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LIENS UTILES
Acrimed

LIVRES
Groupe médias d’Attac, « Médias et mondialisation libérale », décembre 2002.
Antoine Schwartz et Henri Maler, Médias en campagne, Editions Syllepses, 2005.
Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Editions Raisons d'Agir, 2005
Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Editions Raisons d'Agir, 1996.


 
Pour une réappropriation démocratique des médias
par Renaud Lambert*

 
« Moi, je fais de la politique avec ce que je trouve sur l’étagère. Les médias sont comme ça, je fais avec » [1]. Ce que le député de Paris, Pierre Lellouche, trouve sur l’étagère, c’est un service public engagé dans une course à l’audimat avec le secteur privé. C’est un « Tiers secteur audiovisuel » [2] qui ne dispose pas des moyens de son existence. Ce sont des médias privés contrôlés par une poignée d’entreprises, dont certaines vivent des commandes de l’État. Que les dirigeants de ces entreprises [3] soient, par ailleurs, tous d’excellents amis de Nicolas Sarkozy – dont Pierre Lellouche soutient la candidature pour les présidentielles de 2007 –, n’est peut-être pas sans rapport avec sa disposition à « faire avec ». D’ailleurs, cet habitué des colonnes du Point, de Libération et de Newsweek, n’a finalement que très peu à se plaindre des médias français. Ce n’est pas le cas pour tout le monde.

Ce n’est d’abord pas le cas de la grande majorité des journalistes et salariés des médias qui, trop souvent, voient leur droit d’informer confisqué sous l’effet de pressions économiques, directes ou indirectes comme le montre, par exemple, la précarité galopante des journalistes qui représente un frein majeur à l’exercice de leur responsabilité sociale, mais aussi l’intervention de ce que Franz-Olivier Giesbert, lui-même, appelle « le vrai pouvoir stable », « celui du capital » [4]. Ce fut récemment le cas à La Tribune, où le directeur de la rédaction tenta de censurer un sondage favorable à Mme Ségolène Royal (là où il attendait Nicolas Sarkozy, un ami personnel du propriétaire du journal, Bernard Arnault). Mais, si cet exemple est révélateur, c’est qu’il est loin d’être un écart isolé dans l’histoire de ce journal. Déjà, en 1998, Philippe Mudry, alors lui-même directeur de la rédaction, justifiait une contorsion similaire en expliquant que l’actionnaire a « le droit d’intervenir sur le traitement de l’information (...), même au détriment du lecteur » [5]. Une exception ?

Ce n’est pas le cas, non plus, des usagers des médias dont le droit à une information « libre, de qualité et pluraliste » [6] est la première victime de l’évolution économique du secteur des médias. L’exemple des journaux dits « gratuits » est à ce titre éclairant : on ne vend plus de l’information à un lecteur, mais un lecteur/consommateur à un annonceur. Dans ce contexte, l’information, reléguée au rang de simple marchandise, n’est plus qu’un prétexte à la diffusion de publicité. Mais le droit à l’information est aussi soumis à des pressions de type politique. Ce fut notamment le cas lors de la campagne pour le référendum du 29 mai 2005 lorsque la très grande majorité des médias délaissèrent leur devoir d’information pour endosser le rôle de prescripteurs d’opinion… par « devoir de pédagogie », bien entendu [7].

Il apparaît donc que, malgré les promesses des tenants d’un libéralisme débridé dans les médias, le passage d’un monopole public de l’information à un quasi monopole privé ne s’est pas accompagné du regain escompté de pluralisme. Les entreprises de presse ne sont pas de simples observateurs de la mondialisation néolibérale, mais des acteurs économiques qui en profitent [8]. Faudrait-il s’étonner, dès lors, qu’elles s’en fassent les propagandistes ? Non. Faudrait-il, pour autant, se résoudre à « faire avec » ?

Si le mode d’appropriation capitalistique a fait la démonstration de ses effets pervers, il ne s’agit pas de proposer un retour à un contrôle étatique (mais surtout gouvernemental) des médias. Au contraire, il est devenu nécessaire de prendre des mesures assurant un contrôle des moyens de production de l’information, de la culture et des divertissements directement par les salariés des médias, ainsi que par les citoyens eux-mêmes, réunis au sein d’associations à but non lucratif. Comment faire ?

Tout d’abord, limiter la concentration, au moyen de seuils adaptés, qui combinent des seuils de concentration capitalistique, de maxima de nombre de titres et de canaux possédés, ainsi que des maxima d’audience et/ou de diffusion. Mais, puisque « c’est la financiarisation des entreprises médiatiques qui est le moteur des concentrations » [9], car elle élève la recherche de profit au rang d’impératif primordial, il faut s’opposer non seulement au contrôle des médias par des entreprises vivant des commandes de l’Etat (Bouygues, Dassault et Lagardère), mais aussi par toute entreprise dont l’essentiel des activités n’a rien à voir avec l’information et la culture (ce qui est une spécificité française).

