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LIVRES
André Cicolella auteur, avec D. Benoit Browaeys, d’Alertes Santé, Paris, Fayard, 2005.


 
Refonder le système de santé pour faire face aux épidémies modernes
par André Cicolella*

 
En un siècle de 1906 à 1990, les causes de mortalité ont changé de façon radicale. En 1906 les maladies infectieuses représentaient la 1ère cause de mortalité (18,9%), loin devant les maladies respiratoires (12,8%), les maladies cardio-vasculaires (12,5%) et les tumeurs (3,5%). En 1990 les maladies infectieuses ne représentent plus que 1,8% des causes de décès, les maladies cardio-vasculaires ont pris la 1ère place avec 33,4%, devant les tumeurs (26,9%), mais celles-ci sont la 1ère cause de mortalité prématurée. [1]
Les causes infectieuses de nombreuses maladies ont été découvertes à la suite des travaux de Pasteur à partir de 1870. Mais bien avant la découverte des antibiotiques, l’action sur l’environnement (adduction d’eau, construction des égouts) l’amélioration de l’habitat et du niveau de vie, l’hygiène et l’éducation sanitaire ont permis de diminuer de façon drastique le risque infectieux. C’est  la première révolution de santé publique.
Les épidémies infectieuses n’ont pas disparu pour autant. En témoignent le SIDA, la récente épidémie de Chikungunya et la menace bien réelle, bien que potentielle, de la grippe aviaire. Cependant les causes de mortalité et de morbidité dans les pays du Nord ont aujourd’hui radicalement changé. En France, l’assurance maladie nous fournit un indicateur très précieux avec les ALD (Affections de Longue Durée). En 2004, 6,6 millions d'assurés étaient pris en charge à 100% au titre d'une ALD, soit près de 12% des assurés, ce qui représentaient 60% des dépenses de santé. La hausse sur dix ans est de 73,5% (53,3% si on rapporte ce nombre à l'évolution de la population générale durant cette période). En 2004, 77% des dépenses nouvelles annuelles étaient occasionnées par les 900 000 ALD dont 85% sont regroupées dans 4 familles : maladies cardio-vasculaires, cancers, diabète et affections psychiques.
D’autres sources corroborent ce constat : +63% pour les cancers entre 1980 et 2000. Le vieillissement de la population n’explique que 28% du phénomène ; le reste, soit 35%, est donc à attribuer à des facteurs environnementaux. Aucun progrès thérapeutique majeur n’a été fait contre le cancer depuis 30 ans. Il est donc urgent de changer de logique et de promouvoir d’autres politiques de recherche, comme par exemple le projet de règlement européen REACH qui vise à évaluer les milliers de substances chimiques présentes dans notre environnement et dont on ne connaît rien pour 97% d’entre elles.
Une autre épidémie majeure des pays développés est l’obésité qui touche 12,4% de la population adulte (âgée de plus de 15 ans) contre 11,3% en 2003 et 8,2% en 1997, et est directement la cause de l’épidémie de diabète. [2] La France compte 5,91 millions d’obèses et l’obésité infantile a été multipliée par 6 en 40 ans. La cause est connue : « malbouffe » et sédentarité, doublées des inégalités socio-économiques. En France, 17% d’obèses chez les moins de 1 200 euros/mois contre 6% chez les plus de 3 800 euros/mois. Face à cette épidémie, la démarche thérapeutique classique est impuissante : « la médecine apporte des progrès modestes pour la perte de poids des patients obèses. La prise en charge reste centrée sur le régime hypocalorique associée à une activité physique modérée ». [3] Malgré cela l’industrie pharmaceutique veut faire croire qu’elle a la solution. En témoigne le lancement par Sanofi-Aventis de son traitement contre l’obésité Acomplia, auquel la FDA aux États Unis vient de donner son feu vert. Par ailleurs, l’asthme et les allergies progressent. Et là aussi, la cause est dans notre environnement, notamment l’environnement intérieur.

Face à ces nouvelles épidémies, notre système de santé est en retard. Construit pour faire face aux maladies infectieuses, il n’arrive pas à faire face aux maladies chroniques, parce qu’il repose sur la seule logique curative. Celle-ci doit évoluer car pour les maladies chroniques, la qualité du suivi et la prise en charge de sa maladie par le malade sont essentielles. En outre, il faut agir sur les causes environnementales. Il est donc urgent de refonder le système de santé sur 3 piliers : soin, environnement et éducation. Tout notre appareil institutionnel doit être repensé dans cette logique. Il s’agit donc de mettre fin aux coupures héritées de l’après-guerre : entre santé publique et assurance maladie, entre environnement et travail, entre santé scolaire et Protection Maternelle et Infantile. L’enjeu est aujourd’hui de sortir de construire un système de santé à même de traiter les causes des maladies contemporaines et de faire de chaque citoyen l’acteur de sa propre santé.

L’instrument d’une telle refondation du système de santé est le Conseil Régional de Santé. Aujourd’hui, c’est un comité consultatif. Il doit devenir un comité délibératif avec un Conseil d’Administration composé de 3 collèges élus, dans lequel le citoyen serait doublement représenté (par des élus choisis sur des listes présentées par les syndicats, les associations de malades et de victimes, les associations écologistes, les mutuelles, et par des élus représentants les collectivités locales) et au sein duquel un troisième collège serait ouvert aux représentants élus des professions de santé. Ce Conseil Régional de Santé s’appuierait lui-même sur trois Agences Régionales, en charge respectivement de l’offre de soins, de la santé environnementale et professionnelle, de l’éducation et de la promotion de la santé. Ces Conseils Régionaux de Santé passeraient des Contrats de Plan Santé État-Région, l’État conservant bien évidemment la charge de garder la cohérence du système et son contrôle. C’est cette logique de démocratie sanitaire qu’il faut privilégier pour repenser le système de santé pour stopper les nouvelles épidémies, rendre les citoyens « responsables » du système de santé et, in fine, maîtriser les dépenses. La logique de privatisation, prônée par certains, au contraire, ne permet pas, comme le montre l’exemple des Etats Unis, de maîtriser les dépenses de santé et a, en outre, pour conséquence d’aggraver les inégalités de santé.
André Cicolella*

* Chimiste et toxicologue, chercheur en santé environnementale, spécialiste de l’évaluation des risques sanitaires, à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), président de la Fondation Sciences citoyennes, co-auteur, avec Dorothée Benoit Browaes, de Alertes santé. Experts et citoyens face aux intérêts privés, Fayard, 2005.

[1] Remontet L Rev Epidemiol Sante Publique. 2003 Feb.51(1 Pt 1):3-30.
[2] Selon la dernière enquête Obépi (sept. 2006).
[3] Prescrire, n°276.