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A lire aussi dans l'Autre Campagne

LIVRES
Martin Hirsch, Au possible nous sommes tenus, Ministère des solidarités de la santé et de la famille, 2005, 116 pages.
Antoine Math, Christèle Meilland, « Les congés aux parents: contre l'égalité entre femmes et hommes », revue de l'IRES n°46, 2003, pp. 137-186.
Frédérique Leprince « L'accueil des jeunes enfants en France : état des lieux et pistes d'amélioration », rapport du Haut conseil de la population et de la famille, La documentation française, Paris, 2003, 192 pages.


 
Pour un véritable service public de la petite enfance
par Pierre Moisset*

 
La petite enfance est un objet politique singulier qui, à travers la question de son accueil, croise (au moins) deux questions politiques fortes : 1) Les inégalités sociales face à sa prise en charge à travers les coûts différentiels des différentes solutions d'accueil pour les parents ; 2) Les inégalités de genre au sein des sphères privée et publique du fait des différences sexuées d'engagements auprès des jeunes enfants.

Un service public de la petite enfance

L'expression fait florès à gauche depuis son apparition dans le rapport Hirsch consacré aux modalités de lutte contre la pauvreté des enfants . La proposition d'un service public de la petite enfance a trois visées principales : offrir précocement les mêmes conditions de socialisation et donc les mêmes chances de développement à tous les enfants quelque soit leur milieu social d'origine, favoriser un accès des femmes pauvres et/ou seules au marché de l'emploi en accueillant préférentiellement leurs enfants, égaliser le poids financier de la prise en charge des jeunes enfants pour les familles des différents milieux sociaux. Mais peut être faut-il aller au-delà de ces trois visées pour concrètement arriver à ce que l'on pourrait nommer un « service public de la petite enfance ». Cette idée de service public de la petite enfance s'étaie trop, selon nous, sur l'idée qu'une majorité de femmes – et particulièrement les femmes pauvres et/ou les moins qualifiées – se consacrent à l'accueil de leurs jeunes enfants contraintes. Or, il nous semble qu'il faut tenir compte de deux choses : 1) Une certaine proportion de femmes – pauvres ou non – souhaitent positivement passer un temps auprès de leurs jeunes enfants, mais ce souhait ne s'étend pas forcément sur les trois ans qui définissent classiquement la petite enfance en France, et elles ne souhaitent pas passer ce temps auprès de leurs enfants dans n'importe quelles conditions. 2) D'autres femmes n'arrivent pas à se décider rapidement (dès la grossesse ou juste après la naissance) sur le fait de garder, ou pas, elles-mêmes leur enfant et ce relativement indépendamment de leurs possibilités économiques.
Aussi, pour éviter de voir une offre d'accueil connaître des refus et désistements liés à la volonté et l'ambivalence de certaines femmes, il faut, selon nous, veiller à proposer plusieurs « cursus d'accueil » possible des jeunes enfants. C'est-à-dire non pas uniquement ni principalement, des accueils à temps plein dès la fin du congé maternité jusqu'à l'entrée en école maternelle, mais aussi des accueils à temps partiels et surtout des accueils possibles pour des enfants âgés de six mois, un an ou plus qui auraient été principalement gardés par leurs mères jusque-là. Autre point, la décision d'accueillir soi-même son enfant a parfois pour conséquence une relative exclusion de cet enfant et de sa mère des possibilités de socialisation collective (pas d'accès à la cantine en école maternelle, pas d'accès à des modes d'accueil autres que les halte-garderie aux temps d'accueil très partiels pour l'enfant). Un service public de la petite enfance devrait aussi être à même de concerner les enfants principalement accueillis (pour un temps) par leur mère en leur donnant un accès à des espaces de socialisation non pas conçus comme de brèves excursions (une demi journée) dans la vie collective, mais sous forme de temps d'accueil plus conséquents (une ou plusieurs journées), permettant tant la préparation de l'entrée de l'enfant à l'école maternelle que d'éventuelles démarches maternelles, tant pour la reprise d'emploi que pour mener des activités avec d'autres enfants. En conclusion, si un service public de la petite enfance doit s'établir dans une volonté de justice et de protection sociale, il doit le faire en prenant en compte des volontés et ambivalences de certaines femmes – qui ne sont pas qu'aliénation ou contraintes sociales intériorisées – en faisant en sorte que ces volontés et ambivalences n'aient pas pour conséquences pour les mères et les enfants une trop forte sortie de la sphère publique.

Une réforme du congé parental

Les critiques du congé parental à la française se sont multipliées ces dernières années. Ce congé éloigne trop durablement les femmes (et préférentiellement les femmes pauvres) de l'emploi et, de par son montant, est très peu incitatif à un investissement masculin. Face à ces critiques, les réponses ont jusqu'ici été timides : une possibilité d'avoir six mois de congé parental au premier enfant, mais avec toujours une faible rémunération, et un congé parental plus court et mieux rémunéré au troisième enfant. Contrebalancer la double sélection sociale (une mesure quasi-exclusivement pour les femmes et – parmi elles – préférentiellement pour les femmes les plus pauvres et les moins qualifiées) du congé parental nécessite de repenser la conception du temps et de la fonction parentale que ce congé contient encore actuellement. 1) En faire un temps moins exclusivement féminin en proposant un congé parental mieux rémunéré : si ce n'est à 80% du salaire antérieur comme en Suède, du moins suffisamment pour obtenir l'effet d'incitation sur les hommes observé dans d'autres pays . Inciter également l'investissement des hommes par une augmentation du temps de congé parental disponible pour un couple quand les deux conjoints en prennent chacun une partie. 2) En faire un temps moins monolithique, calqué sur la périodisation institutionnelle de la petite enfance (les trois premières années de l'enfant) en ouvrant des formules de « crédit » de congé parental de trois années par exemple, pouvant être prises de manière fractionnée jusqu'aux 18 ans de l'enfant .

Enfin, il ne faut pas oublier que la réussite d'une telle réforme du congé parental demande de repenser le fonctionnement des modes d'accueil tel que nous l'avons exposé plus haut. Un congé parental plus court débouchant sur une impossibilité de trouver une place d'accueil risque fort de reproduire les conséquences qu'on lui connaît actuellement.
Pierre Moisset*

* Sociologue conseil sur l'accueil et les métiers de la petite enfance.

{1] Martin Hirsch, Au possible nous sommes tenus, Ministère des solidarités de la santé et de la famille, 2005, 116 pages.
[2] Cf. Antoine Math, Christèle Meilland, « Les congés aux parents: contre l'égalité entre femmes et hommes », revue de l'IRES n°46, 2003, pp. 137-186.
[3] Proposition avancée par Frédérique Leprince dans son rapport « L'accueil des jeunes enfants en France : état des lieux et pistes d'amélioration », Haut conseil de la population et de la famille, La documentation française, Paris, 2003, 192 pages.


Réaction(s) à cet article
1 Il faut penser à toutes les femmes par Salgado
le mardi 13 février 2007 à 14:02
Bonjour,

Je suis une femme qui travaille et qui souhaite continuer de le faire,même avec des enfants. Or,votre article ne parle pas du fait qu'il y a des femmes comme moi. Vous parlez des ambivalences féminines...Et du côté des messieurs, il y en a pas? Pensez-vous que le fait que le congé parental soit mal rémunéré n'incite pas les... [ lire la suite ]