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>> Culture et Education >> Nouvelle politique d’enseignement et d’éducation >> Re-créer un pôle d’attraction à l’université Re-créer un pôle d’attraction à l’université La solution du pré-recrutement par Pierre Arnoux* 1. Un constat L’enseignement supérieur est, en France comme dans tous les autres pays, la base du système de recherche; malgré une situation très particulière à la France (grandes écoles), c’est, au sein de l’enseignement supérieur, l’université qui joue le rôle le plus important pour la recherche. Or l’université ne va pas bien : on constate ces dernières années une chute de plus en plus rapide des effectifs des universités, sauf dans les domaines (droit, médecine) qui offrent des débouchés professionnels sûrs. Les filières scientifiques, qui subissent de plein fouet la concurrence des écoles d’ingénieurs, sont particulièrement touchées (diminutions des nouveaux entrants de plus de 20% cette année [1]). Les meilleurs étudiants s’orientent ailleurs; les taux d’absentéisme, d’abandon et d’échec dans les premières années sont considérables. Cette diminution, qui se répercute à tous les niveaux, ne saurait manquer d’avoir des effets sur notre compétitivité scientifique et notre système de recherche. On sait aussi, depuis longtemps, que l’université est difficile d’accès aux classes défavorisées : des études longues, sans aucun soutien financier, sont une lourde charge pour les familles à faible revenu. Elles le sont encore plus quand l’issue de ces études est incertaines: de nombreux étudiants redoublent ou abandonnent en cours de scolarité. Des études récentes [2] ont montré que les meilleurs élèves des classes défavorisées s’orientent en priorité vers les études courtes. Si l’on étudie les domaines de l’enseignement supérieur qui se développent, on vérifie facilement qu’ils ont une caractéristique commune: assurer, au bout d’un ou 2 ans au maximum, soit un diplôme professionnellement reconnu, soit l’entrée dans un cursus menant de manière a peu près certaine à un tel diplôme. C’est le cas des études de médecine, des écoles d’ingénieurs, ou des DUT; ce n’est actuellement pas du tout le cas des filières universitaires classiques (lettre ou sciences). La chute des universités aura un effet rapide dans deux domaines: la recherche, et la formation des maîtres, assurée par l’université, et qui devrait prochainement connaître des besoins importants. Par ailleurs, la sélection sociale qui s’y déploie est socialement dangereuse et moralement inacceptable; elle revient à faire payer par la collectivité les études des plus favorisés. 2. Une proposition Il existe un système qui répond en partie à tous ces problèmes, et qui a été utilisé pendant près d’un siècle: c’est le pré-recrutement, qui a été supprimé au cours des années 70 et 80, sans que l’on n’en ait jamais fait l’évaluation; c’est à ce système que l’on a dû les fameux ”hussards noirs de la république”, et une large partie de l’ascension sociale au cours du 20ème siècle. Il est parfaitement possible, si l’on prend conscience des enjeux, de proposer une version actualisée de ce système. On propose ici un pré-recrutement d’une partie des futurs enseignants, au niveau bac+1, sur critère universitaire (concours). Les étudiants pré-recrutés bénéficieraient d’un salaire pour faire leurs études; en échange, ils contracteraient un engagement de 10 ans à servir l’état, et devraient consacrer une demi-journée par semaine à intervenir dans les établissements scolaires (comme l’ont fait les emplois jeunes). Outre l’intérêt qu’il présente pour les établissements, cet engagement les préparerait efficacement à leur futur métier, évitant le ”choc” que certains nouveaux enseignants reçoivent en entrant dans leur première classe. Un système semblable (Ecoles normales d’instituteurs, IPES) a existé pendant longtemps (près d’un siècle pour les écoles normales, plus de 20 ans pour les IPES), et a fonctionné de façon très efficace, avant d’être supprimé sans évaluation par une politique à courte vue; il a formé des dizaines de milliers de personnes, que