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>> Politique internationale et enjeux planétaires >> Un monde pacifié >> Imposer le respect des droits de l’homme et la justice internationale
 
Une Cour mondiale pour imposer le respect des Droits de l’Homme
par Monique Chemillier-Gendreau*

 
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. »

« Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

(Articles 1er et 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme)

Il a fallu attendre le milieu du XXe siècle pour que des textes internationaux aient vocation à s’appliquer à toutes les sociétés. Toutefois, la souveraineté de chaque État limite le droit international à des accords interétatiques (les traités) et les États sont libres de leurs engagements par traités. Ainsi le corpus du droit international des droits de l’homme (Déclaration Universelle de 1948, Pactes sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques, sociaux et culturels de 1966 et autres textes portant sur l’interdiction du génocide, de la torture, sur le droit humanitaire en cas de conflits armés, sur les discriminations, sur les droits des femmes, des enfants, etc.) forme-t-il un ensemble incertain, chaque texte étant signé par un nombre variable d’États.

Le rôle de la coutume vient consolider un peu le système, puisqu’une règle s’appliquera à tous si l’on peut démontrer que d’une manière ou d’une autre un consentement unanime a été donné à son contenu. Mais il faut l’autorité d’un juge pour constater l’existence de la coutume. Or la justice internationale est elle-même soumise au principe de souveraineté. Les juridictions internationales (Cour Internationale de Justice de La Haye, Cour Pénale Internationale) ne peuvent être saisies qu’avec le consentement des États concernés et nombreux sont ceux qui refusent ce consentement.

Le système de contrôle international des droits de l’homme comporte deux volets, non judiciaires et assez faibles. D’une part, aux Nations unies la Commission des Droits de l’Homme chargée seulement de recevoir des pétitions sur des situations de violations flagrantes et systématiques des droits et libertés a été peu à peu décrédibilisée, chacun considérant qu’elle était partisane dans les choix des pays auxquels étaient adressés des rapports critiques. En 2005 cette Commission a été remplacée par un Conseil des Droits de l’Homme dont les membres sont élus parmi les États qui respectent les normes les plus élevées en matière de droits de l’homme. Mais les États réputés vertueux perpétuent parfois des violations graves, le plus souvent dirigées vers des populations étrangères. Et la réforme amorcée n’est pas accompagnée des véritables pouvoirs judiciaires qui permettraient de sanctionner les auteurs de violations. D’autre part, les traités internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme prévoient généralement un système de rapports et un mécanisme de pétitions/communications. Le Pacte International pour les Droits Civils présente le système de suivi le plus élaboré. Il est assorti d’un Comité des Droits de l’Homme devant lequel un État peut être mis en cause, soit par un autre État, soit à la suite d’une communication individuelle. Toutefois, pour que ce mécanisme fonctionne, il est nécessaire que les États concernés aient accepté la compétence du Comité et qu’ils n’aient pas fait de réserve ou de déclaration qui entraverait la compétence de celui-ci. Or, seulement une moitié des États membres des Nations unies ont adhéré au Protocole facultatif concernant les communications individuelles et près des trois quarts ont refusé de faire la déclaration de l’article 41 du Pacte relatif aux plaintes étatiques. D’ailleurs, lorsque le Comité est saisi, les observations qu’il adresse aux États ne sont pas des décisions exécutoires et assorties de l’autorité de la chose jugée. Aussi, n’est-ce pas là une garantie suffisante des droits pourtant proclamés.

À l’échelle régionale, c’est en Europe que les progrès sont les plus réels. La Cour Européenne des Droits de l’Homme créée en 1953 dans le cadre du Conseil de l’Europe est l’organe judiciaire de garantie d’application de la Convention Européenne. Depuis l’adoption, le 11 mars 1994 du Protocole n°11, les habitants de l’Europe disposent d’un droit de recours direct (sous réserve de l’épuisement des voies de recours internes). Peu à peu, cette possibilité a fait son chemin dans les mentalités comme dans les pratiques des professionnels du droit et le système européen gagne ainsi en efficacité.

En Amérique, la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme, établie par la Convention du même nom en 1969, mais mise en place en Août 1979, instaure un système plus limité puisque les particuliers ne bénéficient pas d’un accès direct à la juridiction. Les tentatives faites sur les autres continents, notamment en Afrique, n’ont pas mené jusqu’ici à des mécanismes de nature à améliorer concrètement la situation des humains, victimes de violations souvent massives de leurs droits.

Ainsi, tous les hommes ne sont pas « égaux en droits » et n’ont pas droit « en pleine égalité » à ce que leur cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal impartial et indépendant. Le réfugié, refoulé aux portes de l’Europe, retenu dans un camp par un accord entre les pays européens et des pays de transit, l’opposant politique de nombreux pays du monde extra-européen, les femmes des pays musulmans ou d’ailleurs désireuses de voir cesser les inégalités et les violences dont elles sont victimes, ne disposent d’aucun recours comparable à celui dont bénéficient les Européens (même si l’on conviendra facilement que les mécanismes européens doivent encore être améliorés).

L’ouverture du monde qui favorise les inégalités, lesquelles engendrent de la violence, requiert des réponses de grande ampleur. Une communauté mondiale se construit sous nos yeux, non pas se substituant aux communautés nationales, mais se combinant à celles-ci. Mais elle n’est pas pensée autour de valeurs politiques communes. L’universalité des droits de l’homme est un aspect de la réponse à ce problème. Mais il faut un saut qualitatif, celui d’une juridiction commune, dont l’accès serait le même pour tous les humains. C’est donc une Cour Mondiale des Droits de l’Homme qu’il faut s’employer à promouvoir à présent. Elle aurait compétence pour faire appliquer la Charte Internationale des droits de l’homme, pourrait être saisie à certaines conditions par tous les humains et ses décisions s’imposeraient aux États. Seule, la montée en puissance d’une demande en ce sens venant de la société civile du monde entier peut donner réalité à ce projet. Les grandes Organisations non gouvernementales qui militent pour les droits de l’homme, contre le racisme et les discriminations, ne peuvent se satisfaire des réformes minimalistes en cours. L’ambition ici proposée est la seule compatible avec un projet de dignité humaine universelle, sans arrière-pensées.

Monique Chemillier-Gendreau*

* Professeure émérite de droit public et de sciences politiques à l’université Denis-Diderot-Paris-VII, présidente de l’Association européenne des juristes pour la démocratie et les droits de l’homme dans le monde.