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LIVRES
Frédéric Neyrat, « Le retour du sélectionnisme », Les Temps modernes, n°637-638-639, mars-juin 2006.
Frédéric Neyrat co-auteur de Universitas Calamitatum : Le livre noir des réformes universitaires, Editions du Croquant 2003.
Frédéric Neyrat co-auteur de Pour l’éducation permanente, Syllepse, 2005.


 
Pour une université vraiment ouverte…
par Frédéric Neyrat*

 
A première vue, l’enseignement supérieur peut paraître aujourd’hui ouvert. La croissance du taux de bacheliers (le baccalauréat est le premier grade universitaire !), dans une génération, a été spectaculaire puisque celui-ci a plus que doublé en 20 ans, s’établissant aujourd’hui à 63%. On est cependant encore loin des mythiques « 80% au bac ». Il reste que de plus en plus de jeunes font l’expérience de l’Université : pratiquement tous les bacheliers généraux, soit un bachelier sur deux, s’inscrivent dans l’enseignement supérieur, c’est encore le cas de 75% des bacheliers technologiques, mais seulement de 20% des bacheliers professionnels. De là un certain nombre de discours sur la baisse du niveau, de la même veine, mais on l’oublie, que ceux tenus dans les années soixante et soixante-dix…
Si l’enseignement supérieur s’est incontestablement massifié, il est pourtant loin de s’être démocratisé. Les inégalités sociales d’accès, comme de réussite, restent fortes. Mais plus encore, l’inégalité tient à la dualité fondamentale de l’enseignement supérieur. D’un côté, des grandes écoles, et des établissements universitaires qui en adoptent certaines des règles, notamment la sélection à l’entrée, richement dotés, de l’autre les universités, elles mêmes hiérarchisées, qui accueillent des étudiants hétérogènes sur le plan scolaire, dans des conditions dégradées, du fait de leur sous-encadrement pédagogique et administratif. Ainsi, ce sont les étudiants déjà les plus avantagés, qui bénéficient des conditions d’apprentissage les plus favorables. A eux, dont le niveau scolaire initial est en général plus élevé, l’enseignement en petits groupes (20 à 25), condition de l’interactivité et d’un suivi presque individualisé. Aux étudiants de l’Université de masse, les TD pléthoriques (40 ou 45 étudiants) qui pratiquement interdisent un vrai travail dirigé.
Ce constat d’un enseignement supérieur inégal, notamment en ce qu’il est dual, peut sembler désormais largement partagé. Mais une partie de ceux qui le reprennent, et qui il n’y a pas si longtemps, niaient cette inégalité, ne se proposent pas de corriger cette situation. A l’opposé même, les réformes qu’ils proposent, et qui commencent à être mises en œuvre (on pense à la politique des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur), sous couvert d’autonomie, visent à intensifier la concurrence entre les établissements, et auront donc pour conséquence de creuser encore les inégalités initiales entre grands établissements et petites universités, en matière d’enseignement comme de recherche. De même, s’ils dénoncent le taux d’échec en premier cycle universitaire – ouvert – , c’est pour mieux incriminer le coût de non sélection à l’entrée et en appeler à une « orientation » préalable des étudiants. Préalable et sélective : car ce sont en particulier les jeunes de milieu populaire, loin pourtant d’entrer massivement dans l’enseignement supérieur, qui se verront expliquer que la prolongation de leur scolarité est vaine, et qu’il vaut mieux opter pour une filière professionnelle courte. Même si, dans le même temps, certains établissements sélectifs, à l’image de Sciences-Po Paris, accordent à quelques dizaines de jeunes issus des « quartiers » (en tout cas de ces quelques lycées de ZEP avec lesquels ils ont une convention) le privilège d’un examen d’entrée spécifique. C’est là une façon de conforter encore le principe de la sélection à l’entrée, qu’ainsi l’on n’interroge plus.
A rebours des politiques entreprises depuis une dizaine d’années, et surtout des projets de réforme avancés dans ce temps de pré-campagne, il faudrait donc se donner les moyens d’une ouverture véritable de l’enseignement supérieur.
