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Face au changement climatique : l’imagination en action
par Carter Brooks*

 
Le changement climatique est le plus grand défi jamais posé à la civilisation et il faudra plus que des progrès technologiques et de la volonté politique pour y répondre. En l'espace de quelques générations, l'entreprise humaine aura évaporé dans l'atmosphère des millions d'années de forêts ancestrales, des montagnes de charbon et des océans de pétrole. Un tel événement ne peut manquer d'avoir des conséquences dramatiques. Nous vivons une période historique non seulement pour l’humanité, mais pour la Terre elle-même. A quel autre moment de l’histoire de notre planète, une espèce a-t-elle provoqué un événement géologique d’une ampleur comparable à la fonte des calottes glaciaires ?

Les impacts sociaux directs du réchauffement climatique sont multiples : déficits d’approvisionnement en eau liés à la disparition des glaciers, mauvaises récoltes, inondations, apparition de nouvelles maladies, problèmes sanitaires liées aux canicules, etc. De manière indirecte, l’abandon des combustibles fossiles nécessitera des changements radicaux de notre structure économique et de nos modes de pensée, qui pourraient avoir des effets positifs à long terme… ou négatifs. Car chaque jour qui passe restreint les options à notre disposition. Nous sommes peut-être en train de nous précipiter vers un monde où la simple survie passera par le sacrifice de la liberté personnelle que nous chérissons tant. De fait, les enjeux sont des plus élevés.

Aussi n'est-il guère surprenant que le réchauffement planétaire soit devenu un enjeu politique, social et émotionnel davantage qu'une simple question scientifique rationnelle. S’infiltrant dans toutes les conversations publiques, de la politique à l'économie en passant par la justice sociale, le réchauffement planétaire devient, au-delà de l'événement lui-même, un symbole. Réapproprié, il sert d’armes dans des conflits déjà existants. Aux États-Unis par exemple, l'extrême-droite déclare qu'il s'agit d'un canular fabriqué par des éco-fascistes cherchant à renforcer le contrôle du gouvernement sur nos vies, tandis que la gauche en fait une preuve supplémentaire des défaillances du capitalisme.

La rhétorique habituelle passe malheureusement à côté de cet événement dramatique. La crise du climat, nous dit-on, est un problème de pollution appelant des solutions technologiques et politiques : une énergie « propre » et des plafonds d'émission. Il est rarement fait mention du pré-supposé implicite que notre « besoin » en énergie est non négociable. Or la crise vient précisément du fait que nous avons trop d'énergie. Littéralement. Nous sommes tombés par hasard sur le coffre bancaire de Dame nature : des millions d'années de réserves énergétiques que nous dépensons comme s'il était naturel de s'emparer à loisir d'une liasse de billets. Pire encore, nous avons créé une situation dans laquelle nous ne pouvons pas rester en dehors du coffre, parce que notre vie en dépend.

L’un des paradoxes de la situation actuelle est que, pour être optimiste, il faut commencer par être pessimiste. L'approche technologique et politique simple préconisée – la transition vers des énergies propres et l’imposition de plafonds d’émissions de carbone – pourrait marcher… en théorie. En pratique, son efficacité est improbable. Ainsi, par exemple, les objectifs de Kyoto sont généralement reconnus comme insuffisants, même si les États-Unis et l’Australie les respectaient. Pendant ce temps, la Chine construit une nouvelle centrale au charbon chaque semaine, dont les émissions annuleront bientôt tous les efforts consentis.

Il nous faut donc refuser tout optimisme de surface : le véritable espoir doit se bâtir sur une évaluation honnête de la situation, source de soulagement et d'inspiration nés de la reconnaissance de ce que nous savons déjà dans nos tripes, mais que nous n'avons pas eu le droit de dire. La réponse à ce défi social n'est pas à chercher du côté des solutions technologiques. L'espoir réside, en réalité, dans l'amplification de la question sociale et morale.

Comme le souligne Al Gore, l’expression chinoise pour le mot « crise » s'écrit en mêlant les caractères de « danger » et « opportunité ». « Cette crise nous apporte l’opportunité de découvrir ce que peu de générations dans l’histoire ont eu le privilège de savoir : une mission de génération ; l’ivresse d’un dessein moral fort ; une cause partagée et unificatrice ; la passion d’être forcé par les circonstances de mettre de côté la mesquinerie et le conflit qui étouffent si souvent l'inlassable besoin humain de transcendance ; l’opportunité de s’élever. » (Vanity Fair)


Si le problème est une crise morale, elle peut être l'occasion de découvrir notre imagination morale, que l’on peut concevoir comme la motivation d’agir non pas pour nous-mêmes mais pour quelque chose que nous aimons encore plus, comme nos enfants. Cela nécessitera de franchir les obstacles à notre créativité que sont les habitudes ancrées, les conversations en impasse permanente ou encore les règles sociales, pour réinventer un langage et une culture où le changement climatique pourra être perçu dans toutes ces dimensions. Nous aurons besoin pour cela d’artistes, de conteurs, de philosophes tout autant que de scientifiques et de sociologues. Si le problème est au-delà de tout ce que la civilisation a connu jusqu'ici, alors la résolution ne peut venir que de quelque chose que nous n'avons pas encore envisagé.

Voici donc ma proposition. Résistez à la pression de faire une proposition. Refusez le piège du paradigme problème/solution. Donnez libre cours à votre imagination pour faire que chacune de vos actions soit importante pour les petits enfants de vos petits enfants, tout en osant ne pas avoir de réponse. Éteignez votre télévision. Fermez les yeux. Posez votre journal et arrêtez d’accepter le sujet de conversation d’autrui pour le débat du dîner de ce soir. Promenez-vous et commencez à écouter d’autres voix, essayez de nouvelles idées, rejoignez l'autre campagne.

Chemin faisant, nous pourrions découvrir que le réchauffement climatique n’est même pas un problème en attente d'une solution, mais une crise menant à une transformation. Une transformation de quoi ? Je laisse cela à votre imagination.
Carter Brooks*

* Artiste, activiste et scientifique, passionné par la manière dont nous pensons et comprenons le changement climatique. Il a récemment été sélectionné pour être l'un des cinquante premiers présentateurs du projet Climat d'Al Gore.

Traduction de l’Américain par Caroline Rolland-Diamond