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LIENS UTILES
 Académie de l’Eau
Transnational Institute (TNI)

LIVRES
Le droit à l’eau : du concept à la mise en œuvre, rédigé par Céline Dubreuil sous la direction de Paul Van Hofwegen pour le 4ème Forum mondial de l’eau à Mexico de mars 2006.
Le droit à l’eau dans les législations nationales, Henri Smets, Académie de l’Eau, Naterre, 2005.
Reclaiming Public Water!- Visions from around the world, by Corporate Europe Observatory (CEO) and Transnational Institute (TNI), www.tni.org, janvier 2005.


 
Rendre effectif le droit à l’eau !
par Anne Le Strat*

 
Aujourd’hui plus du sixième de la population mondiale n’a toujours pas accès à une eau potable et plus du tiers ne dispose pas d’un système d’assainissement viable. Les maladies liées au manque ou à la mauvaise qualité de l’eau restent la première cause de mortalité dans le monde. Elles tuent plus de 5 millions de personnes chaque année dont 4200 enfants chaque jour, rappelait récemment l’UNICEF. Mais au-delà de la catastrophe sanitaire, le manque d’eau contraint toute possibilité de développement économique, social et démocratique. L’inégalité dans l’accès à l’eau constitue une des plus grandes injustices, frappant les plus pauvres et les plus démunis socialement, et tout particulièrement les femmes. C’est à elles que revient dans de très nombreux pays la tâche quotidienne d’aller chercher de l’eau, au détriment de leur émancipation socio-économique – cette corvée occupant l’essentiel de leur temps –  et au détriment de la scolarisation des filles, qui accompagnent leurs mères.

Pour répondre à ce défi majeur la communauté internationale, Banque Mondiale et FMI en tête, a préconisé dans les années 1980 et 1990 le partenariat public-privé et son corollaire la privatisation des services d’eau et d’assainissement. Sans succès tangible sur le terrain ! Face à la croissance des besoins et à la pression sur la ressource nous devons recentrer nos priorités sur les aspects sociaux et environnementaux. Au lieu de privilégier son caractère de bien économique l’eau doit être reconnue comme un bien public commun et son accès (en qualité et en quantité) doit être garanti comme un des droits fondamentaux de l’être humain.
En 2002 le Comité des Droits Economiques, Sociaux et Culturels de l’ONU reconnaissait le droit à l’eau en rappelant qu’il « est indispensable pour mener une vie digne (et) est une condition préalable à la réalisation des autres droits de l’homme ». Se référant au Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels – entré en vigueur en 1976 et opposable aux 152 Etats l’ayant ratifié –  il définit le droit à l’eau « en un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun». Il prévoit diverses obligations relevant de la responsabilité des Etats afin d’appliquer progressivement le droit à l’eau [1]. Auparavant deux autres conventions internationales mentionnent explicitement le droit à l’eau, celle sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979) et celle relative aux droits de l’enfant (1989).
Lors du 4e Forum mondial de l’eau à Mexico le droit à l’eau a été évoqué, particulièrement par les ONG, mais sans que cela ne débouche sur un début de cadrage concret en raison de la forte réticence des Etats. Leur manque d’empressement à reconnaître le droit à l’eau s’explique par leur crainte d’éventuels recours en justice de citoyens et d’associations pour une application concrète de ce droit.
Il s’agit en effet de passer du stade du déclaratif à sa mise en œuvre effective. L’Afrique du Sud a ouvert la voie en 1996 en inscrivant le droit à l’eau dans sa constitution l’accompagnant d’un programme d’investissements pour garantir d’ici 2008 à tous ces citoyens une fourniture minimale gratuite en eau de 25 litres par personne et par jour. Autre pays pionnier sur cette question, l’Uruguay a également inscrit en 2004 après un referendum populaire le droit à l’eau dans sa constitution en l’assortissant d’un ensemble d’obligations dévolues aux pouvoirs publics, dont celle d’assurer la gestion publique des services d’eau et d’assainissement.
S’il n’est pas une condition suffisante, l’inscription de ce droit dans un cadre constitutionnel et/ou législatif est une condition nécessaire pour qu’il s’exerce. Son effectivité n’a évidemment pas les mêmes incidences dans les pays développés et ceux en développement. Pour les premiers si l’eau au robinet est une réalité quotidienne il reste des populations pour lesquelles l’accès à l’eau demeure un problème, comme les sans domicile fixe  et les gens du voyage, qui victimes de discriminations ne bénéficient souvent pas d’un accès à l’eau et à l’assainissement.
Pour les pays les plus pauvres il faudra mettre en place des mécanismes de solidarité internationale afin de leur permettre d’assurer a minima cette obligation. Les estimations du coût des investissements nécessaires pour satisfaire les besoins mondiaux en eau et en assainissement varient entre 20 et 30 milliards de dollars par an [2]. Des mécanismes de redistribution financière sont à établir au niveau international pour assurer ces investissements, s’accompagnant d’une refonte complète des politiques d’aides au développement. Reconnaître pleinement l’exercice d’un droit à l’eau pour tous obligerait par ailleurs certains Etats à revoir leurs priorités budgétaires et à consacrer l’essentiel de leur financement à l’adduction d’eau et non aux dépenses d’armement ou de télécommunications, etc.
L’application effective de ce droit engage également les autorités publiques, qu’elles soient nationales ou locales, à exercer un contrôle réel sur les services d’eau et d’assainissement, la gestion publique garantissant par ailleurs une plus grande maîtrise opérationnelle et tarifaire au nom de l’intérêt général et non pas d’intérêts privés. Car la gestion par le privé, essentiellement par les multinationales, conduit généralement à une socialisation des coûts et à une privatisation des profits. Ce contrôle et cette gestion publique doivent se décliner avec la consultation et la participation de la population. Des exemples réussis d’une participation de la population locale à la gestion de ce service (en Bolivie, Inde et Brésil par exemple) montrent qu’augmenter le niveau de transparence et d’écoute à travers un contrôle démocratique accroît les performances de la plupart des services, est un gage d’un meilleur suivi des fonds investis et d’une plus équitable prise en compte des besoins de l’ensemble de la population.
Enfin l’effectivité d’un accès à l’eau est subordonné à des politiques ambitieuses de préservation de la ressource en eau et de prévention des diverses pollutions domestiques, agricoles et industrielles. La reconnaissance d’un droit à l’eau pour tous est ainsi conditionné à de fortes exigences sociales, environnementales et démocratiques.
Anne Le Strat*

* Présidente directrice générale d'Eau de Paris, conseillère de Paris, élue du 18e arrondissement.

[1] Le droit à l’eau : du concept à la mise en œuvre, rédigé par Céline Dubreuil sous la direction de Paul Van Hofwegen pour le 4e Forum mondial de l’eau à Mexico de mars 2006, p.15.
[2] The cost of meeting the Johanesburg targets for drinking water, Henri Smets, Académie de l’Eau, mars 2004, www.academie-eau.org.