils concernent les rapports entre religion et société, les modes de démocratisation, de citoyenneté ou ceux du vivre ensemble, les enjeux de la paix en Palestine/Israël. Ils sont exacerbés par les extrémismes, démultipliés par les médias de masse. Les différents géostratégiques entre Etats membres de l’UE sur l’Euromed sont amplifiés par les expériences divergentes de la colonisation, de la Guerre froide, de l’immigration du Sud. Entre les pays du Sud, les différents ont été accrus par l’échec du panarabisme, les expériences historiques divergentes du socialisme d’Etat, les rapports de plus ou moins grande proximité conflictuelle avec Israël, les inégalités de ressources naturelles et de richesses. Et dans chacune des sociétés, d’âpres dilemmes politiques et sociaux se jouent aussi. La région euromed condense une partie des différents et problèmes complexes du monde d’aujourd’hui, et le conflit israélo-palestinien en est le paradigme. Pourtant cet espace de partenariat est fondé sur les normes communes en matière de droits humains et de droit international. C’est pourquoi une politique méditerranéenne est plus que jamais nécessaire. Elle doit permettre d’affirmer dans le monde contemporain un pôle régional d’équilibre, fondé la diversité et la négociation des différences, la transgression des frontières mentales, l’assouplissement des frontières physiques. Un courage politique est nécessaire, qui doit être collectif. Notre interdépendance doit structurer la relation politique euromed et permettre de réduire l’écart entre les valeurs et les politiques réellement menées. L’Europe doit peser sur le plan international pour créer les conditions de la paix au Proche-Orient fondée pour tous sur le même droit international. Elle doit faire valoir que les solutions de paix ne peuvent jamais être unilatérales ni au bénéfice d’un seul. Alors cette réalité régionale euro-méditerranéenne encore à l’état d’ébauche deviendra crédible. Mais il faut dans le même temps amplifier la réalité des liens. Quelques pistes : · renforcer les instances euromed existantes et développer de nouveaux cadres d’action structurants, notamment à destination des élus locaux et les collectivités territoriales ; · développer des politiques publiques concertées de renforcement et de pérennisation des échanges régionaux – et renouveler l’approche française des relations multilatérales ; · concevoir une nouvelle politique qui dédramatise la circulation des personnes (suppression des visas de court séjour) [3]; · systématiser la participation des acteurs de la sociétés civile autonome et indépendante et soutenir la contribution décisive des immigrés dans cette perspective ; · multiplier les structures communes de production et de diffusion, notamment dans le champ culturel, et favoriser leur impact ; · doter le Partenariat euromed de mécanismes réciproques et effectifs de sanctions en cas de violation des principes communs. La dynamique euroméditerranéenne est multilatérale, transversale, transnationale. Elle est tissée des emmêlements historiques, des expériences de traduction et des réalités de l’immigration. Dans l’état de non paix où nous sommes, aucun responsable politique ne peut s’offrir le luxe d’ignorer le désir de lien qui perdure. Ghislaine Glasson Deschaumes* * Directrice de la revue Transeuropéennes, vice-présidente de la Plate-forme non-gouvernementale euro-méditerranéenne. [1] Ce qui ne signifie pas pour autant que l’Europe soit un empire. [2] La PEV s’inspire du modèle des négociations d’adhésion sans pour autant y conduire. [3] Mesure que les acteurs de la société civile réclament depuis de nombreuses années dans le cadre des Forums civils euromed. Cf. le site de la Plate-forme non-gouvernementale euromed www.euromedplatform.org |
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