L'autre campagne L'Autre campagne Michel Herreria
Retour à l'accueil

>> Politiques sociales et économiques >> Cadres de vie et nouvelles pratiques collectives >> Introduction : Notre empreinte écologique est « insoutenable »
A lire aussi dans l'Autre Campagne

LIENS UTILES
Décroissance

LIVRES
Jean Gadrey, Les nouveaux indicateurs de richesse (avec F. Jany-Catrice), La Découverte, 2005, et En finir avec les inégalités, Mango éditions, 2006.
J. M. Jancovici, L’avenir climatique, Seuil, 2002.
ATTAC (coord. J.M. Harribey), Le développement a-t-il un avenir ? Mille et une nuits/Fayard, 2004.
Le développement durable, Hors série d’Alternatives économiques, 1er trimestre 2005.


 
Notre empreinte écologique est « insoutenable »
La poursuite de la croissance actuelle nous mène droit dans le mur
par Jean Gadrey*

 
L’empreinte écologique d’une population c’est la surface de la planète, exprimée en hectares, dont cette population dépend, compte tenu de son mode de vie, pour ses besoins en produits du sol (surfaces pour l’agriculture, la sylviculture) et en zones de pêche ; en terrains bâtis ou aménagés (routes et infrastructures) ; en forêts capables de recycler les émissions de CO2 (empreinte énergie) et plus généralement en surfaces d’absorption des déchets. Par exemple, l’empreinte moyenne d’un Français est de 5,3 hectares. Pour un Américain, on obtient 9,7 hectares, record du monde développé. Ces hectares sont « empruntés » dans l’ensemble du monde, le plus souvent sans contrepartie : les Français ne paient pas le service que leur rendent les forêts brésiliennes ou africaines en recyclant leurs émissions de CO2.
Au total, l’empreinte écologique moyenne des hommes est passée de 0,7 planète en 1961 à 1,2 planète actuellement : l’humanité emprunte chaque année à la nature 20 % de ressources renouvelables de plus que ce que permettraient les flux annuels de régénération naturelle de ces ressources. Ce chiffre de 1,2 planète recouvre de fortes inégalités : la majorité des habitants du monde a une empreinte écologique assez faible, en raison d'un niveau de vie et de consommation très réduit. Si tous les habitants de la planète avaient le mode de vie des Américains, il faudrait environ cinq planètes pour y faire face. Si tous avaient le niveau de vie moyen des Français, il en faudrait près de trois.

Plus généralement, tous les constats sérieux convergent : la poursuite de la croissance dans sa forme actuelle ne cesse d’augmenter la pression sur l’environnement dans des conditions qui rendent certaines des catastrophes de grande ampleur et posent même la question de la survie de l’humanité. Pour ne prendre que l’exemple du réchauffement climatique, qui est loin d’être le seul phénomène inquiétant, on sait désormais qu’il s’est fortement accéléré sous l’effet des émissions humaines de gaz à effet de serre, dont le plus important est le gaz carbonique. Or, au-delà d’un réchauffement de 2° par rapport à l’époque préindustrielle, des catastrophes humaines mondiales sont prévisibles, bien plus graves que celles qui ont commencé à se manifester : sécheresses, inondations et tempêtes, élévation du niveau des mers, etc. On est actuellement à 1°, et comme les effets des émissions passées se font sentir durablement, on atteindra au moins 1,5° vers 2030. Au cours du XXIe siècle, si les tendances actuelles ne sont pas inversées, le réchauffement sera compris entre 2° et 6°, sans même évoquer des scénarios plus pessimistes mais non dénués de fondements. En France, pour que notre développement soit « soutenable », il faudrait diviser par quatre nos émissions de CO2 par personne.

Est-il possible d’envisager une « autre croissance » qui respecterait ces contraintes vitales, ou faut-il se résoudre à la « décroissance » ? La réponse n’est pas évidente, et il serait temps que de nouvelles collaborations entre scientifiques et citoyens, en liaison avec des associations et des institutions publiques, aident à bâtir des scénarios chiffrés. Diviser par trois l’empreinte écologique des Français, et par quatre ou cinq leurs émissions de gaz à effet de serre, représente une révolution considérable, aussi bien sur le plan technique que sur celui des modes de vie et de l’organisation mondiale de la production.

Des restructurations majeures sont indispensables


Parmi les restructurations qui semblent les plus importantes, trois pourraient être privilégiées. La première est la mise au point et la diffusion de technologies « propres » dans tous les domaines. C’est la plus citée, elle est très importante, mais on ne peut pas tout en attendre, car l’expérience montre que, si rien ne change par ailleurs, les technologies qui réduisent les impacts écologiques par unité consommée donnent souvent lieu à une relance des quantités consommées (c’est ce qu’on appelle « l’effet rebond »), ce qui peut annuler le bénéfice attendu. Par exemple, les moteurs d’automobiles et de camions consomment moins d’essence au kilomètre, mais si cela s’accompagne d’une progression des distances parcourues, le total des émissions liées au transport routier peut ne pas baisser. D’autant que les politiques publiques suivent la voie néfaste du « tout automobile », de l’expansion des transports routiers de marchandises et de la construction d’autoroutes et de voies rapides, et que l’urbanisation touche des périphéries de plus en plus éloignées des centre-ville. La seconde est une « relocalisation » des activités humaines, privilégiant systématiquement la proximité, les circuits courts, une autre occupation de l’espace, dans une perspective non productiviste exigeant de nouveaux emplois. Le fait avéré qu’un simple yaourt aux fraises industriel contienne des ingrédients qui ont parcouru 9 000 kilomètres avant de se trouver sur notre table est une aberration environnementale qui, ajoutée à bien d’autres, condamne à terme la forme actuelle de la mondialisation aussi sûrement que les dimensions sociales de ses excès. La relocalisation de l’économie est une réponse urgente à l’augmentation continue des transports de marchandises, des nuisances environnementales et de la consommation de ressources énergétiques non renouvelables. La troisième restructuration, baptisée « décroissance sélective » par l’économiste Jean-Marie Harribey, consisterait à identifier les activités utiles à faible pression environnementale et à les favoriser systématiquement, en organisant la décroissance simultanée de celles qui mènent à des désastres écologiques et humains. Mais dans tous les cas, ces restructurations liées ne pourront se passer d’une remise en cause de la religion de la croissance quantitative et du « toujours plus » en matière de consommation, et de politiques de réduction du temps de travail. Les restructurations mentales et celles des valeurs et du sens importent autant que celles qui concernent l’économie et les technologies.
Jean Gadrey*

* Economiste, professeur à l’Université de Lille 1, auteur de Socio-économie des services, La Découverte, 2003.



Réaction(s) à cet article
1 Fin du pétrole : changer notre mode de vie par Alain
le mercredi 28 février 2007 à 15:03
Un thème à aborder dans la campagne est celui des changements profonds que la fin du pétrole implique à court terme dans notre mode de vie : http://travail-chomage.site.voila.fr/energie/fin_petrole.htm

La diminution de la production mondiale du pétrole, c’est pour 2007 ou 2008. Les piles à combustible et les biocarburants sont des solutions... [ lire la suite ]