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>> Politiques sociales et économiques >> Santé >> Pour un hôpital public, contre l’hôpital-entreprise
 
Quel hôpital public voulons nous ?
par Florence Veber*

 
L’hôpital public accueille chaque jour en France quelques 200 000 personnes. Régulièrement, par voie de sondage, les français témoignent de l’attachement qu’ils  portent à l’hôpital public et de l’image positive qu’ils lui attribuent. Alors d’où vient ce malaise persistant qui, au fil des ans, des gouvernements successifs et des réformes, persiste et continue de s’exprimer à intervalle régulier ?
A quatre heures du matin, cherchez où vous trouverez de la lumière : au commissariat de police et aux urgences de l’hôpital. Est-ce si étonnant qu’on y retrouve les angoisses et les peurs de tout un chacun et plus particulièrement de ceux qui sont seuls et se sentent exclus de notre société.
Est ce que cet accueil est compatible avec nos critères économiques de rentabilité ? Est ce que cet accueil est compatible avec l’image de prouesses techniques que les médias nous renvoient en permanence et qui nous rassure tous ?
N’est-il pas temps de s’interroger collectivement sur qu’est ce que le soin ? A quel imaginaire collectif renvoie t-il ? Quand la situation économique est plus difficile et que la précarité augmente, quand le poids des dépenses de santé pèsent lourd (trop ?) avec 11% du PIB, quand la démographie médicale baisse et que l’hôpital manque de bras, ne doit-on pas sauver l’essentiel ? Et pour reprendre l’expression anglaise choisir le « cure » et laisser tomber le « care » ? L’enjeu n’est-il pas à tout prix de faire les deux, soigner et prendre soin car à laisser tomber le deuxième, un prix social autrement plus lourd pourrait nous attendre.
L’essor de l’hôpital public comme lieu d’excellence des soins a une bonne cinquantaine d’années. Né en 1958 de la réforme Debré qui crée le statut hospitalo-universitaire et le plein temps hospitalier, il a su remplir sa mission à merveille, c’est à dire promouvoir les progrès de la science et en faire bénéficier la quasi-totalité des citoyens. Les trois fonctions soins, enseignement et recherche sont le tiercé gagnant que couronne le titre de professeur…
Contrôle des dépenses de santé oblige, exigence de sécurité toujours plus grande, demande légitime de meilleure gestion, on a beaucoup empilé les mesures nouvelles dans les 10 dernières années : recherche de plus de qualité avec l’accréditation, recherche de plus d’efficience avec la tarification à l’activité, recherche de moins de cloisonnement avec les pôles d’activité… tout cela a créé beaucoup d’activités consommatrices de temps… par ailleurs on a aussi restructuré les petites structures au service d’entreprises plus grandes où la masse critique et la mise en commun de certains frais de structures paraissaient de bons critères de qualité et de gestion. Tout cela était nécessaire sans aucun doute mais est-ce que l’on soigne mieux aujourd’hui à l’hôpital public qu’hier ? Il est bien difficile de répondre à cette question….
Le « bon soin » demande du temps, un temps incompressible, parce que le « bon soin » est un travail d’équipes pluridisciplinaires où chacun trouve sa place ce qui demande encore du temps et ne rentre dans aucune comptabilité, parce que le « bon soin » demande des soignants motivés et disponibles ce qui est difficile à mesurer et en plus variable dans le temps, parce que le « bon soin » demande une organisation centrée sur les besoins des malades ce qui est bien difficile au regard des exigences du personnel soignant et au regard des autres fonctions recherche et enseignement qui ont leur propre exigence, parce que le « bon soin » devrait être le critère de mesure que nous ne savons pas mettre en équation économique. Aujourd’hui le soin à l’hôpital est dilué dans de multiples autres enjeux. Ce n’est que lors de crises graves que personne ne souhaite que comme par magie, l’enjeu « soins » reprend le devant de la scène et que le personnel retrouve sa motivation première et que tout reprend sens… l’hôpital en est souvent comme revigoré.
Mais peut-on vraiment soigner toute sa vie avec la même énergie ? Avec les mêmes motivations ? A ces questions souvent non dites, la pratique avait trouvée des réponses, basées sur un schéma d’autorité verticale, reflet d’une société qui ne la remettait pas en cause.
Tout cela a été mis à mal par la chute de la démographie médicale c'est-à-dire moins de jeunes avec des exigences de vie différentes, par les exigences nouvelles plus clairement affichée des malades de pouvoir s’exprimer, par le manque d’infirmiers et d’infirmières, reflet du désintérêt de notre société pour les métiers du soin, fatigants, peu valorisés et peu rémunérateurs. En même temps que le modèle du pouvoir médical traditionnel était bousculé, le pouvoir administratif s’affermissait… finalement combien de décisions à l’hôpital sont la résultante plus ou moins consciente de lutte de pouvoir entre l’administration et les médecins, entre les universitaires et ceux qui en le sont pas, entre ceux qui exercent en ville et ceux qui exercent à l’hôpital… normal sans doute jusqu’à un certain point.
Un médecin est aujourd’hui écartelé entre de multiples taches pour lesquels il n’est pas toujours formé ni compétent car la pédagogie bien faite demande des compétences, la recherche aussi, l’administration aussi, le management d’une équipe aussi.
Plutôt que de revaloriser les salaires sous les coups d’une nouvelle grève, n’est-il pas temps de repenser la réforme Debré et de réfléchir à comment mettre le soin au centre du débat et à comment prendre en compte les besoins des équipes soignantes : nous proposons de mettre en débat :
-    la contractualisation d’un certain nombre de fonctions d’enseignement, de recherche et d’intérêt général sur des durées de 3 ans pour tous les praticiens ;
-    d’inverser la base des salaires de PUPH pour que ce soit l’hôpital qui assure la base majoritaire et le paiement des charges sociales ;
-    de réfléchir à un statut de mi-temps hospitalier pour tous les spécialistes installés en ville ;
-    d’ouvrir la formation de directeurs d’hôpital aux médecins comme c’est le cas dans de nombreux pays européens ;
-    de revaloriser à bac +4 la formation d’infirmières et de permettre de nombreuses délégations de soins aux infirmières qui les feront aussi bien que les médecins comme dans les pays anglo-saxons ;
-    de garantir l’autonomie médicale et de revaloriser la responsabilité du chef de service ou du chef d’unité pleine et entière comme chef d’équipe : plus le travail est difficile et plus le besoin d’équipes soudées est nécessaire… dans cette optique les 35 heures ne peuvent qu’aggraver l’absence d’investissement collectif sur des objectifs communs.

