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Handicap : pour une campagne et une société - vraiment - accessibles ?
par Juliette Chevalier* et Jean-Claude Cunin**

 
Et si la première condition d’une autre politique à l’égard des personnes handicapées (10% de la population française) était une campagne électorale vraiment « autre », garantissant la complète accessibilité de l’ensemble des débats à tous ceux qui, parmi les électeurs (3 millions environ) ne peuvent les suivre sans un peu d’aide ? Quelques idées : sous titrage des discours, traduction en langue des signes, impression des programmes pour les mal voyants, salles de meetings parfaitement accessibles aux personnes à mobilité réduite, sites Internet intégralement compatibles avec les logiciels utilisés par les personnes aveugles. Sans aller jusqu’à réaliser des sondages sur le « vote handicap », mettre à disposition les outils permettant de suivre la campagne présidentielle comme tous les autres électeurs constituerait un strict minimum. À travers cette proposition relativement simple à mettre en œuvre, c’est bien la place accordée aux personnes « autres » qui se joue.

En France, plus de 600 000 personnes sont placées sous protection juridique, pour l’essentiel, sous tutelle. Pourquoi ces mesures privent-elles les personnes concernées de leurs droits civiques et notamment le droit de vote, alors qu’au Royaume-Uni, les jeunes handicapés mentaux sont formés à la vie citoyenne ? Ne sont-ils pas concernés par des élections qui détermineront leurs droits fondamentaux ? On considère trop souvent dans notre pays que l’aspiration à une vie autonome se limite à la dimension du domicile. Une vision limitée, quand nos voisins européens parlent, eux, de « community living », la vie au sein de la communauté.

En France, la nouvelle loi de février 2005 pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » a mis trois ans à voir le jour après d’amples travaux préparatoires avec les associations : accessibilité de l’architecture et des services, de l’emploi, des études et de la formation, aides individuelles, citoyenneté, etc. La loi balaye tous les champs sur lesquels la société française s’engage à permettre un accès égal aux droits, pour tous ceux qui « partent » avec un handicap, comme on dit en langage sportif. Elle cherche à lutter contre la très relative présence des personnes handicapées dans la vie en société : si peu d’enfants handicapés à l’école (60% des enfants atteints d’autisme ne sont pas scolarisés), si peu de travailleurs handicapés dans les entreprises (28% des personnes actives handicapées au chômage), si peu de services adaptés pour maintenir une vie à domicile, tant de difficultés encore pour bouger, sortir, se divertir.

« Changer de regard », « faire une place », « oser la rencontre » : titres usés d’articles en reportages, invocations répétées de colloques en séminaire. Le monde du handicap est sans cesse traversé de ces incantations. La loi peut participer de ce « changement de regard » sans cesse invoqué. Le handicap, l’a-normalité, la déficience peuvent bien entendu gêner, angoisser ou faire peur aux « valides ». Mais moins on a l’occasion de rencontrer des personnes handicapées, moins on donne « à voir », plus la gêne s’accroît. Et c’est la même chose, du côté des personnes en situation de handicap à qui il faut tout autant permettre de comprendre la personne valide. La loi ouvre la possibilité de rendre plus visible et donc – presque – « banal » le handicap. Banal de croiser une personne en fauteuil au supermarché, banal de travailler avec un collègue aveugle ou d’échanger avec une personne sourde, fréquent de bavarder avec un parent d’enfant handicapé à la sortie de l’école. La loi a ainsi étendu à l’État l’obligation faite jusque-là aux entreprises d’engager a minima 6% de personnes handicapées, elle affirme aussi le droit à la scolarisation dans l’école de son quartier.

Mais cette loi constitue d’abord et avant tout une « remise à niveau » de la situation française par rapport aux autres pays européens. Elle ne peut à elle seule « régler » le problème : ce n’est que si tous les acteurs, hommes et femmes politiques compris, l’entendent comme leur responsabilité solidaire, que la loi pourra être rendue effective dans son esprit. Que si nous nous interrogeons régulièrement, y compris les élus, sur la place des personnes handicapées : pourquoi n’y en a-t-il pas là où je travaille ? Pourquoi n’y en a-t-il pas dans l’école de mes enfants ?

La loi crée dans chaque département « une maison des personnes handicapées » qui réunit sous la responsabilité des Conseils généraux, les services de l’Etat et les associations. Si ces nouvelles formes de réponses apportées au plus proche des personnes ne rassemblent pas l’ensemble des acteurs, si les services de l’Etat en particulier n'y participent pas de manière active, alors le projet aura échoué. Si la loi qui cherche à mettre en place un nouvel état d’esprit autour des besoins de la personne handicapée conduit à la re-construction d’une « filière » à part, avec un traitement certes plus personnalisé mais sans lien avec les services de l’emploi ou de l’éducation nationale, alors son objectif ne sera pas atteint. Elle ne pourra répondre à cette exigence – normale – d’inclusion à la vie sociale.

La loi veut contribuer à une approche nouvelle, mais son application est elle-même directement conditionnée par un renouvellement des attitudes. Ne faut-il donc pas affirmer la nécessité d’un certain volontarisme politique en la matière ? Les élus ont là encore un rôle à jouer : alors qu’il était en poste, sans complexe, Bill Clinton a fait savoir qu’il portait un intra-auriculaire parce qu’il entendait mal. Avant lui, Ronald Reagan ne s’en était pas caché non plus. Jacques Chirac aurait pu faire avancer le « regard » sur la perte d’autonomie en France en étant moins embarrassé dans les réponses apportées sur ses éventuelles difficultés d’audition.

Au-delà, l’évolution de la place des personnes handicapées n’implique t elle pas de mettre au débat la question de la discrimination positive ? A quand un journaliste handicapé au journal de 20 heures ? Rendre visible, cela passe aussi par là. La loi qui vise à une « remise à niveau » des personnes handicapées repose sur le principe de compensation. Celui-ci sera-t-il suffisant pour qu’une société vraiment ouverte aux différences voie le jour ? Ne faut-il pas au moins entamer ce débat-là…
Juliette Chevalier* et Jean-Claude Cunin**

* Directrice de la communication de Médecins du Monde, ancienne directrice de la communication de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.
** Directeur des actions revendicatives Association Française contre les Myopathies.