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>> Citoyenneté et institutions >> Justice et libertés individuelles >> Traiter la délinquance financière comme une délinquance à part entière
 
Criminalité économique et financière
Lutter contre de nouvelles impunités
par Eric Alt*

 
Dans le silence assourdissant du débat public, la criminalité économique et financière prospère. Le populisme pénal, habilement entretenu par l’ordre établi, se satisfait d’une tolérance zéro appliquée à la petite délinquance. La justice, vulnérable dans sa lutte contre la corruption, est partout reprise en mains. En Italie, de façon emblématique, le gouvernement de S. Berlusconi impose des réformes qui mettent un terme à l’opération « mains propres ».
En France, la loi du 9 mars 2004, dite Perben II marque aussi un affaiblissement de la justice. Les pouvoirs des magistrats du parquet sont accrus et leur soumission hiérarchique est renforcée. Le garde des sceaux peut ainsi contrôler l’action publique dans les dossiers sensibles. Les magistrats du siège, qui jouissent de garanties d’indépendance, voient leur rôle diminué. Les juges d’instruction sont marginalisés. Par ailleurs, le nouveau code des marchés publics, adopté le 7 janvier 2004, élève considérablement les seuils au-delà desquels une procédure d’appel d’offres est nécessaire – jusqu’à 5,9 millions d’euros pour les marchés de travaux. Le champ des marchés sans formalités préalables, ou passés après un « dialogue compétitif », est étendu, et les opportunités de favoritisme également. Enfin la loi du 4 janvier 2001, qui instituait un contrôle de l’utilisation des aides publiques, est abrogée dès le 30 décembre 2002.

De nouveaux espaces de non-droit

Une décennie de luttes citoyennes et d’audaces judiciaires s’achève. Cette période coïncide avec l’avènement de la mondialisation, qui ouvre à la corruption de nouveaux horizons. L’imbrication des intérêts publics et privés, la faillite des contrôles produisent des effets délétères à l’intérieur des frontières. A l’échelle internationale, ces effets sont dévastateurs. Les affaires Enron, Daewoo, Metaleurop sont autant de symptômes d’un changement d’échelle. Les paradis fiscaux sont aujourd’hui structurellement liés au fonctionnement du commerce et de la finance internationale.
Dans la course à la privatisation du secteur public, les repreneurs potentiels cherchent à l’emporter par tous les moyens. Au début des années 80, le FMI et la banque mondiale promettaient que les programmes de libéralisation, en réduisant le pouvoir des bureaucrates, allaient réduire la corruption. Ce fut tout le contraire. En Argentine, par exemple, la vente des entreprises d’Etat a donné lieu à une corruption d’une intensité rarement égalée.
Paradoxe : à l’échelle du monde, l’impunité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre a diminué, notamment grâce à la création de la Cour pénale internationale. Mais en même temps, de nouvelles impunités apparaissent. Le détournement des richesses aggrave le sort des plus défavorisés, le développement économique est entravé, les plus pauvres sont eux-mêmes l’objet de trafics. De nouvelles et vastes étendues de non-droit émergent. Cette prédation économique porte atteinte à la dignité humaine. Les défenseurs des droits de l’homme doivent ouvrir un front nouveau.

L’actualité de l’appel de Genève


La mondialisation néolibérale donne une nouvelle dynamique à la corruption, dans un espace économique en voie d’unification, mais où la justice demeure le plus souvent limitée aux frontières des Etats. L’appel de Genève, lancé en 1996 par sept magistrats européens, alerte l’opinion. Les États sont crispés sur leur souveraineté judiciaire, alors qu’ils délèguent largement leur souveraineté économique : une telle situation ne peut que favoriser la criminalité transnationale. A trop vouloir conserver les apparences de la souveraineté en matière de justice, ces États ne conservent plus qu’une souveraineté d’apparence.
En 1997, une équipe de juristes européens propose le Corpus juris. Ce travail se situe dans le droit fil de l’appel de Genève. Il s’agit notamment d’unifier des règles essentielles en droit pénal et de créer un parquet européen. Celui-ci interviendrait pendant la phase initiale de mise en état du dossier, au moment où les obstacles résultant de la différence des systèmes juridiques sont les plus importants. Structure légère et indépendante, le parquet européen ne pourrait prendre de mesure privative ou restrictive de droits que sur l'autorisation d'un juge des libertés. Une fois achevée la phase initiale de l'enquête, les juridictions nationales conserveraient toute leur compétence pour juger l'affaire. Le modèle du Corpus juris propose donc une garantie des droits et des libertés à la mesure des avancées nécessaires en matière d’efficacité des poursuites. Dans le même esprit, la mission parlementaire sur la lutte contre le blanchiment des capitaux et la conférence des parlements de l’Union européenne contre le blanchiment avancent en 2002 un ensemble de propositions ambitieuses. Ces projets, aujourd’hui oubliés, ne demandent qu’une volonté politique pour être mis en œuvre.

La mise en place d’un territoire européen de justice serait une avancée considérable. L’action doit évidemment se poursuivre dans le reste du monde. Mais de ce point de vue, la capacité de l’Europe à construire et à démontrer l’efficacité de son modèle est aussi déterminante.
Eric Alt*

* Vice président du Syndicat de la magistrature



Réaction(s) à cet article
1 L'Europe se construit... par On / Off
le mercredi 28 mars 2007 à 13:01
L'Europe se construit... mais pas celle de la Justice.

Comme il faut un début, ON commence par la répression (qui a dit aveugle ?). Il en va ainsi, avec la demande par la Commission européenne, d'un fichage généralisé des empreintes digitales, pour surveiller la... [ lire la suite ]