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>> Culture et Education >> Nouvelle politique d’enseignement et d’éducation >> Pour un enseignement des sciences sociales et humaines dès l’école primaire A lire aussi dans l'Autre CampagneLIVRES N. Elias Engagement et distanciation. Contributions à la sociologie de la connaissance, Fayard, Paris, 1993. B. Lahire « Vers une utopie réaliste : enseigner les sciences du monde social dès l'école primaire », L'Esprit sociologique, La Découverte, Laboratoire des sciences sociales, Paris, 2005. Pour un enseignement des sciences sociales et humaines dès l’école primaire par Bernard Lahire* La nécessité de l'enseignement des sciences sociales et humaines dès l'école primaire, et tout au long de la scolarité secondaire, n'a jamais été aussi impérieuse qu'aujourd'hui. Alors que l'institution scolaire est désormais capable d'enseigner très tôt l'attitude scientifique à l'égard du monde physique et naturel, elle laisse se développer des connaissances pré-rationnelles sur le monde social. La peur que certains éprouvent à l'idée de voir entrer si tôt dans le cursus officiel le « social » conduit paradoxalement à laisser les élèves parfaitement démunis face à un sens commun assez spontanément essentialiste et à tous les pourvoyeurs d'idéologie ou les manipulateurs d'opinion qui se sont pourtant multipliés au cours des dernières décennies dans nos sociétés. Le rôle des spécialistes de la « communication politique » ou du marketing, des publicitaires, des essayistes demi-savants, des rhéteurs plus ou moins habiles, bref, de tous les sophistes des temps modernes, n'a cessé de croître, et il est urgent de transmettre les moyens de déchiffrer le monde social et de résister, du même coup, à tous les discours d'illusion. Le sociologue Norbert Elias a bien montré que les hommes ont, au cours de leur histoire, conquis une attitude de distanciation par rapport aux phénomènes naturels puis, plus tardivement, à l'égard des phénomènes sociaux. Les hommes des sociétés pré-scientifiques ont été matériellement et cognitivement impuissants face aux « caprices de la nature ». La science, elle, s'inscrit dans un processus de distanciation et de contrôle des affects. En donnant les moyens de ne pas prendre ses désirs pour la réalité, de voir les choses de manière moins directement attachée à la position de celui qui voit, l'attitude scientifique permet de sortir progressivement de l'implication de l'homme vis-à-vis de la réalité. Diffuser une telle attitude distanciée autant vis-à-vis du monde social que de la nature est un défi que l'École est aujourd'hui en mesure de relever. Ce n'est que par un bien mauvais calcul républicain que l'on peut être conduit, dans l'idée de maintenir une pseudo-neutralité scolaire, à souhaiter maintenir hors des murs de l'école les questions sociales, anthropologiques, philosophiques qui se posent et s'imposent par la force des choses. Pourquoi ne pas enseigner les outils et les manières de penser que les sciences sociales et humaines ont constitués efficacement depuis plus de cent ans plutôt que de laisser les futurs citoyens construire leurs représentations du monde social au sein de leurs structures familiales ou dans les cadres traditionnels de la socialisation (enseignement religieux, socialisation politique et syndicale, etc.) ? Il va de soi que l'objectif d'un tel enseignement à l'école primaire n'est pas de diffuser une connaissance de nature encyclopédique, d'inculquer des « théories », des « méthodes » ou des « auteurs », mais bien plutôt de transmettre des habitudes intellectuelles fondamentalement liées à des disciplines telles que la sociologie, l’anthropologie et la philosophie. Et plutôt que d'alourdir un programme élémentaire déjà chargé, il s'agirait davantage de refondre l'enseignement actuel de l'histoire, de la géographie et de l'éducation civique en intégrant les acquis de la sociologie et de l'anthropologie et en travaillant de concert avec tous ceux qui réfléchissent à un enseignement adapté de la philosophie. Or, comment transmettre de telles habitudes intellectuelles à l'école primaire sinon par l'étude de « cas » de différences culturelles, ainsi que par la participation active des élèves à de vraies enquêtes empiriques ? De même que les élèves prennent l'habitude de faire quotidiennement des relevés de température pour objectiver et prendre ainsi conscience des phénomènes météorologiques, ils pourraient être entraînés à l'observation et à l'objectivation du monde social. Si l'expérimentation est au fondement des sciences de la matière et de la nature, l'esprit d'enquête est, lui, à la base de toute science du monde social. Ainsi, l’une des premières compétences que le regard sociologique suppose est une capacité de description et de narration de ce qui s'observe directement (paysages, lieux, décors, objets, personnages, manières de dire ou de faire, etc.). La description et la narration étant au programme de l'école primaire, il n'est pas irréaliste d'orienter aussi ces tâches vers l'étude de comportements réellement observés. Par ailleurs, s'adaptant à la réalité sociale contemporaine, l'école primaire a d'ores et déjà intégré dans ses activités de production écrite « la réponse à un questionnaire ». Les élèves peuvent donc être entraînés à créer collectivement