L'autre campagne L'Autre campagne Michel Herreria
Retour à l'accueil

>> Politiques sociales et économiques >> Repenser les notions de travail, revenu et activité >> Introduction : Se réapproprier collectivement le travail
 
Se réapproprier collectivement le travail
Introduction
par Maud Simonet*, Cédric**, Vérène Chevalier*** et Sophie Pochic****

 
Dans un contexte de chômage de masse, des projets politiques, très médiatisés durant les années 1990, nourris par les thèses sur la « fin du travail », se proposaient de résoudre les problèmes du travail en libérant les individus de celui-ci. Puisque l’évolution de l’industrie en France détruisait des emplois peu qualifiés et que les gains de productivité diminuaient la main-d’œuvre nécessaire, les politiques publiques ne devaient-elles pas s’affranchir de l’objectif irréaliste du retour à l’emploi de tous les chômeurs « surnuméraires » ? Aux remises en cause de la centralité du travail se conjuguait alors une valorisation des « activités de non travail ». Du contrat d’activité à l’allocation universelle en passant par le revenu d’existence ou le revenu d’utilité sociale, une série de dispositifs ont alors été imaginés. Tous centrés sur la notion « d’activité », ils agençaient, sous des modalités diverses et à des degrés plus ou moins développés, un revenu – minimal – et des droits – du citoyen.

Dix ans plus tard, comme le montrent É. Perrin et P. Larrouturou, la question du chômage est loin d’être résolue, la précarité de l’emploi, surtout pour les jeunes et les femmes, n’a cessé d’augmenter. Dès lors, il convient de renverser le projet des utopies du temps libre des années 1990, et de commencer par résoudre, dans la sphère même du travail, les problèmes qui lui sont propres pour permettre aux individus de s’en libérer. Qu’il s’agisse de la sécurité sociale professionnelle ou des nouveaux statuts du salarié, les propositions politiques qui ont cours aujourd’hui, en partie présentées ici, s’efforcent de répondre à cette double ambition. A la différence de la décennie qui précède, elles sont centrées sur le travail lui-même et non plus sur l’activité, et visent à permettre l’accès à un revenu – décent – et des droits – du travailleur. On peut d’ailleurs noter qu’elles sont moins portées par des intellectuels que par des structures collectives de représentation des salariés et des précaires.

Replacer les utopies liées au travail dans la sphère du travail peut permettre en outre de libérer les activités traditionnellement considérées comme relevant du hors-travail des enjeux du monde du travail rémunéré. Derrière le voile de la citoyenneté ou de l’apprentissage, nombreuses sont aujourd’hui les formes de travail invisible (bénévolat, volontariat, stage, etc.), c'est-à-dire non pleinement reconnues par un salaire et des droits qui permettent aux mondes du travail privé et public de fonctionner. La question se pose alors de savoir comment les reconnaître institutionnellement sans créer une pléthore de statuts en deçà de l’emploi ? Plus généralement, les évolutions des conditions des travailleurs et des chômeurs sont étroitement liées. Les reculs des droits des travailleurs, en particulier des plus précaires, et ceux des chômeurs, n’ont cessé de « s’alimenter » durant ces vingt dernières années.

L’enjeu ici est double : d’une part, penser à la fois ceux qui sont hors du salariat et ceux qui sont dedans dans des positions précaires, et, d’autre part, concilier conditions individuelles au travail et revendications collectives. Pour se faire, trois sphères d’action concrète peuvent être distinguées en théorie, même si elles sont imbriquées en pratique : les dispositifs de négociation du travail, les relations d’emploi et le contenu du travail.

Sur le premier point, l’enjeu est de tenir ensemble des dispositifs nationaux contraignants d’encadrement du marché du travail et de protection des travailleurs, et des espaces de négociation dans les structures économiques locales et internationales. Les innovations en matière d’élargissement de la représentativité syndicale constituent une étape importante dans ce processus, comme le souligne S. Béroud, de même que celles qui portent sur la reconnaissance des comités de groupe européens dans les multinationales, pour autant qu’ils ne soient pas vidés de tout contenu de négociation. Restent également à inventer des formes de représentation des exclus du marché du travail dans les sphères de négociation sur le marché du travail. Enfin, la représentation des classes populaires au sein des instances de décision des partis politiques conditionnera probablement la manière dont les pouvoirs politiques s’empareront de la question du travail.

C’est probablement sur les relations d’emploi que les partis et mouvements progressistes apportent le plus de propositions. Loin des slogans pseudo-modernes sur le « nomadisme » ou la « flexibilité », ces propositions soulignent l’importance de la stabilité et de la prévisibilité comme moyen de construire une vie sociale et personnelle de qualité. Ceci passe par la stabilisation des revenus tout au long de la vie, l’augmentation des revenus en particulier en bas de l’échelle (minima sociaux, allocations de chômage, salaires, etc.), mais aussi la régulation sociale du marché de l’emploi (par exemple, en remplaçant le temps partiel souvent imposé par la réduction collective du temps de travail).

Enfin, tout ou presque reste à faire pour améliorer le contenu même du travail. Ces dernières années, des délégués syndicaux, des médecins du travail, des ergonomes, des sociologues ont attiré notre attention sur la dégradation des conditions de travail des travailleurs subalternes. On (re)prend conscience aujourd’hui que le travail peut être nuisible, physiquement et moralement, pour les travailleurs. Le succès médiatique de la notion de « harcèlement moral » en est un révélateur, même si ce concept psychologisant occulte en partie la dimension collective de l’organisation du travail comme le montre bien D. Cru. Mais des propositions manquent pour permettre aux salariés de se réapproprier leur travail, un travail plus diversifié, plus épanouissant. Les intellectuels ont souvent tendance à s’abstraire de la sphère du travail et à penser, que le travail, c’est l’autre et sa souffrance. Pour le libérer de sa souffrance, sans doute est-il plus simple de proclamer la fin du travail… que de se pencher, comme trop peu l’ont fait, sur le contenu précis des tâches et de réfléchir, au-delà du partage du travail, aux conditions d’une division du travail plus enrichissante pour chacune et chacun.
Maud Simonet*, Cédric**, Vérène Chevalier*** et Sophie Pochic****

* Chargée de recherche au CNRS, GRASS, IRESCO.
** Chercheur et enseignant en sociologie, il a participé à la création et à l’organisation du collectif Sauvons La Recherche-Iresco.



Réaction(s) à cet article
1 Durée du travail, productivité, chômage par Camille
le dimanche 21 janvier 2007 à 16:04
- Apparences et réalités de la durée du travail, en France et autres pays.

Pour une durée légale du travail de 35 heures par semaine en France, la durée effective moyenne est de 39 heures pour les emplois à temps plein et de 36,3 heures pour l'ensemble des emplois (temps plein et temps partiel). Par comparaison, ces durées sont inférieures en... [ lire la suite ]