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-- Sur le vif --
Nicolas Sarkozy à l'épreuve des faits
Nicolas Sarkozy cultive une image d'homme d'Etat, pragmatique et compétent. A chaque problème sa solution, qui tient souvent en une formule choc. Mais avant de lui confier les rênes du pouvoir, il est utile de confronter ce discours à la réalité. Ce texte argumentaire, rédigé par l'Autre campagne, analyse le bilan et les propositions de M. Sarkozy...
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L’histoire par Nicolas Sarkozy : le rêve passéiste d’un futur national-libéral
A lire sur le site du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire
Par le CVUH, coordonné par Sylvie Aprile (Université de Tours)
Des idées courtes au service d'un monde désespérant
Lors d'une interview récente (20 minutes, 16 avril), Nicolas Sarkozy aborde la question du financement de l'enseignement supérieur. Au journaliste qui lui demande comment il compte parvenir à l'" objectif de ne laisser aucun enfant sortir du système scolaire sans qualifications ", il répond : " Par exemple dans les universités, chacun choisira sa filière, mais l'Etat n'est pas obligé de financer les filières qui conduisent au chômage. L'État financera davantage de places dans les filières qui proposent des emplois, que dans des filières où on a 5000 étudiants pour 250 places. " Puis il précise son propos : " Vous avez le droit de faire littérature ancienne, mais le contribuable n'a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a 1000 étudiants pour deux places. Les universités auront davantage d'argent pour créer des filières dans l'informatique, dans les mathématiques, dans les sciences économiques. Le plaisir de la connaissance est formidable, mais l'Etat doit se préoccuper d'abord de la réussite professionnelle des jeunes. "

Ces arguments peuvent sembler frappés au coin du bon sens économique. Il faut néanmoins examiner ce raisonnement et s'interroger sur la conception du monde social qui le sous-tend. Tout d'abord, on notera que si les étudiants des filières littéraires se tournaient massivement vers des études actuellement plus rentables d'un point de vue professionnel, on verrait bien évidemment s'effondrer rapidement le degré de rentabilité de ces dernières. Le raisonnement économique de Nicolas Sarkozy est un peu court : le chômage n'est pas le simple produit d'une inadéquation entre la formation des citoyens et les emplois proposés. Si tel était le cas, on aurait déjà fait le constat que des millions d'emplois disponibles ne trouvent pas d'occupants adéquats.

Mais le plus grave n'est pas là. Il réside dans la vision du monde social que de tels propos supposent. L'enseignement n'aurait donc pour seul objectif que de fournir au marché du travail, tel qu'il existe, des individus employables. Finies les ambitions culturelles, scientifiques, artistiques ou critiques pour l'École : l'État n'aura plus pour mission à l'avenir de financer le " plaisir de la connaissance ", qui deviendra alors un peu plus un plaisir de privilégiés. Nicolas Sarkozy ne voit plus en la culture et en la connaissance le moyen de former des citoyens éclairés, conscients, instruits et capables de s'approprier les produits du patrimoine culturel, artistique et scientifique mondial.

L'enseignement n'est envisagé par Nicolas Sarkozy que sous l'angle des nécessités du marché économique. Mesurer toute chose à l'aune de la rentabilité ou de l'utilité économique à court terme, c'est programmer la destruction d'univers sociaux qui devraient y échapper. On voit bien qu'une logique aussi brutale conduirait à fermer nombre de filières universitaires y compris dans les domaines scientifiques. Au nom de quoi, lancera le candidat aux idées courtes, les " contribuables " devraient-ils financer des filières qui ne conduisent pas aujourd'hui à des emplois ? L'enseignement, la culture, l'art ou la science (comme la santé ou la justice) ne sont pourtant pas des secteurs d'activité comme les autres.

Faire vivre un enseignement supérieur ouvert au plus grand nombre ne serait donc pas un choix économiquement raisonnable ? Mais un monde social qui n'aurait pour seule ambition que d'être économiquement efficace serait un monde profondément désespérant, où le Vrai et le Beau (comme le Bon et le Juste) cèderaient le pas à l'Utile. L'État, historiquement attaché à des missions plus amples que celles des acteurs de l'économie, soucieux de la transmission d'un patrimoine culturel et scientifique, doté de vues moins courtes que celles que proposent les conceptions de la rentabilité immédiate, devrait être l'un des grands garants du maintien et du développement des univers culturels, artistiques et scientifiques. Comme l'écrivait Ernest Renan dans L'Instruction supérieure en France : " Si un jour, les contribuables, pour admettre l'utilité du cours de mathématiques transcendantes au Collège de France, devaient comprendre à quoi servent les spéculations qu'on y enseigne, cette chaire courrait de grands risques. " Il ne croyait pas si bien dire.

