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Proposition d'action en faveur de la recherche et de la construction européenne
par Alain Trautmann*

 
Dans une société où la pierre de touche de toute activité humaine est la rentabilité financière à court terme, rien ne peut échapper à cette pression. Cela s'applique en particulier à la construction européenne, à la recherche, et donc à l'Europe de la recherche. Si les Européens ne se donnent pas collectivement des objectifs sociaux ambitieux et contraignants en matière d'éducation, de chômage, de pauvreté, de logement, l'Europe restera un agglomérat de petits pays obsédés par le « juste retour » national de leurs investissements. Si les Européens, dans chaque pays, n'agissent pas avec énergie, la recherche ne pourra qu'être structurée et financée de façon à pouvoir répondre avant tout au critère de rentabilité financière à court terme. Il faudra se battre pour que soient reconnus d'autres critères et l'importance du long terme, de la demande sociale, de la liberté indispensable à la forme de création qu'est la recherche scientifique.

En 2000, lors du sommet de Lisbonne, les chefs de gouvernement lancent « l’agenda de Lisbonne ». Il s’agit de faire de l’Europe, d’ici la fin de la décennie, le premier continent de la connaissance en créant notamment « l’espace européen de la recherche ». Des investissements importants sont promis, en personnels et en moyens matériels, pour une recherche essentiellement tournée vers les possibilités d'applications industrielles. Ce dernier cap a hélas bien été tenu, mais sans que des moyens importants y soient consacrés, que ce soit au niveau des différents pays (à quelques exceptions près), ou à l’échelon européen. Dans ce sombre tableau font exception quelques initiatives comme certains programmes européens, l'augmentation des échanges de jeunes scientifiques (avec notamment les bourses Marie Curie), la décision de créer l'ERC (European Research Council), structure pilotée par des scientifiques, destinée à soutenir la recherche fondamentale. Hélas, la dotation de l'ERC, consentie par les différents gouvernements, reste dérisoirement faible.

La situation ne changera pas d'elle-même, tant que les gouvernants en place auront la même idéologie. Elle ne peut changer que si les citoyens s'en emparent explicitement, si un mouvement se crée, si un débat en profondeur s'instaure. Un mouvement des chercheurs a eu lieu en France en 2004-2005, sous l'impulsion du collectif « Sauvons la Recherche ! », avec de nombreux partenaires : une grande partie de la communauté scientifique non organisée, des syndicats de la recherche, des médias, un grand nombre de citoyens qui, sans être scientifiques, se sont sentis concernés par la question de l'avenir de la recherche en France. Qu'au terme de ce mouvement il y ait eu une loi sur la recherche et une restructuration en cours de la recherche française tous deux très éloignés des espoirs des acteurs de ce mouvement est indéniable. Ces conséquences sont graves, inquiétantes même, mais cela n'empêche pas que la question de la recherche a été mise en débat public par la volonté de simples citoyens : nous étions devenus des acteurs des choix politiques en train de se faire, nous avons montré que nous n'étions pas condamnés à l'impuissance, et il est raisonnable de penser que, sans ce mouvement, l'évolution du système de recherche en France eût été pire encore. Ajoutons que l'histoire ne s'arrête pas là. Ce qui a été semé, en termes de renforcement de la communauté scientifique française, mais aussi de ses liens avec le reste de la société, les réseaux qui ont été constitués, tout cela germera peut-être demain.

Forts des constats et expériences qui viennent d'être évoqués, nous disons que ni la construction européenne ni celle de l'Europe de la recherche ne se feront sans un mouvement qui permettrait, sur un thème et avec une revendication précise, de provoquer un débat au niveau européen. Nous lançons donc l'idée d'une campagne pour un impôt européen pour la recherche. Son intérêt ne serait certainement pas restreint à obtenir plus de moyens pour la corporation des chercheurs. Elle aurait d'abord pour objectif d'offrir une possibilité de débat au niveau européen entre scientifiques, et avec les autres citoyens. Ce débat porterait d'une part sur le type de recherche – et d'enseignement supérieur, qui lui est fortement lié – que les uns et les autres veulent; il porterait aussi sur la signification de l'impôt. L'idéologie dominante actuelle présente l'impôt non pas comme l'outil indispensable à la mise en place de services publics nécessaires au fonctionnement d'une société qui soit autre chose qu'une jungle, mais comme une pénalisation de ceux qui gagnent de l'argent, et s'en voient spoliés par les fainéants. Cette idéologie sous-tend la course au moins-disant discal, la baisse effrénée des impôts sur les sociétés, maladie contagieuse qui gagne un pays européen après l'autre. Elle contribue à l'importance des déficits publics, accompagnés par une détérioration et une privatisation des services publics. Il faut réhabiliter l'idée que l'impôt est une nécessité incontournable. Le faire à travers une campagne pour un impôt européen pour la recherche ne signifie certes pas que seule la recherche devrait en bénéficier, ou que la recherche devrait être la priorité absolue (avant l'éducation, la santé, le logement, etc.) Cela signifie simplement que l'idée d'impôt pour la recherche semble assez simple et recevable pour commencer sur ce thème, en espérant bien l'étendre à d'autres domaines ensuite. L'Europe, actuellement dépourvue de moyens d'action propres, condamnée à l'inaction dans les limites fixées par les budgets étriqués consentis par les différents gouvernements, ne pourra qu'être renforcée par la mise en place de moyens financiers propres et nouveaux. Le Parlement européen aura à décider de la façon dont cet impôt sera levé (Taxe Tobin ? fraction de l'impôt sur les sociétés ?), puis de la façon dont il sera utilisé. Son pouvoir ne pourra qu'en être renforcé. Si une consultation citoyenne est organisée à cette occasion, c'est le fonctionnement démocratique de l'Europe qui s'en trouvera amélioré.
Alain Trautmann*

* Codirecteur du département de biologie cellulaire de l'Institut Cochin (Paris) et animateur du mouvement "Sauvons la recherche".