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>> Politique internationale et enjeux planétaires >> Quelle place dans le paysage international pour l’Europe et la France ? >> Pour une reconnaissance universelle du droit d’asile
 
Pas un Empire du rejet, un continent d’asile !
par Jérôme Valluy*

 
Le droit d’asile contemporain, en partie issu du marasme éthique des démocraties face au besoin de protection des Juifs, dès les années 1930, est énoncé dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 : Articles 13 « 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. - 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » Article 14 : « 1. Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays. - 2. Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. ». Ces deux articles sont indissociables, le premier énonçant une condition de mise en œuvre du second : pas d’asile si l’on ne peut quitter son pays et entrer librement dans un autre.
L’histoire comme l’actualité montrent combien ces articles sont à la fois précieux au genre humain et exposés à la faciliter de bafouer ce droit fondamental : il suffit pour cela d’empêcher l’accès aux territoires refuges et/ou de rejeter massivement les demandes d’asile de ceux qui parviennent à passer. C’est ce qui se passe en Europe où les taux de rejet ont été progressivement augmentés jusqu’au voisinage actuel des 100% et où les politiques de camps externes ainsi que la militarisation des frontières visent à bloquer l’accès aux pays refuges.
Cette « Europe des camps » [1] est le produit d’une histoire déjà longue qui voit se développer depuis trente ans, une xénophobie de gouvernement tendant, par des politiques publiques, à stigmatiser l’étranger comme une menace pour la société d’accueil et à le tenir à l’écart : « fermeture » des frontières, rejet des demandes d’asile, refus massifs de visas, restrictions au regroupement familial, aggravations des conditions de séjour, soupçon contre les mariages mixtes, contrôles policiers des étrangers, incarcérations pour des motifs liés aux conditions de séjour, dramatisation des passages de pateras, création du délit de solidarité avec les exilés, programmation de rafles et d’expulsion de masses, implantation de camps externes… Les politiques publiques sont des « discours » qui parlent davantage et font plus de bruit dans l’espace plus que n’importe quel parti.
Sans la geste haineuse et la vulgarité et bien avant la résurgence de la xénophobie contestataire des groupuscules d’extrême droite, la xénophobie de gouvernement s’est exprimée avec le froid détachement qui sied aux élites dirigeantes dans la désignation d’une menace et la réflexion technocratique sur les moyens d’y faire face. L’origine du grand retour des nationalismes xénophobes dans le champ politique européen, à un niveau sans précédent depuis les années 1930, est à chercher dans l’intérêt objectif des élites à focaliser les regards et les énergies sur la lutte des « ethnies » plutôt que sur celle des « classes », sur l’immigration plutôt que sur la récession. Ce mécanisme de pouvoir très universel qu’est l’union sacrée contre l’étranger, les européens savent l’identifier lorsqu’il s’agit d’analyser des situations en Afrique ou en Asie, mais peinent à le reconnaître dans leurs propres pays.
Cette Europe là déborde aujourd’hui de ses frontières, poussant les pays voisins à dupliquer sa xénophobie de gouvernement pour bloquer leurs frontières et criminaliser l’émigration de leurs propres citoyens, pratique pourtant si décriée lorsqu’elle était communiste, durant la guerre froide. Dans cette nouvelle sorte de guerre même les dispositifs juridiques ou financiers apparemment vertueux deviennent sujets à caution : le droit de l’asile, devenu du droit du rejet, est « externalisé » par l’Europe chez ses voisins non pas pour protéger les exilés mais pour éloigner l’endroit et avancer le moment de leur rejet. Les subventions européennes aux ONG de solidarité, tant en matière de développement que d’action humanitaire, tendent à être alloués en fonction de la capacité des actions financées à fixer l’étranger au loin.
Sous ses deux faces, interne et externe, l’Europe devient un Empire du rejet, où se conjuguent l’empire idéologique intérieur acquis par la xénophobie de gouvernement et son utilisation géostratégique, aux Marches de l’Union, pour fermer ses frontières et orienter ses interventions dans le reste du monde.
Que faire dans un contexte historique aussi dégradé ? Chacun dans son domaine peut apporter une réponse particulière à cette question. Il est cependant nécessaire de coordonner les efforts vers des finalités communes. C’est ce qu’ont tenté de faire plusieurs centaines de personnes, représentant notamment des organisations très diverses d’Afrique Subsaharienne, du Maghreb et d’Europe réunies à Rabat les 30 juin et 1er juillet 2006 pour la première conférence non gouvernementale euro-africaine sur les « Migrations, droits fondamentaux et liberté de circulation ». Le Manifeste (www.migreurop.org/article926.html) issu de cette conférence appel à la refondation des politiques migratoires en exigeant :
« 3) la dépénalisation du délit de séjour irrégulier et de l’aide aux personnes contraintes à ce type de séjour ;
4) l’annulation des accords de réadmission de personnes expulsées et l’abandon de toute négociation en ce sens par les Etats ;
5) la suppression des visas de court séjour, de toutes les entraves posées à la sortie d’un territoire, et la justification détaillée et contrôlée des refus de visas d’établissement avec une stricte symétrie des conditions africaines et européennes de délivrance de ce type de visas ;
6) la fermeture de tous les lieux d’enfermement et autres dispositifs de blocage des personnes aux frontières ;
7) l’abolition de toutes les mesures faisant obstacle aux possibilités de regroupement familial ;
8) l’application complète et sincère de tous les instruments de protection internationale afin de ne pas réduire le droit d’asile à une simple fiction ;
9) l’octroi systématique à tous les réfugiés statutaires d’une complète liberté de circulation et d’installation et d’une protection à travers le monde ;
10) la refondation financière et juridique du HCR de manière à ce qu’il protège effectivement les demandeurs d’asile et réfugiés et non pas les intérêts des gouvernements qui le financent ».

Jérôme Valluy*

* Politologue, maître de Conférences à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), fondateur du réseau scientifique TERRA, membre de l’association Migreurop, ancien Juge représentant le HCR à la Commission des Recours des Réfugiés.

[1] « L’europe des camps : la mise à l’écart des étrangers », revue Cultures & Conflits, n°57, avril 2005. Texte intégral en ligne : www.conflits.org/sommaire1710.html