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>> Politiques sociales et économiques >> Cadres de vie et nouvelles pratiques collectives >> Ségrégation urbaine
 
Pour un droit à l’existence des quartiers populaires
par Marie-Hélène Bacqué* et Jean-Pierre Levy**

 

Ghettos, lieux de violence ou de non-droit, ces représentations stigmatisantes et homogénéisantes se sont peu à peu imposées dans la société française pour décrire la banlieue et ses quartiers dits difficiles. Elles participent d’une pensée urbaine dominante et moralisante qui présente une ville duale ou à trois vitesses marquée par l’entre-soi et la fermeture sociale, vision qui reporte par la même occasion la responsabilité de la ségrégation sur les seuls comportements individuels. Pourtant, la réalité urbaine ne saurait se réduire à cette image certes parlante, mais simpliste. Les quartiers de banlieue montrent en effet une grande diversité et les formes de sociabilité qui s’y développent peuvent être certes conflictuelles mais aussi représenter une ressource pour leurs habitants. Surtout, les logiques politiques qui s’y référent ont toutes au pire échoué, au mieux marqué leurs limites. Construites sur un postulat selon lequel la question sociale serait réductible à la question spatiale, elles ont préconisé dans un premier temps un traitement spécifique de ces quartiers (sans en donner vraiment les moyens). Mais comment un traitement spécifique aux quartiers dits en difficulté pourrait-il seul résoudre les processus de marginalisation en œuvre dans la société dont « la crise » des banlieues n’est qu’un symptôme ? Pour juguler la ségrégation socio-spatiale a ensuite été invoquée la construction volontariste et bien pensante d’une « mixité sociale » au nom de laquelle les gouvernements de gauche puis de droite ont engagé de vastes programmes de démolition du parc social. Certes, qui pourrait s’opposer à l’idée généreuse d’une ville idéale, où groupes sociaux et habitants d’origines diverses cohabiteraient harmonieusement ? Mais il faut cependant bien constater que ces politiques conduisent à détruire un parc social bon marché que l’on ne sait pas reconstituer, à exclure les ménages les plus en difficulté ou d’origine étrangère de l’accès aux logements sociaux (car ils y seraient déjà trop nombreux) et de fait à réduire leurs choix résidentiels. Les incendies récents d’immeubles parisiens ont montré que l’on aboutit à maintenir un habitat insalubre (et dangereux pour les résidents), géré par les pouvoirs publics afin de loger les populations dont personnes ne veut, y compris les bailleurs sociaux. De fait, ces politiques de mixité sociale reposent sur la recherche improbable d’une répartition de la pauvreté dans l’espace (ce qui permettrait de la rendre invisible) mais surtout sur une image a priori négative des quartiers populaires ou de ceux concentrant des populations immigrées qu’il conviendrait de normaliser.

 

« Le problème » des banlieues ne saurait ainsi être traité ni isolément, ni par diffusion des ménages précarisés ou par volonté de normalisation. Une intervention dans ces quartiers passe par un ensemble de mesures articulées, dont certaines sont déjà bien connues mais n’ont jamais été véritablement mises en œuvre. Il convient d’agir sur les espaces de banlieue les plus stigmatisés dans une perspective d’amélioration de l’environnement et de la vie quotidienne pour les habitants, plutôt que dans une logique qui récuse le droit à l’existence des quartiers populaires à travers un refus des concentrations spatiales des populations stigmatisées. Nous préconisons à l’inverse une politique de reconnaissance de ces quartiers, non plus fondée sur les distributions résidentielles des populations en difficulté dans l’espace urbain, mais sur leur accès au logement et à la ville. Il convient en même temps de mettre réellement en œuvre le droit à la ville et au logement en intervenant à l’échelle plus large des seules politiques du logement et du transport par exemple.

 

L’existence d’exclusion spatiale relève autant du faible accès des populations les plus pauvres aux différents quartiers des villes, que d’un refus des habitants des autres parties de la ville à se diriger vers ces quartiers (par peur d’un autre stigmatisé certes, mais aussi parce qu’ils n’ont pas grand chose à y faire). Nous proposons les cadres d’une intervention spatiale dans les banlieues organisée autour de trois objectifs : améliorer l’environnement spatial des quartiers populaires, dépasser la fonction résidentielle de ces quartiers en les rendant attractifs à d’autres usages, éviter l’enfermement des habitants dans ces quartiers en leur rendant plus accessible les autres secteurs de la ville. Par exemple, en ce qui concerne le premier point, il pourra s’agir de développer le commerce de proximité afin d’éviter un recours systématique aux hypermarchés périphériques, certes moins coûteux, mais difficilement accessibles sans voiture. Le second point pourrait conduire à implanter, au cas par cas, des activités susceptibles de mobiliser les habitants de ces quartiers, mais également d’attirer ceux y vivant à l’extérieur. On pense ici aux activités de loisirs, sportives, musicales, culturelles au sens large, de restaurations attractives, de manifestations éphémères… Bref, de toutes activités présentes ailleurs, dans les quartiers « centraux » notamment, mais inexistantes ici, d’activités polarisatrices d’un public large permettant de fournir une image valorisante de l’espace et de ses habitants. Enfin, le dernier point pourra faire l’objet de mesures visant à faciliter l’accès aux centres aux habitants des cités « sensibles » périphériques, qui doivent souvent effectuer en transport en commun des trajets avoisinant l’heure ou plus pour se rendre dans des lieux accessibles en moins de 20 minutes en voiture. Il pourrait également s’agir d’accroître l’autonomie des citadins peu ou mal motorisés et contraints par les horaires des transports en commun pour circuler dans la ville ou rentrer chez eux.

 

Par ailleurs, de façon urgente et dans le court terme, nous plaidons pour une ouverture très large du marché immobilier à ces populations. Nous proposons la reconnaissance d’un droit au logement pour les plus pauvres, qui affirme que tout logement vide, construit ou libéré, soit potentiellement « social », quelle que soit sa localisation, dans des quartiers qui excluent les plus fragiles comme dans ceux qui les concentrent. Cette reconnaissance ne pourra être effective qu’à la condition d’être accompagnée d’un développement sensible des aides à la personne modulées selon les variations géographiques des valeurs foncières, et de la mise en place de garanties aux bailleurs accueillant les populations relevant de ces aides (par exemple un engagement de l’Etat à verser le montant total du loyer aux bailleurs, le locataire versant sa côte part directement au Trésor Public).

Marie-Hélène Bacqué* et Jean-Pierre Levy**

* Professeure à l’Université d’Evry
** Directeur de recherche, CNRS, UMR LOUEST.



Réaction(s) à cet article
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