Enfin une fois pour toutes il semble nécessaire de se dire que l’hôpital est et doit rester un lieu d’interface entre le médical et le social et qu’il faut traiter les deux aspects de façon indissociable et au même niveau d’exigence et d’excellence… Au fond, l’hôpital public nous renvoie une image de notre société, cloisonnée, un peu lasse, inquiète face à la maladie, traversée de bonnes intentions qui n’aboutissent pas ou se transforment en usines à gaz, où le travail de fond est peu valorisé et où l’économique est prégnant… ne nous laissons pas abattre. L’hôpital public n’est pas une entreprise comme une autre, il ne peut être bradé… il est devenu de fait aujourd’hui un des éléments essentiels de notre lien social.
Florence Veber*

* Praticienne hospitalière à l'AP-HP, actuellement en charge des questions de santé, sida et toxicomanie auprès du maire de Paris après avoir travaillé plusieurs années au ministère de la santé notamment à la direction de l'hospitalisation et des soins.



Réaction(s) à cet article
1 l'hôpital est une entreprise par Andréys
le mardi 13 février 2007 à 08:08
D'accord avec beaucoup de choses mais l'hôpital doit être une entreprise pour garantir l'équité de traitement et la qualité des soins, pour ouvrir de nouvelles perspectives et répondre aux évolutions.
Oui aux délégations de soins aux infirmières qui les feront mieux que les médecins !
Tout le monde devrait pouvoir devenir directeur d'hôpital car... [ lire la suite ]