Bernard Lahire, sociologue.
Communiqué de la Maison des écrivains
Dans le journal gratuit "20 minutes" du 16 avril, figure une interview de Nicolas Sarkozy. Entre autres sujets, il y parle de l'université et prend pour exemple de filière inutile, et qui ne devrait plus être prise en charge par les fonds publics, l'enseignement de la "littérature ancienne" :

« Vous vous fixez comme objectif de ne laisser aucun enfant sortir du système scolaire sans qualifications. Comment comptez-vous parvenir à cet objectif ? Par exemple dans les universités, chacun choisira sa filière, mais l’Etat n’est pas obligé de financer les filières qui conduisent au chômage. L’Etat financera davantage de places dans les filières qui proposent des emplois, que dans des filières où on a 5000 étudiants pour 250 places.
Si je veux faire littérature ancienne, je devrais financer mes études ? Vous avez le droit de faire littérature ancienne, mais le contribuable n’a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a 1000 étudiants pour deux places. Les universités auront davantage d’argent pour créer des filières dans l’informatique, dans les mathématiques, dans les sciences économiques. Le plaisir de la connaissance est formidable mais l’Etat doit se préoccuper d’abord de la réussite professionnelle des jeunes. »
«Le Pen ne m'intéresse pas, son électorat, si»

Ne prenons pas à la légère ces déclarations du candidat de l’UMP. Pour lui, l’Etat n’a pas à assumer le prix de la culture.
Son jugement sur le « plaisir de la connaissance », opposé à l’utilité ou à la rentabilité érigées en principe politique, manifeste une ignorance et un mépris dangereux qui menacent le socle de toute société démocratique. Il avertit les artistes et les penseurs, nous écrivains, en particulier, du sort qu’il réserve à la culture, la littérature au premier chef, et à leur transmission par l’Education nationale Tous les chefs d’Etat, jusqu’ici : Charles De Gaule, Georges Pompidou, François Mitterrand comme Jacques Chirac ont, chacun à leur manière, exprimé leur attachement à l’héritage intellectuel et artistique qui fonde l’identité française. Ils ont écrit, se sont revendiqués de la poésie, du roman, de l’art.
Dans le contexte déjà alarmant que dénonce notre Appel Filières littéraires, une mort annoncée ?, la gravité de cette déclaration ne peut nous laisser d’illusions. Elle engage la communauté littéraire et éducative à se mobiliser.
26 avril 2007

Nicolas karchérisera l'université
Par Frédéric Neyrat *
La question universitaire[1] fait partie des chantiers que Nicolas Sarkozy veut ouvrir dès les premières semaines de son gouvernement (les 100 jours), s'il est élu. Un chantier de déconstruction, là encore. Certes, le système d'enseignement supérieur français est loin d'être parfait. Inégalitaire à l'origine - est-ce cela l'âge d'or qu'évoquent tous les déclinologues, et Sarkozy au premier rang ? -, il ne s'est que très partiellement démocratisé, malgré sa massification. Mais ce n'est de toute façon pas là l'objectif du candidat de l'UMP. Comme pour d'autres services publics, Sarkozy loue les vertus de la concurrence et à pour projet de déréglementer l'enseignement supérieur. L'autonomie qu'il promet aux universités, réclamée par une partie des présidents d'université (mais non par les conseils qui les ont élu !), est par lui définie comme signifiant " liberté de recrutement des étudiants, y compris étrangers, liberté de recrutement des professeurs et liberté des définitions des programmes de recherche "( Aujourd'hui en France du 21 février 2007).

Il est facile d'imaginer les effets de cette proposition, qui accentuent d'ailleurs les travers du système et prolongent des tendances déjà à l'œuvre. La liberté de recrutement des étudiants sera l'occasion pour ces universités qui veulent devenir " grands établissements ", et se rapprocher par là des grandes écoles, de pratiquer la sélection à l'entrée, comme l'a fait pendant des années, mais cette fois en toute illégalité, l'université de Paris Dauphine. Le candidat devenu président ne passera pas par la loi pour imposer cette sélection : il s'en remettra aux établissements. Toutes les universités ne pratiqueront pas, dès lors, une franche sélection ; mais l'orientation " active ", sur la base du faciès scolaire, qui masque mal un profil social, sera de mise. Quoi qu'il en soit, les inégalités seront encore creusées entre un secteur sélectif (à l'entrée), élargi (les plus " prestigieuses " des universités rejoignant les grandes écoles), et tous les autres établissements, qui verront une partie des meilleurs étudiants, ceux qui ont les moyens financiers de leur mobilité, les déserter.

Mais la liberté de recrutement concernera aussi les étudiants étrangers. On imagine que sera renforcée encore la sélection a priori sur le niveau de français qui, pour les étrangers non francophones, a pour conséquence de privilégier les plus aisés des étrangers, les plus cosmopolites (sur le modèle du fils de diplomate). Mais en réalité prévaudra plus encore, car c'est déjà malheureusement le cas, les considérations strictement mercantiles. Les étudiants étrangers qui intéressent la France sont désormais les étudiants les plus aisés et depuis quelques années l'agence Edufrance essaie d'attirer ainsi en France les étudiants riches du sud-est asiatiques ou des monarchies du golfe plutôt que ceux, moins solvables, d'Afrique ou d'Amérique latine. Et l'on ne s'embarrasse plus, alors, des compétences, notamment linguistiques de ceux que l'on accueille ou à qui l'on vient vendre, sur place, des titres (l'installation, avant le Louvre, de Paris IV la " Sorbonne " à Abu Dhabi).