des questionnaires sur des thèmes choisis et aboutir à certains comptages simples (la notion de proportion étant abordée dès le cours moyen). Une telle démarche aurait pour but d'apprendre l'esprit d'enquête et d'acquérir le sens et l'intérêt des enquêtes quantitatives. Au moment où l'on évoque publiquement de plus en plus fréquemment la nécessité d'une « formation à la citoyenneté », et où l'on n'envisage généralement de répondre à cette exigence que par le retour à un enseignement de la morale ou par l'éducation civique, les sciences humaines et sociales doivent revendiquer haut et fort leur place au cœur de cette formation : le relativisme anthropologique (relativisme méthodologique qui n'a strictement rien à voir avec un indifférentisme éthique), le mode de pensée relationnel (opposé à toutes les formes d'essentialisme), la prise de conscience de l'existence d'une multiplicité de « points de vue » liée aux différences sociales ou la connaissance de certains « mécanismes » et processus sociaux (et non la seule visite guidée des institutions officielles de la République), tout cela pourrait utilement contribuer à former des citoyens qui seraient un peu plus sujets de leurs actions dans un monde social dénaturalisé, rendu un peu moins opaque, un peu moins étrange et un peu moins immaîtrisable. Bernard Lahire* * Sociologue, professeur à l’École Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines, directeur du GRS (CNRS), auteur de « Vers une utopie réaliste : enseigner les sciences du monde social dès l'école primaire », L'Esprit sociologique, La Découverte, Laboratoire des sciences sociales, Paris, 2005, p. 388-402. Réaction(s) à cet article 8 Réponse de l'auteur Réactions aux réactions par Bernard LAHIRE le samedi 17 mars 2007 à 15:03 Je remercie celles et ceux qui ont pris la peine de donner leur avis sur mon texte. Pour l'essentiel des critiques, je ne suis pas vraiment surpris et tout lecteur du texte initial d'où est tirée cette proposition ("Chapitre 14 : Vers une utopie réaliste : enseigner les sciences du monde social dès l'école primaire" in L'Esprit sociologique)... [ lire la suite ] 7 encore moins d'heures pour apprendre les fondamentaux par gaston D le dimanche 11 mars 2007 à 19:07 Tout cela c'est très bien, sauf qu'on a des bataillons d'enfants qui sortent aujourd'hui de l'école primaire sans être capable de lire un texte simple, d'écrire trois phrases qui se tiennent, de faire une division ou une multiplication, bref sans avoir acquis les fondamentaux. Alors on peut toujours rèver de leur faire faire plein d'autres choses... [ lire la suite ] 6 enseignement des sciences sociales et humaines par Bonneville le dimanche 11 mars 2007 à 17:05 Bonjour,
e réagis à cet article intéressant. En tant qu'enseignante je dirais qu'il est nécessaire d'enseigner les sciences sociales à l'école. Cependant, cet enseignement doit passer par une restructuration du système scolaire c'est à dire des programmes. Ensuite, à quel moment doit-on l'enseigner ? rappelez-vous que l'enfant et l'ado se... [ lire la suite ] 5 Incompréhension par Stephane le vendredi 02 mars 2007 à 17:05 Un sociologue vient nous dire que la sociologie est indispensable. Les litteraires classiques affirment que le grec et le latin sont la base de la compréhesion. Les mathématiciens ne voient pas de salut sans les mathématiques.
Chacun défend sa paroisse dans l'espoir que l'énorme rouleau compresseur qu'est l'éducation nationale l'épargnera, et que... [ lire la suite ] 4 Les sciences sociales dès le primaire? Chiche! par Levron Pierre le lundi 29 janvier 2007 à 14:02 Je viens de lire l'article de monsieur Lahire et...bon sang de bon sang, qu'est-ce que j'ai été content! Les sciences sociales souffrent, en France, de n'être abordées que dans le supérieur (et encore: au cours de mes études de lettres, je n'y ai été sensibilisé qu'au moment de ma maîtrise!)Par-delà l'intérêt civique que revêtirait une éducation à... [ lire la suite ] 3 Réflexions sur votre proposition par Mathieu le samedi 13 janvier 2007 à 11:11 Bonjour,
Je suis psychologue scolaire et j'ai bien entendu enseigné à l'école primaire. Je suis très heureuse d'avoir lu votre article car j'ai eu l'occasion de constater, moi aussi, à quel point les élèves ont du mal à analyser les faits sociaux. (Le journal télévisé qu'ils regardent parfois étant l'antithèse même d'une réflexion distanciée et... [ lire la suite ] 2 question pratique par franck le jeudi 11 janvier 2007 à 19:07 Certes, les enfants à l'école primaire ont du mal à prendre de la distance, certes ils ont besoin de repères, tout comme ils ont - à mon avis - besoin de croire au père noël, à un moment de leur vie. Pourtant, il me semble utile de leur donner dans le même temps des outils, des habitudes de penser, de regarder le monde qui leur permettront,... [ lire la suite ] 1 Quelques remarques par colombani le mardi 09 janvier 2007 à 15:03 "Pourquoi ne pas enseigner les outils et les manières de penser que les sciences sociales et humaines ont constitués efficacement depuis plus de cent ans plutôt que de laisser les futurs citoyens construire leurs représentations du monde social au sein de leurs structures familiales ou dans les cadres traditionnels de la socialisation... [ lire la suite ] |
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