l’on retrouve dans les écoles, collèges et lycées, mais aussi dans les universités, l’administration et le personnel politique; beaucoup d’entre eux n’auraient jamais fait d’études longues sans les IPES. Il est bien clair que, pour être viable, ce système nécessite une programmation à moyen terme des recrutements (environ 5 ans); cette programmation est de toute façon nécessaire (et possible!) pour d’autres raisons. Il semble raisonnable de pré-recruter environ 75% des effectifs prévus; et dans ce cas, l’expérience montre que la très grande majorité des étudiants pré-recrutés réussira le concours. Ce système a déjà été proposé par divers acteurs: l’Académie des Sciences [3], le collectif ActionSciences[4], la Commission de Réflexion sur l’Enseignement des Mathématiques [5]. Que peut-on attendre de cette proposition ? Ce système donnerait aux universités l’avantage comparatif qui leur manque actuellement. Il attirerait d’excellents étudiants, en particulier des milieux populaires. Il permettrait donc à l’université de remplir dans les meilleures conditions l’une des ses fonctions essentielles, la formation des maîtres, en assurant le recrutement d’étudiants de bon niveau et d’origine sociale variée. Le concours en fin de première année donnerait une forte motivation, comme il le fait en PCEM, et reconstituerait une tête de classe, ce qui permettrait de retrouver un bon niveau pour le cursus de licence. Cette mesure aurait des conséquences sociales, en recréant un parcours de réussite qui ne nécessite pas un fort capital social de départ. Pour tirer tout le parti du système, il est nécessaire que les meilleurs des étudiants recrutés puissent, s’ils le désirent, continuer leurs études en thèse et participer au système de recherche, ce qui sera un investissement utile pour la collectivité; il en était ainsi pour les écoles normales. Cette mesure ne constitue évidemment pas un programme à elle seule! Il y a bien d’autres choses à réformer dans les universités; mais elle changerait l’atmosphère, et rendrait les autres réformes plus faciles. Réponse à quelques objections classiques Non, ce système ne coûte pas trop cher! Si l’on compte 10 000 pré-recrutements par an, pour des études de 3 ans, il faut compter 30 000 personnes en régime stable, ce qui revient à environ un demi-milliard d’euros pour la création de 30 000 emplois conduisant de façon à peu près certaine à des emplois stables. Pour mémoire, le projet de diminution de la TVA sur la restauration revenait à 3 milliards d’euros, pour la création très hypothétique de 30 000 emplois peu qualifiés; dans le meilleur des cas, c’était 6 fois plus cher. Pour mémoire encore, un demi-milliard d’euros, c’est 1% de l’impôt sur le revenu, soit le trentième des baisses d’impôts promises par l’actuel président de la république, et moins du dixième des baisses effectivement réalisées. Il serait d’ailleurs étonnant que le pays ne puisse plus payer aujourd’hui ce qu’il pouvait faire en 1960. Oui, ce système aura une forte composante sociale: les conditions (engagement décennal, obligation d’intervenir dans les établissements) dissuaderont une bonne part de ceux qui n’ont pas besoin de cette aide, mais sûrement pas ceux qui, sinon, doivent combiner leurs études avec un emploi précaire. Le recrutement sur concours est le meilleur des ”CV anonymes”; il est certain que nombre de jeunes des banlieues seront désireux et capables d’y participer. Un bon moyen de le vérifier: interrogez les gens autour de vous; une large part des personnes issues de classes favorisées considère qu’un engagement décennal à 19 ans est une contrainte intolérable, et qu’il est trop dur de demander à un étudiant de travailler une journée par semaine, ou un mois par an, en plus de ses études; il n’en va pas de même chez les nombreux étudiants qui travaillent à mi temps pour payer leurs études. Non, ce système n’est pas un reste du passé: c’est un système du même type que l’on est en train de mettre en place en Grande Bretagne, pour remédier au manque d’enseignants dans un certain nombre de domaines; c’est aussi, ce que l’on ne dit pas