L'autre campagne L'Autre campagne Michel Herreria
Retour à l'accueil

>> Politiques sociales et économiques >> Repenser les notions de travail, revenu et activité >> Rénover les critères de représentativité pour une vraie démocratie sociale
 
Rénover les critères de représentativité pour une vraie démocratie sociale
par Sophie Béroud*

 
Les insuffisances du dispositif français de négociation sociale sont souvent dénoncées. Elles tiendraient à l’importance historique de la tradition contestataire dans le mouvement syndical français, à un attachement très jacobin à l’intervention étatique, c’est-à-dire à la conception d’un Etat garant et défenseur de l’ordre public social, lui-même peu enclin à déléguer vers les interlocuteurs sociaux la prise de décision. Le paritarisme n’aurait ainsi jamais fonctionné, n’étant pas un système à deux acteurs (représentants des employeurs et des salariés), mais bien à trois, avec l’Etat. Le « dialogue social » serait donc à « moderniser », en renforçant notamment l’autonomie et le champ d’intervention des « partenaires sociaux ». Comme l’explique le rapport Chartier de mars 2006, en s’inspirant des dispositions qui existent au sein de l’Union européenne, il faudrait, à partir d’un agenda précis de réformes, laisser la priorité aux organisations professionnelles afin qu’elles négocient un accord à leur niveau avant d’envisager le dépôt d’un projet de loi. Cette reconnaissance du rôle imparti aux syndicats dans la production des normes sociales serait pour la CFDT et le Medef l’une des voies pour réformer en profondeur le système de relations professionnelles.
Or, ces pistes de réflexion présentent le défaut d’évacuer bien trop rapidement l’analyse des dysfonctionnements au sein des modalités de fonctionnement des relations professionnelles et de faire l’impasse sur l’analyse des évolutions récentes. Penser le fonctionnement de la démocratie sociale implique en effet de poser la question de la légitimité des acteurs et de leur représentativité qui est loin de renvoyer à un débat purement technique. Cela requiert aussi de réfléchir aux principes de la démocratie sociale, à son contenu, aux possibilités effectives d’obtenir pour les syndicats via le jeu contractuel des avancées sociales.
Les règles présidant à l’organisation des relations professionnelles en France contribuent, en effet, à figer une forme de représentation syndicale en décalage avec la réalité de la présence militante dans les entreprises. La loi du 11 février 1950 fait reposer la notion de « syndicats les plus représentatifs » sur cinq critères : les effectifs, l’indépendance, les cotisations, l’expérience et l’attitude patriotique durant l’Occupation. Ce sont les pouvoirs publics qui établissent la liste des organisations considérées comme représentatives et donc habilitées comme interlocutrices légitimes : la CGT, la CGT-FO, la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC selon le dernier arrêté du 31 mars 1966. Depuis lors, la liste très fermée du « club des cinq » n’a pas bougé et semble intangible. Pourtant, outre que certains critères, le paysage syndical français a connu plusieurs bouleversements. Des organisations subissent un affaiblissement notoire, en termes d’implantation territoriale et d’effectifs. D’autres, issues d’exclusions ou de départs volontaires, ont vu le jour comme Solidaires et l’Unsa qui dépassent en nombre d’adhérents la CFTC et la CFE-CGC tout en demeurant écartées des négociations nationales.
La bataille qu’elles mènent pour obtenir la reconnaissance de leur représentativité n’est pas seulement un combat d’appareil. Dans le secteur privé comme dans le secteur public depuis l’amendement Perben en 1996, la représentativité autorise l’accès aux élections professionnelles pour le premier tour. Surtout, l’établissement de la présomption irréfragable de représentativité depuis 1982 permet à toute section syndicale des cinq confédérations dites représentatives de signer un accord au niveau de l’entreprise valant pour tous les salariés sans avoir à démontrer leur implantation réelle. Une inégalité criante existe désormais entre des organisations qui sont contraintes de faire la démonstration de leur représentativité, dans l’entreprise ou dans la branche, devant les tribunaux et d’autres organisations à qui une rente de situation est conférée. Surtout, un droit exorbitant est accordé à certaines organisations d’entériner des accords défavorables aux salariés sans avoir à les consulter au préalable. Face à cette situation, la CFDT et la CGT plaident pour l’instauration d’accords majoritaires, c’est-à-dire signés par des syndicats ayant remporté seul ou à plusieurs la majorité des suffrages lors des dernières élections professionnelles. D’autres propositions évoquent la possibilité de déterminer la représentativité syndicale à partir des élections prud’homales, ce qui est rejeté par les syndicats en raison du fort taux d’abstention que connaissent ces dernières. Organiser les élections professionnelles par branche le même jour, rétablir les élections pour la gestion des caisses de la Sécurité sociale (qui permettraient aux chômeurs et aux retraités de s’exprimer) : telles sont les propositions qui visent à renforcer le principe électif comme critère de désignation des interlocuteurs syndicaux dans l’entreprise comme au niveau national.
Aucun gouvernement n’a véritablement osé avancer sur la réforme des règles de négociation. Le gouvernement Jospin, au travers des lois Aubry, en est resté à un premier pas timide vers l’accord majoritaire (pour obtenir des aides). La loi Fillon de 2004 s’est contentée d’élargir le droit d’opposition à un accord (donc après sa signature) des syndicats majoritaires. On reste donc très loin d’une véritable application de la logique majoritaire alors même que le principe de faveur qui garantissait qu’un accord d’entreprise ne pouvait déroger à la loi que dans un sens plus favorable aux salariés est de plus en plus battu en brèche. Ce principe de faveur – la loi ou l’accord de branche comme garantie face à des accords d’entreprise où le rapport de force peut être très favorable aux employeurs – contribuait à protéger en particulier les salariés des PME et à les faire bénéficier par extension des acquis négociés dans leur secteur d’activité.
C’est donc à une révision complète de ces règles qu’il faudrait procéder ; en autorisant toute organisation syndicale régulièrement constituée à se présenter librement aux suffrages des salariés dès le premier tour des élections dans le privé comme dans le public ; en abrogeant l’arrêté de 1966 et la loi Perben de 1996 ; en rétablissant pleinement le principe de faveur. Reste le problème de la quasi-absence du syndicalisme dans les PME de la mise en place de droits à la représentation du personnel dans les TPE, comme sur les sites commerciaux et industriels.
Sophie Béroud*

* Politiste, maîtresse de Conférences en science politique, Université Lyon 2, laboratoire Triangle.