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Pour la recherche médicale et l’accès aux soins
Promouvoir des alternatives au système des brevets
par Gaëlle Krikorian*

 
L’industrie pharmaceutique a mené un lobby intense conduisant, lors de la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994, à la ratification de l’accord sur les ADPIC (Aspects relatifs aux Droits de la Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce). Ces normes imposent de protéger les produits pharmaceutiques par des brevets qui assurent à leurs détenteurs un monopole sur la fabrication, l’utilisation, la commercialisation ou l’importation d’une invention, pour une durée de vingt ans.
À partir de 1999, l’épidémie de sida a relancé les polémiques sur le prix des médicaments et, par voie de conséquence, sur l’impact de la propriété intellectuelle sur l’accès aux produits de santé. Un débat s’est ouvert sur l’efficacité du système de protection par les brevets comme moteur de la recherche et du développement (R&D).
Le système actuel pose trois types de problèmes. Il encourage une prolifération des brevets qui, en verrouillant l’accès à l’information et les échanges dont se nourrit la recherche, contribue à l’étouffer et la ralentir. Il crée des situations de monopole permettant le maintien de prix élevés qui limitent l’accès aux produits de santé. Reposant sur les perspectives de commercialisation des produits, il incite certains types de recherche et en exclut d’autres : en résulte notamment une négligence de la recherche sur les maladies rares, sur celles qui frappent des populations pauvres ou pour lesquelles une recherche coûteuse ne garantit aucun résultat à court terme.
Ces entraves créées par le système des brevets touchent, à des titres divers, les pays développés comme les pays en développement. Dans les premiers, les prix élevés des médicaments représentent une charge croissante pour les systèmes de santé, et limitent de fait l’accès  à certains traitements. Dans les seconds, si le problème le plus visible est celui de l’accès, l’absence de recherche sur les maladies endémiques à ces pays est également alarmante. Ainsi, moins de 5 % des fonds consacrés à la R&D pharmaceutique dans le monde sont destinés à des maladies qui touchent principalement les pays en développement.

Même si les compagnies pharmaceutiques surestiment leurs dépenses de R&D (afin de justifier le maintien des monopoles et des prix élevés), les experts s’accordent à reconnaître qu’elles sont en augmentation, depuis plusieurs décennies. Or dans le même temps, le nombre d’innovations stagne ou régresse.
Ainsi, le nombre de nouvelles molécules approuvées par la FDA (l’organisme qui accorde les autorisations de mise sur le marché aux États-Unis) accusent une diminution depuis le milieu des années 1990, passant d’un maximum de 53 en 1996 à un minimum de 17 en 2002, tandis qu’environ 70% des produits mis sur le marché chaque année présentent une amélioration significative. En outre, seules 1,5 à 3% des ventes de médicaments par les compagnies privées sont réinvesties dans une recherche débouchant sur des produits présentant une amélioration réelle (Tim Hubbard et James Love, 2004).
La plus grande part de la recherche fondamentale conduisant à la découverte de nouveaux médicaments est financée par de l’argent public, tout particulièrement par des institutions américaines. En 2000 PhRMA indiquait que l’industrie américaine avait dépensé 19,6 milliards dans la recherche tandis que le NIH (National Institute of Health) y avait consacré 17,9 milliards. En revanche le développement des produits est majoritairement conduit par les compagnies privées, autorisées ensuite à obtenir des brevets sur les résultats de la recherche et à en faire la commercialisation.

En avril 2006, après un travail de deux ans, la Commission de l’OMS sur la propriété intellectuelle, l’innovation et la santé (CIPIH) a conclu que « les brevets ne constituent pas un facteur pertinent ni un moyen de stimuler la R&D et d’amener de nouveaux produits sur le marché là où le pouvoir d’achat est très faible » [1]. La CIPIH a également recommandé la création « d’une stratégie ou d’un plan d’action mondial » pour la recherche et le développement « définissant des objectifs et des priorités claires et en établissant une estimation réaliste du financement nécessaire pour y parvenir ». Cette recommandation a été adoptée en mai 2006 par l’ensemble des pays membres de l’OMS. Elle fixe désormais un cadre au sein duquel les pays doivent élaborer de nouveaux modes de financement et d’organisation de la recherche médicale afin de répondre aux enjeux mondiaux de santé publique. Elle ouvre la voie au développement d’alternatives au système des brevets, dont plusieurs ont été proposées ces dernières années.

Ainsi, entre  2002 et 2005, un groupe d’économistes, d’experts en santé public et de juristes a  élaboré un projet de traité international pour le financement de la recherche médicale [2] qui imposerait à chaque État d’assurer un niveau de financement calculé en fonction de son revenu national. Différents types de contributions sont possibles et peuvent être combinées pour permettre au pays d’atteindre le niveau de financement qui lui est fixé. Il peut ainsi payer chers des médicaments brevetés comptant qu’une partie du prix servira à financer la recherche future, mais il peut également financer directement des projets, instaurer un système de taxes sur des transactions commerciales, contribuer à des fonds internationaux, créer des prix à l’innovation, autant de modes de financement qui n’entraîneront pas la création de monopole.

En janvier 2005, Bernie Sanders, député au congrès américain, a introduit une législation (HR 417- The Medical Innovation Prize Fund Act) proposant la création d’un fond dédié à rémunérer les inventeurs de nouveaux produits pharmaceutiques en fonction du niveau d’innovation de l’invention. Cette proposition de loi est un exemple d’action nationale qui permettra de donner corps à un nouveau paradigme en matière de financement de la recherche médicale.
Il appartient maintenant aux dirigeants politiques français de soutenir cette initiative en intégrant ces options nouvelles à leur politique, afin de permettre une recherche médicale adaptée aux besoins des populations et accessible à tous.
Gaëlle Krikorian*

* Chercheuse associée au CRESP (Centre de recherche sur la santé, le social et le politique). Mène actuellement une recherche sur la place des enjeux de santé dans les négociations d'accord de libre échange entre les Etats-Unis et les pays en développement. Militante à Act Up-Paris.

[1] Santé publique, innovation et droits de propriété intellectuelle. Rapport de la Commission sur les Droits de la Propriété intellectuelle, l’Innovation et la Santé publique, Avril 2006. Voir :
www.who.int/intellectualproperty/fr/
[2] www.cptech.org/workingdrafts/rndtreaty4fr.pdf