Cela passe d’abord par l’arrêt du mouvement de hiérarchisation de l’enseignement supérieur. On pourrait abolir les grandes écoles, cet archaïsme français, ce que les « modernisateurs », puisque c’est ainsi qu’ils se qualifient, se gardent bien de proposer. La mesure serait symbolique, exhalant un parfum de nuit du 4 août. Mais au-delà des résistances multiples qu’un tel acte susciterait, il n’est pas sûr qu’il soit le plus efficace pour corriger les inégalités décrites, qui ne se limitent plus, on l’a dit, à l’opposition entre grandes écoles et universités. Il apparaît donc plus opportun non de supprimer les grands établissements, mais seulement les privilèges exorbitants dont ils bénéficient. Dès lors que les étudiants des universités bénéficieront des mêmes moyens, et notamment du même taux d’encadrement, que ceux des établissements sélectifs, beaucoup de choses pourront changer. Les universités pourront suivre pédagogiquement de la même façon que les établissements sélectifs leurs étudiants et permettre à ces étudiants non sélectionnés de mieux s’adapter au nouveau cadre des études supérieures. Car il ne s’agit pas de secondariser l’enseignement universitaire, de faire de la nouvelle licence, comme certains réformateurs le préconisent, une propédeutique aux vraies études supérieures [1], pour ceux qu’on y admettra, mais bien de permettre l’accès, le plus large possible, à un enseignement universitaire, nourri de la recherche. L’ouverture a pour conséquence une hétérogénéité plus forte dans les premières années. Certains se proposent de refouler ces bacheliers, titulaires de « mauvais » bacs : leur laisser cette possibilité d’orientation sélective conduirait inexorablement à terme à une sélection au faciès, social autant que scolaire. Il faut donc donner aux universités les moyens d’une autre pédagogie. Loin des mesures d’affichage que sont les semestres d’orientation, les modules d’élaboration du projet, ou le tutorat (qui rappelle trop l’enseignement réciproque du XIXe), c’est une « pédagogie rationnelle » [2] qu’il faut mettre en œuvre. Elle passe par le bannissement du cours faussement magistral en première année, des travaux dirigés dans des groupes de taille raisonnable (25 maximum), qui permettront le suivi pédagogique des étudiants, et un contrôle étroit du travail qu’ils fournissent, condition de la progression, notamment pour ceux qui n’ont pas les mêmes ressources en capital culturel que les étudiants « héritiers ». Il faut aussi prévoir pour certains « nouveaux » étudiants, les plus éloignés des exigences et formes universitaires, des remises à niveau spécifique (maîtrise de l’expression, des techniques rhétoriques de la dissertation, etc.), parallèlement à l’enseignement dispensé à tous.
Au-delà de la réaffirmation d’un accès ouvert, et exigeant, à l’Université, pour tous les bacheliers, l’Université doit également davantage s’ouvrir aux « adultes en reprise d’études ». Si les gouvernements inscrivent comme une priorité nationale, la formation tout au long de la vie, au-delà de la proximité sémantique, cette politique est très éloignée de l’ambition d’éducation permanente. Car cette conception-là de la formation est instrumentale et libérale : les formations proposées aux adultes sont de plus en plus étroitement professionnalisées, visant l’acquisition des compétences attendues sur le lieu de travail ; qui plus est, dans une logique de co-investissement, ce sont les salariés qui vont financer une partie de ces formations, puisqu’elles peuvent se dérouler hors temps de travail. Parallèlement, on demandera aux adultes qui s’inscrivent, sans financement de leur employeur, à l’Université, de s’acquitter de droits spécifiques, en sus des droits d’inscription normaux. Une façon d’amorcer l’augmentation générale (pour tous les étudiants) et massive(à l’anglo-saxonne) des droits d’inscription, que les « sélectionnistes » appellent de leurs vœux.
Dans une logique d’éducation permanente, l’Université devrait faciliter toutes les reprises d’études des « adultes », travailleurs salariés, indépendants, demandeurs d’emploi ou inactifs, en utilisant les procédures de validation des acquis pour ce faire (qui doivent cesser d’être coûteuses, et inégalement coûteuses selon les universités, pour les candidats), en prévoyant les financements nécessaires (entreprises et Etat), là encore. Mais pour replacer au centre la mission d’éducation permanente, on pourrait aussi prévoir que chaque enseignant-chercheur ait une quotité de son service d’enseignement (24 heures par an) dédiée à la diffusion et à la vulgarisation de ses recherches, auprès du public le plus large, un peu sur le modèle des Universités populaires.
Frédéric Neyrat*

* Sociologue, maître de conférences à l’Université de Limoges. Dernier article paru, Le retour du sélectionnisme, Les Temps modernes n°637-638-639, mars-juin 2006. Co-auteur de Universitas Calamitatum : Le livre noir des réformes universitaires (Editions du Croquant 2003) et de Pour l’éducation permanente, (Syllepse 2005).