Mais la chasse aux étudiants les plus solvables (" liberté de recrutement ") ne va pas concerner uniquement les étudiants étrangers. Dans le programme de Sarkozy se profile aussi l'augmentation massive des droits d'inscription (la somme de 4000 euros annuels circule). Il s'agit, nous dit-on, de donner aux universités françaises les moyens de rivaliser dans la concurrence internationale ; et l'Etat, il est vrai appauvri par les baisses d'impôt que Sarkozy consent à ses clientèles électorales, n'a plus les moyens de subvenir à tous leurs besoins. Et d'ajouter que les étudiants pourront emprunter plus facilement, les plus infortunés bénéficiant de bourses ; et le modèle américain, révéré par Sarkozy, propose d'autres solutions originales : l'engagement en Irak pour les plus pauvres des étudiants, l'armée généreuse leur finançant ensuite entièrement leur scolarité. En réalité, si la quasi-gratuité des droits universitaires ne suffit pas à en assurer la démocratisation, l'augmentation massive des frais d'inscription, outre qu'elle sera loin de permettre à toutes les universités de s'extraire de leur pauvreté, sera un puissant facteur d'inégalités entre étudiants (il n'est pas vrai que les plus pauvres, même scolairement méritants, pourront financer leurs études supérieure) dans ce nouveau système, et là encore, entre établissements universitaires.

C'est aussi la liberté, pour les universités, de recruter leurs enseignants que propose le candidat de l'UMP. Mais cette liberté existe déjà : ce sont les commissions de spécialistes, au niveau de chaque université, qui recrutent les enseignants, et ce système n'échappe pas à un certain nombre de travers, au premier rang desquels, le localisme. En fait, c'est au Président d'université, que Sarkozy veut donner ce pouvoir : les critères scientifiques ou pédagogiques passeront immanquablement au second plan, après les considérations managériales ou népotiques.

Enfin, derrière la liberté de définition de leurs programmes de recherche, c'est au développement de la relation avec les entreprises qu'en appelle Nicolas Sarkosy. Mais dès lors que l'Etat se désengage du financement de la recherche fondamentale, cette relation ne pourra être, pour les universités, qu'une relation de dépendance, avec toutes les conséquences que cela signifie[2].

On le voit, le programme de Sarkozy en matière universitaire est funeste. On pourrait attendre de la candidate socialiste une tout autre politique. Mais malheureusement en ce domaine, les trois principaux candidats, de la droite, du centre et de la gauche, proposent derrière l'autonomie des universités, des politiques aux ressemblances troublantes, pas de nature à faciliter le choix des électeurs !

Frédéric Neyrat
* Sociologue, maître de conférences à l'Université de Limoges. Derniers articles parus, " Pour une université vraiment ouverte… " in L'Autre campagne, Ed. La Découverte, 2007. " Le retour du sélectionnisme ", Les Temps modernes n°637-638-639, mars-juin 2006. Co-auteur de Universitas Calamitatum : Le livre noir des réformes universitaires (Editions du Croquant 2003) et de Pour l'éducation permanente, (Syllepse 2005).

[1]
Voir aussi :
- Statut de l'étudiant par Bruno Julliard
- Re-créer un pôle d'attraction à l'université par Pierre Arnoux
- Pour une université ouverte... par Frédéric Neyrat
- Proposition d'action en faveur de la recherche et de la construction européenne par Alain Trautmann
Et aussi sur l'école :
- Introduction par Christian Laval
- Pour un enseignement des sciences sociales et humaines dès l'école primaire par Bernard Lahire
- De nouvelles pratiques pédagogiques pour lutter contre l'exclusion scolaire ? par Bertrand Ogilvie
- L'école face aux inégalités par Fabienne Messica

[2]
Hervé Morin rappelle ainsi dans Le Monde du 10 janvier 2007 " Après l'industrie pharmaceutique, celle des boissons sucrées, fruitées et lactées est suspectée de n'être pas totalement désintéressée dans son financement de la recherche. Un article paru, mardi 9 janvier, dans la revue PLoS Medecine montre que cet appui peut influencer les conclusions des études en nutrition. Après avoir analysé 206 articles, publiés entre 1999 et 2003, David Ludwig, de l'hôpital pour enfants de Boston (Massachusetts), et ses collègues concluent que, lorsqu'ils sont financés par les industriels, les articles scientifiques portant sur des boissons non alcoolisées ont jusqu'à huit fois plus de chance d'être favorables aux intérêts de leurs sponsors que lorsque les recherches sont conduites... "