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Les SDF : Sortir de l’errance ?
Jamais sans les élus
par Alain Mercuel*

 
Un psychiatre de service public pour faire avancer le débat sur les SDF et l’errance ? L’idée peut sembler provocatrice dans une période sécuritaire où le projet de loi sur la délinquance autoriserait l’hospitalisation d’office par le maire de la commune sur le motif de gravité de situation sociale.
La première proposition serait donc de prendre garde à cette dérive de psychiatriser la misère car même si certains errants ont à voir avec la maladie mentale, c’est loin d’être le cas pour tous. En effet, une longue pratique de terrain conduit à constater une grande diversité de situations et une population vivant dans la grande précarité éminemment hétérogène. Certaines réponses peuvent être apportées par la psychiatrie, d’autres plus généralement par la médecine, d’autres encore par « le social ».
La seconde proposition serait en conséquence de promouvoir la diversité des réponses et ne pas se cantonner à des actions binaires telles que : héberger ou pas, hospitaliser ou pas, travailler ou pas… Que de richesse inventive, que d’expériences empiriques mises en place : du Samu social aux équipes mobiles en passant par les centres d’hébergement et de réinsertion, toutes apportent leur pierre à l’édifice. Mais quel édifice ? Une tour de Babel où chacun tente de convaincre l’autre de son bon droit, de son savoir…
La troisième proposition serait alors d’exhorter à une certaine cohérence entre les acteurs du milieu de la précarité dans lequel l’hostilité a gommé l’hospitalité. Du côté social, les structures d’aide, de soutien, d’accompagnement, etc. tentent chacune de mettre en œuvre des actions en fonction de leur histoire, leurs histoires, leur idéologie, leur valence caritative, leur appartenance au service public. Mais, hélas, elles sont de gré ou de force confrontées à une certaine forme de concurrence y compris dans la quête au financement. Du côté médical, la technicisation et la recherche d’un rapport soin/financement pervertissent toute relation thérapeutique. Lorsqu’ils se côtoient sur le terrain, ces acteurs des deux versants, médical et social, semblent se renvoyer la balle : « hébergez et on soignera » est asséné d’un côté, « soignez et on hébergera » est répété de l’autre. Comment héberger lorsque les structures restent saturées ? Comment soigner lorsque la demande faite à la médecine – et à la psychiatrie plus particulièrement – est en permanente expansion ? L’une des réponses passe par la reconnaissance mutuelle des capacités de chacun à aider l’autre à surnager à défaut de se réinsérer… L’image des « naufragés » a marqué les esprits et dans ce sens l’aide apportée est une aide à flotter, dans une fonction de bouée sociale, nécessitant plusieurs logiques :
- une proximité des intervenants et des interventions. Et pour intervenir, « venir entre », aller à la rencontre des SDF en souffrance car on ne peut rester loin ;
- un réseau qui implique que les partenaires soient non seulement écoutés mais entendus au sens d’un soutien et d’un financement et non pas exhibés à des fins politiques ou de simple effet de vitrine de la part des institutions ;
- une fonction bien définie des acteurs tant sanitaires que sociaux et également celle de leurs coordinations permettant de savoir qui fait quoi, comment, avec qui et surtout ne pas déborder de sa fonction, au risque de couler soi-même ;
- un libre choix aidé et accompagné afin que la personne soutenue garde une part active dans ce soutien vers une étape ou une situation « elle te plait pas ma bouée, accroche-toi quand même le temps d’en trouver une autre » – une permanence du lien : à quoi servirait une bouée qui se dégonfle ? C’est cette permanence du lien qui semble primordiale. Ne pas se dégonfler même si les autres assènent « cela ne sert à rien, ce que tu fais », « c’est pas ton rôle… ».
Quatrième proposition, pour faire écho à cette permanence du lien : l’aide proposée devrait s’élargir à une logique de prévention de rupture de liens avant, pendant et après l’errance. Ces trois temps se superposent et s’intriquent souvent mais ils représentent des moments privilégiés au cours desquels des actions peuvent être mises en œuvre.
Avant l’errance : repérage et prévention des situations de précarité de logement voire des expulsions, des dégradations des conditions de travail, des difficulté de socialisation des enfants, des replis et désinvestissements de soi, des ruptures de soins, etc. Les Groupes d’Entraide Mutuelle, les Services d’Accompagnement à la Vie Sociale, les Groupes d’Education, les Conseils Locaux de Santé Mentale, les Ateliers Santé-Ville et bien d’autres outils existants et performants sont autant de moyens de prévention et pourquoi pas de facilitation au développement des logements sociaux. Dans la majorité des communes, pourquoi ne pas imposer de rattraper au cours d’un plan quinquennal par exemple, le retard pris quant à l’attribution de logements sociaux.
Pendant l’errance : le respect de la diversité de l’offre. Des permanences, des points écoute, des lieux d’accueil et de soins pour les malades permettent aux usagers qui le souhaitent de s’exprimer, qu’il s’agisse d’écoute individuelle ou en groupe. Leur finalité serait de reconstruire du lien social et d’accompagner les personnes dans leurs projets non seulement par un soutien des actions mais également par un accompagnement physique et ce, grâce à des personnes formées à la relation telles que les aides médico-psychologiques par exemple.
Après l’errance : la conservation du trépied de stabilité « santé, logement, activité » pour une autonomie choisie. La continuité des soins serait assurée grâce aux réseaux de santé impliquant les médecins généralistes. Le passage de l’hébergement au logement suppose un soutien individualisé de la personne. Loger ne suffit pas si cela entraîne une rupture de liens et là encore, ce lien social peut être porté par le réseau associatif de proximité. L’activité dans la cité, les projets culturels ou ceux de loisirs, tous peuvent être soutenus par diverses formes d’organisation depuis les ateliers thérapeutiques jusqu’aux structures associatives et publiques.
Les outils, les savoirs faire sont là, même si les approches et points de vue sont différents selon les intervenants. Toutes les constructions sont possibles mais elles nécessitent toutes un financement spécifique rendant les actions pérennes ou les développements réalisables.
La dernière proposition serait d’encourager ceux qui espèrent encore. Pourquoi tant d’hommes et de femmes dans le domaine social, médical, humanitaire, associatif, caritatif, etc. s’efforcent d’aider les SDF ? Pourquoi continuer à ramer ? Qu’est-ce qui motive ces milliers de bénévoles, salariés, amateurs ou professionnels, éducateurs, assistants sociaux, médecins, psychologues, infirmiers, psychiatres ? Bien sûr ils représentent le fer de lance de la déculpabilisation de notre société. Et après… ? Si les SDF sont considérés comme des naufragés, certains d’entre eux le sont devenus à cause de « naufrageurs » qui par leurs signaux les attire vers des récifs d’exclusion (crédit à la sur-consommation pour exemple). Supposés « facilitateurs » sociaux, ces procédés ne font qu’aggraver les situations personnelles mais entretiennent les emplois des fabricants de miroirs aux alouettes… mais ça, c’est une autre histoire.
Alain Mercuel*

* Psychiatre, chef du service Santé Mentale et Exclusion Sociale du Centre Hospitalier Sainte-Anne.