assez, le système qui existe toujours pour les élites françaises (ENA, Ecole Polytechnique, Ecole Normale Supérieure); dans ce cas, personne ne parle d’archaïsme! Mais dans ce cas, le fonctionnement du système le réserve presque entièrement aux classes les plus aisées de la population (sans d’ailleurs aucune contrepartie). Et que fera-t-on avec les étudiants pré-recrutés qui auront raté leurs études? La même chose que l’on fait avec les énarques ou les polytechniciens qui ratent leurs études... Il faudra trouver une voie qui leur permette d’accomplir leur engagement décennal d’une autre façon; ces cas seront de toute façon rare, et se régleront au cas par cas. On a su régler ce genre de problème pendant un siècle dans les écoles normales... Pierre Arnoux* * Professeur de mathématiques à l'université d'Aix-Marseille 2. Il s'intéresse depuis longtemps aux divers aspects de l'enseignement secondaire et supérieur, et en particulier à la motivation des étudiants et aux conditions sociales de la formation des enseignants. [1] Revue Repères et Références Statistiques, années 2003, 2004, 2005, chapitre 6. [2] Bernard Convert, La ”désaffection” pour les études scientifiques, quelques paradoxes du cas français, revue française de sociologie, No 44-3 (2003), pp. 449-467. [3] Les flux d’étudiants susceptibles d’accéder aux carrières de recherche, Rapport à l’Académie des sciences par Jean Dercourt [4] Le collectif ActionSciences regroupe 15 associations d’enseignants et sociétés savantes ; on trouvera ses propositions en ligne [5] C.R.E.M.; on peut trouver ses rapports à l’adresse http://www.smf.emath.fr, et en particulier les recommandations de son rapport sur la formation des maîtres. Réaction(s) à cet article 6 Réponse de l'auteur Pour répondre à Emmanuelle Sibeud par Pierre Arnoux le samedi 17 mars 2007 à 22:10 Tout d'abord, il faut distinguer le cas des normaliens et celui des polytechniciens.
Les normaliens sont élèves-fonctionnaires stagiaires, et ont signé un engagement décennal, qu'ils doivent racheter (ça s'appelle la pantoufle) s'ils ne veulent pas servir l'état, ce qui est je crois encore assez rare. Depuis la réforme consécutive à la... [ lire la suite ] 5 une tres bonne idée par beaud le jeudi 15 mars 2007 à 23:11 Je souscris à 100% à cette proposition. Il faut la diffuser. J'enseigne dans une faculté de sociologie (UFR) [ lire la suite ] 4 c'est l'Etat qui a financé mes études... par isolde le jeudi 15 mars 2007 à 19:07 ... Et je suis fière de le servir.
Votre proposition est pour moi la plus démocratique, et je suis heureuse de la retrouver exprimée par quelqu'un d'autre, car je ne suis jamais crue quand je le dis, précisément parce que je suis un produit de cette "méritocratie". C'est effectivement grâce au système du pré-recrutement sur concours (2 "grandes... [ lire la suite ] 3 Un seul régime d'élèves fonctionnaires ! par Emmanuelle Sibeud le jeudi 22 février 2007 à 21:09 Merci pour cette proposition réaliste et efficace.
Mais pourquoi assortir l'engagement décennal d'une obligation de donner du temps (1 jour par semaine ou 1 mois par an)quand rien n'est demandé aux normaliens et polytechniciens qui ont déjà droit à un salaire ? Cette obligation me semble d'autant plus inopportune que les défenseurs des classes... [ lire la suite ] 2 professeur émérite de l'Université Paris I par Gérard Monnier le mardi 13 février 2007 à 12:12 Excellente prise de position sur le précrutement ; je pense que ce dispositif devrait s'étendre à la préparation des doctorats, où le marasme créé par le manque de postes en aval devient très grave. Et pourquoi pas à d'autres systèmes de recrutement dans la fonction publique ? [ lire la suite ] 1 Clap-clap-clap :-) par Médard le lundi 12 février 2007 à 17:05 J'applaudis des deux mains, ayant été moi-même élève-professeur : effectivement, si ce système n'avait pas existé, je ne serais jamais devenu professeur...
Maintenant, j'ai bien bien peur que cette idée aille contre l'air du temps : "il y a trooop de fonctionnaires, ma bonne dame !" [ lire la suite ] |
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