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>> Politique internationale et enjeux planétaires >> Un monde pacifié >> Lutter efficacement contre le commerce des armes
 
Mettre fin à la collusion entre l’État et le trafic international des armes
par Nils Andersson*

 
Lors d’une réunion sur la prévention des crises dans le contexte de la guerre des Balkans, une opinion avisée fit entendre que la prévention des crises n’avait pas d’avenir, car elle ne rapporte pas. En juillet 2006, en raison du refus des Etats-Unis mais aussi de Cuba, de l’Inde, de l’Iran, d’Israël et du Pakistan de s’accorder sur un document final visant « à empêcher les exportations vers des destinations où ces armes pourraient être utilisées en violation des droits de l'homme », une même logique a fait échouer la conférence de l'ONU sur la lutte contre le trafic des armes légères.
Un échec qui interpelle sur l’état du monde et témoigne de l’importance de s’opposer, aux intérêts étatiques, industriels, financiers et mafieux d’un commerce qui tue 800 000 personnes par an. [1]

L’influence politique du système militaro-industriel


En 2005, les dépenses militaires dans le monde ont été estimées à 1 118 milliards de $, soit le PIB du Canada, neuvième puissance économique mondiale ; quinze États totalisent 84% de ces dépenses et les Etats-Unis 48% à eux seuls. Vu l’importance des budgets de la défense et les liens étroits qui existent entre gouvernement, armée, finance et industrie de l’armement, le système militaro-industriel se trouve au cœur du pouvoir des principales puissances, influant non seulement la politique sécuritaire et de défense, mais les politiques étrangères, industrielle, commerciale et de la recherche.
Si la capacité de production d’armements de haute technologie est réservée aux grandes puissances, les industries d’armement prolifèrent dans le monde entier. Selon Oxfam International, 1 249 entreprises, implantées dans plus de 90 pays, produisent des armes légères et 14 milliards de balles par an, une dissémination qui contribue à rendre ce marché encore plus opaque et cynique. Triste exemple, 1 118 milliards de $ représentent 172 $ de dépense en armement par habitant de la planète soit, tragique coïncidence des chiffres, l’équivalent du PIB per capita de l’Érythrée, pays ravagé pas la famine et les guerres qui consacre près de 20% de son PIB à l’importation d’armes !
L’intensité des guerres en cours en Irak, en Afghanistan et au Proche-Orient, les conflits régionaux et les guerres civiles sur les continents africain et asiatique, mais aussi américain et européen, l’importance des dispositifs de lutte antiterroriste mis en place dans le monde, renforcent encore l’emprise funeste du système militaro-industriel sur les politiques gouvernementales, privilégiant le recours à la guerre pour résoudre les crises.

L’importance économique du marché des armes

Le chiffre d’affaires des cent premiers fabricants d'armes, en augmentation constante (plus 15% en 2004), correspond au PNB de 61 pays pauvres. Si l’on s’en tient au commerce des armes conventionnelles (comprenant mitrailleuses lourdes, lance-grenades portables, canons lance-missiles, lance-roquettes portatifs et mortiers de calibre inférieur à 100 millimètres), les principaux États vendeurs d’armes sont la Russie (34,3% des exportations mondiales), les Etats-Unis (30,2%), la France (8,5%) et la Grande-Bretagne (5,5%). Avec la Chine (0,6%, sans données sur ses exportations de munitions), les cinq membres permanents du Conseil de sécurité représentent 79,1% des exportations mondiales d’armes. Qui dit vendeur, dit acheteur, quels sont les principaux États clients ? On trouve l’Inde (13,1% des importations), la Chine (12,9%), la Grèce (7,9%), les Émirats Arabes Unis (6,9%), l’Arabie Saoudite (4,6%), la Corée du Sud (4,1%) et Israël (4%). À eux sept, ces pays représentent plus de 50% du marché des armes.
Il n’échappe à personne que les principaux États exportateurs – trois pays membres de l’OTAN plus la Russie – et les sept principaux États importateurs, situés en Méditerranée orientale, au Proche et Moyen-Orient, en Asie méridionale et orientale, reflètent très exactement l’échiquier géopolitique de ce début du XXIe siècle et la zone des conflits majeurs ouverts ou potentiels dans le monde. Seule une volonté politique, un projet international, qui s’interrogeraient et se prononceraient sur les guerres en cours, la bunkerisation de l’Occident, l’exacerbation des discours nationalistes et religieux, seraient à même d’inverser l’engrenage mortifère de prolifération des armes, de la balle du fusil à l’arme nucléaire.

Le lobby des trafiquants d’armes

Si un monde sans guerre relève toujours de l’utopie, au moins faut-il nourrir l’ambition – maîtrise de la raison et du possible –, de réguler et d’assainir le commerce des armes. Selon Control arms, l’industrie de l’armement « fonctionne sans aucun contrôle. Elle est gangrenée par la corruption et les pots-de-vin. Et elle s’enrichit grâce à des machines qui sont destinées à tuer et à mutiler. » Les liens entre marché illicite et licite sont notoires, le système fonctionne sur une collusion entre États, fabricants d’armes, courtiers en armement, systèmes bancaires et entreprises de fret international. Seule une telle connivence permet aux marchands d’armes de livrer annuellement, sur catalogue, où que ce soit dans le monde, impunément, des centaines de milliers de tonnes d’armes et d’équipements : des munitions au char d’assaut, du fusil aux moyens de communication les plus sophistiqués. Livraisons effectuées, ce qui relève du crime de guerre et du crime contre l’humanité, y compris dans des zones de conflits où l’ONU a décrété un embargo sur les armes.
Estimé à 1 milliard de $ par an, le marché illicite n’est que la part congrue du commerce des armes, mais il est au cœur de la criminalité économique, là où se croisent les réseaux de la corruption internationale. Lutter efficacement contre ce commerce de mort exige la mise en place d’un contrôle rigoureux dans l’attribution par l’État des licences de courtage ainsi qu’une réelle traçabilité du marché des armes par le suivi des mouvements financiers et des voies d’acheminement maritimes et aériennes liés à ce commerce.
Troisième exportateur d’armes dans le monde, une France, ni acteur, ni complice, doit par la loi, par des juges indépendants et par une action déterminée au sein des organisations internationales, faire montre d’une volonté politique forte contre le trafic des armes. Une autre campagne, c’est, conscient du très puissant réseau d’intérêts qu’il constitue, vouloir et oser combattre ce commerce du mal.
Nils Andersson*

* Coprésident de l'Association pour la défense du droit international humanitaire (ADIF) et membre du conseil scientifique d'ATTAC.

[1] Les chiffres sont ceux pour 2005 de la SIPRI, du PNUD, d’Amnesty International, de l’Oxfam ou de la CIA.