[1] Cf. Philippe Aghion, Elie Cohen, Education et croissance, La Documentation française, 2004.
[2] Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Les héritiers, Editions de Minuit, 1964.


Réaction(s) à cet article
8 maître de conférences à l'université de nantes par jacques gilbert
le mercredi 21 février 2007 à 14:02
Bonjour,
Je partage certaines des analyses mais pas vraiment les solutions. L'appel à une pédagogie nouvelle ne convainc pas vraiment, on voit déjà ce qu'il a produit dans le secondaire et les syndicats de gauche ont plutôt été complices de l'agravation des inégalités: on a aplani tout les filtres sélectifs méritocratiques en confiant in fine au... [ lire la suite ]
7 Accès à l'université et rôle de l'université par Victor
le mardi 13 février 2007 à 19:07
Oui, enfin en attendant ces pauvres riches acceptent bien de financer les grandes écoles - normal, ce sont leurs gosses qui y vont. Cela dit, Pierre soulève une question quand même assez cruciale : accès généralisé à l'université, d'accord, mais pour quoi faire ? Bien sûr, les moyens manquent, mais enfin au-delà de ça le décalage entre l'offre... [ lire la suite ]
6 A quoi ça sert ? par Pierre
le lundi 12 février 2007 à 23:11
oui, à quoi sert d'envoyer des bataillons de lycéens à l'université alors qu'il n'y a pas d'emplois à la sortie ? Il faut surtout revaloriser les filières courtes professionnalisantes qui conduisent à des emplois au lieu d'inciter les jeunes à s'engager dans des études qui ne mènent à pas grand chose (psycho, histoire de l'art, .....).

Et puis,... [ lire la suite ]
5 Sur la démotivation par arnoux
le vendredi 02 février 2007 à 02:02
Mon commentaire n'était probablement pas clair, vu la réponse qui lui a été apportée.

Quand je parle de démotivation, il ne s'agit pas de pédagogie, ni d'un point de vue moral. Je ne parle pas de "perte du sens de l'effort", ou autres fadaises. Il s'agit d'une simple constatation, très généralement reconnue par la plupart des enseignants de... [ lire la suite ]
4 Mon avis... par Levron Pierre
le lundi 29 janvier 2007 à 14:02
Je viens de lire cet article, et j'adhère à la plupart de ses ^propositions. Il pose une question majeure: le rôle social de l'Université. Nous nous trouvons effectivement à un moment charnière de l'histoire de l'institution, dans la mesure où les universitaires sont pris (en tenaille? je laisse chacun libre de son interprétation!)entre les... [ lire la suite ]
3 pour une université vraiment ouverte... quelques prolongements par Ludovic Tournès
le dimanche 28 janvier 2007 à 23:11
Je souhaite apporter deux commentaires au propos de Frédéric Neyrat, le premier sur la question de l’orientation/sélection ; le deuxième sur celle de la position des enseignants-chercheurs par rapport aux nécessaires innovations pédagogiques que doit mettre en œuvre l’université.


1. Distinguer sélection et orientation
Il importe à mon sens... [ lire la suite ]
2 Une université pour quoi faire ? par Luc Comeau-Montasse
le dimanche 28 janvier 2007 à 19:07
Il est tout à fait étonnant de voir constamment la question de la motivation venir au premier plan des débats sur l'éducation.

Joseph Jacotot, dont certains ont eu des échos par Begaudeau qui a lu Rancière qui a lu Jacotot,(comble quand on sait ce que défendait l'auteur de "voici le fait"*), avant même les psychologues de la motivation, avait... [ lire la suite ]
1 L'impuissance des remèdes pédagogiques par Pierre Arnoux
le samedi 27 janvier 2007 à 17:05
Il est clair qu'une partie de l'enseignement dispensé en université est défaillante du point de vue pédagogique, et que cet enseignement doit évoluer; et il est certain que cela coûtera de l'argent.

Indépendamment de toute autre considération, c'est le devoir des enseignants-chercheurs de faire leur métier, et de le faire bien. Il le font... [ lire la suite ]