Cette mesure n’aurait de sens qu’adossée au renforcement  et à la refonte du secteur public de l’audiovisuel et à la création d’un statut spécifique pour les entreprises de presse à but non lucratif visant à en favoriser l’essor et à s’assurer qu’elles bénéficient, en priorité, des aides publiques. Déjà en 1968, Jean Schwoebel, président de la Société des rédacteurs du Monde et de la Fédération française des sociétés de journalistes, expliquait : « seul un tel type de sociétés peut éloigner de la production de l’information les trafiquants, spéculateurs, marchands de papier et autres chevaliers d’industrie dont la presse, la radio et la télévision n’ont que faire. » [10] On attend toujours…

Quant à la refonte du « secteur public » autour de ses missions de « service public », elle implique la prise en compte du rôle joué (et à jouer) par les médias dits du Tiers secteur audiovisuel. Source de renouveau des contenus et des formes, ils sont les garants d’un pluralisme culturel, politique et surtout social. Leur indépendance politique est cruciale. Leur indépendance économique doit être assurée par exemple par la création d’un « Fond de soutien à l’expression radiophonique et audiovisuelle », issu d’une taxation des flux publicitaires [11].

Les sommes mises à disposition par une telle taxe [12] permettraient de la même façon de libérer les chaînes publiques (télévision et radio) de la course à l’audimat qu’engendre le financement publicitaire [13], notamment si elle est adossée à une augmentation du niveau de la redevance (exceptionnellement basse en France par rapport aux autres pays européens).

Bien sûr, une appropriation démocratique des médias n’est pas, seule, un gage de qualité, ni la certitude que de nouvelles pressions politiques ne viendront pas gripper la machine. En particulier, tant que le CSA restera inféodé au pouvoir politique [14]. Toutefois, l’indépendance politique et économique est un préalable à toute transformation durable de ce secteur. Et l’on ne saurait penser la transformation sociale sans transformation des médias.
Renaud Lambert*

* Journaliste, collaborateur du Monde diplomatique et de l'émission Là-bas si j'y suis sur France Inter, membre de l'association Action-Critique-Médias (Acrimed).

[1] Entretien téléphonique avec l’auteur, le 3 octobre 2006.
[2] TSA : ensemble des médias associatifs et à but non-lucratif.
[3] Bernard Arnault (Groupe LVMH : La Tribune, Investir, Radio classique, etc.), Martin Bouygues (Groupe Bouygues : TF1, LCI, TPS, Métro, etc.), Serge Dassault (Groupe Dassault : Le Figaro, Socpresse – le plus grand groupe de presse en France), Arnaud Lagardère (Groupe Lagardère : Europe 1, Europe 2, MCM, Canal J, Paris-Match, Marie-Claire, Le Journal de Mickey, Le Monde, L’Humanité, Le Journal du Dimanche, Larousse, Le Livre de Poche, etc.) et François Pinault (Groupe Pinault Printemps Redoute : Le Point, L’Histoire, La Recherche, Le magazine littéraire, la Fnac, etc.).
[4] France culture, 21.1.05, cité dans « Le procès de Franz-Olivier Giesbert », Le Plan B, mai-juin 2006.
[5] « La Tribune devra servir le patron », Libération, le 16 mai 1998, cité dans « La presse à euros », PLPL¸ décembre 2004.
[6] Pour reprendre le slogan de l’Observatoire français des médias.
[7] Lire Maler et Schwartz, Médias en campagne, Éditions Syllepse, 2005.
[8] Lire « Médias et mondialisation libérale », groupe médias d’Attac, décembre 2002.
[9] Henri Maler, « Pour garantir le pluralisme, contre concentration et la financiarisation des médias », Acrimed (www.acrimed.org), 17 mai 2006.
[10] Jean Schwoebel, La Presse, le pouvoir et l’argent, Paris, Seuil, 1968 cité dans Pierre Rimbert, Libération de Sartre à Rothschild, Editions Raisons d’agir, novembre 2005.
[11] Lire Guy Pineau, « Pour un Fonds de Soutien à l’Expression Radiophonique et Audiovisuelle », Acrimed, 7 mars 2006.
[12] Par exemple, une taxe de 5% sur les dépenses des dépenses de publicité aurait représenté 1,5 milliards d’euros en 2005.
[13] Environ 700 millions d’euros pour France Télévisions en 2004.
[14] Nommés par le Président de la République, par celui de l’Assemblée nationale et celui du Sénat, les neufs membres du CSA sont tous proches de l’UMP.


Réaction(s) à cet article
3 Et la formation ? par Igor Babou
le jeudi 12 avril 2007 à 10:10
Bonjour,

Deux réactions à votre article en ont déjà pointé certaines limites, et je vais aller dans ce sens. Comme vous, je pense que l'état actuel de concentration économique de la presse et des médias n'est pas favorable à l'expression d'un pluralisme démocratique. Mais on ne peut en rester là.

D'abord parce que le journalisme n'est qu'une... [ lire la suite ]
2 Média=journalisme? par JPG
le jeudi 15 février 2007 à 09:09
Si cet article est intéressant, je ne peux m'empêcher de savoir qu'il est écrit par un journaliste. Les média, et en particulier l'audiovisuel, ne se limitent pas à ce point au journalisme. C'est une faiblesse récurente, certainement due à la pregnance journalistique dans l'expression, que de déséquilibrer l'analyse sur ce point. Le journalisme à... [ lire la suite ]
1 et le revenu garanti ? par brunet
le jeudi 01 février 2007 à 01:01
je me félicite que la question des médias soit incluse dans la problèmatique éducation /culture .

pourtant à lire les autres postes , on à l'impession d'un vaste collage militant où chaque problème est apporté par le petit bout de la lorgnette . il est vrai que nous en somme à l'époque des difficils commencements .

la double indépendance... [ lire la suite ]