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LIVRES
Frédérique Matonti, sous la dir. de, La démobilisation politique, La Dispute, 2005.


 
Construire la démocratie en repensant la représentation politique
Introduction
par Isabelle Sommier*

 
Aborder la question démocratique par la « crise de la représentation politique » pourrait irriter ou prêter à sourire : le registre de la déploration est ancien et l’annonce d’une crise nous est assénée depuis maintenant quelques décennies sans que rien de tragique n’arrive… du moins jusqu’en 2002. Le constat désormais convenu a gagné jusqu’aux élus eux-mêmes quand par exemple un ancien premier ministre ramasse d’une formule (la « France d’en haut » versus la « France d’en bas ») tous les clichés et mises en accusation qui en fait, depuis l’instauration du droit de suffrage ou presque, président aux relations ambivalentes du « peuple » et des « élites » : la distance sociale voire une nouvelle caste, un « sommet » coupé des réalités et immobile, des soupçons de clientélisme si ce n’est de corruption, etc. Car somme toute, l’insatisfaction et la méfiance à l’égard des élus ne sont-elles pas inhérentes au principe même de la représentation ? Il y a certes des symptômes et des symptômes qui s’aggravent.

Le taux d’abstention tout d’abord qui est passé de 15,2% au premier tour des élections présidentielles de 1965 à 28,4% en 2002 ; ou encore de 22,8% aux législatives de 1958 à 35,6% en 2002. Aucune élection n’y échappe, quel que soit le niveau de décision : de l’échelle locale (32,7% aux municipales de 2001) à l’échelle européenne (55,5% en 2004). Ce refus de participer au jeu politique n’est que marginalement motivé par un rejet de principe définitif. La participation politique étant étroitement corrélée au sentiment de compétence politique qui en quelque sorte « autorise » de prendre part au jeu, on assiste surtout à une auto-exclusion des catégories dominées, et des chômeurs en particulier (même si l’abstention gagne désormais les autres catégories sociales). Un autre élément (et un autre symptôme) renforce ce phénomène de sélection sociale à l’œuvre en amont des processus électoraux : la non-inscription sur les listes électorales dont le taux est estimé de l’ordre de 8 à 10% du corps électoral, c’est-à-dire plus de 3 millions d’électeurs. Mais le pourcentage est sans doute à multiplier par 2 pour les 18-24 ans, et là encore, il y a tout lieu de penser que les catégories populaires y sont plus portées que les autres. Ce retrait socialement déterminé du jeu politique croit depuis deux décennies avec le délitement des identifications partisanes et le brouillage des oppositions droite-gauche consécutif aux alternances successives qui n’apparaissent plus constitutives de réelles alternatives politiques. Il s’accompagne d’une désaffection générale pour les organisations traditionnelles de représentation des intérêts particulièrement forte en France où partis comme syndicats ont l’ancrage social le plus faible de l’ensemble des pays occidentaux.

Mais si le jeu n’intéresse plus ou intéresse moins, c’est peut-être parce qu’il n’est pas (ou est moins) intéressant. On déplore à l’envi l’apathie politique, on craint ou on dénonce la crise de légitimité démocratique résultant de cette moindre participation électorale qui signe une moindre adhésion citoyenne. Certes, mais somme toute, il n’y a aucune conséquence, pas même après le calamiteux séisme du 21 avril qui fait de Jacques Chirac le président le plus mal élu de toute l’histoire de la Ve République avec 19,9% des suffrages exprimés, mais 13,7% des inscrits… ou 12,5% du corps électoral potentiel . Faisons les comptes de cette dernière « élection reine » : 30,8% des inscrits soit 12,5 millions (les abstentionnistes + les 2,4% de bulletins blancs ou nuls) ne s’y sont pas exprimés, et compte tenu du mode de scrutin, 54,4% se sont portés sur un candidat de partis non représentés au Parlement. Pourquoi, dans ces conditions, voter, peuvent légitimement se demander cette grosse moitié du corps électoral ? Avant toute chose, il y a bien un problème institutionnel qui fait du dépassement de la Ve République, de sa dérive monarchique et de son attente de l’homme (ou de la femme) providentiel tout puissant et irresponsable politiquement, un préalable nécessaire, comme l’explique Thomas Heams, à toute réflexion sur l’effectuation de la démocratie. Cela ne suffit certes pas. Au chapitre des réformes institutionnelles nécessaires figure aussi le mandat unique défendu par Marion Paoletti pour lutter contre la « loi d’airain de l’oligarchie » et réduire la coupure entre élus et citoyens, pour mettre fin aux conflits d’intérêts et rendre possibles des réformes (par exemple la suppression des départements), mais aussi pour prendre au sérieux le métier politique qui exige du temps et des compétences.

S’il est clair que l’élection d’un ou d’une doit cesser d’être l’alpha et l’omega de la vie politique dans ce pays, il est tout aussi évident que la démocratie ne se réduit pas à l’acte de vote. L’élan et le sens est pourrait-on dire ailleurs, dans les « contre pouvoirs » que constituent la participation à la vie de la Cité et l’engagement de tous les jours. Le texte de Paul Hermant en donne un exemple en relatant une initiative citoyenne qui dépasse les blocages des institutions (nationales comme européennes) pour construire l’Europe par le bas. Manifester, faire grève, pétitionner, agir directement et dans le respect d’autrui, etc., tout cela relève aussi, mais hors des temps électoraux et hors de canaux institutionnels, de la participation politique. Toutes ces formes d’intervention publique et d’interpellation des élus font qu’une démocratie est vivante car les citoyens témoignent à travers elles de leur vigilance et de leur esprit critique, bref, sont et restent actifs entre les échéances électorales. Et de ce point de vue, il n’y a pas, en France, de crise de la participation politique stricto sensu
La question demeure de savoir comment organiser la relation entre représentation et participation tant il est vrai que les deux sont en tension intrinsèque par le fait même de la délégation ? C’est à ce stade qu’intervient la démocratie participative chère à Marion Gret. Conférence citoyenne, budget participatif, conseil de quartier, jury citoyen apparaissent à beaucoup, y compris parmi les élus, comme des instruments d’approfondissement de la démocratie venant en complément, et non pas en substitut, de la démocratie représentative. Ils permettraient à la fois aux politiques de se ressourcer au contact des citoyens usagers et non plus abstraits, et à l’administration de se rénover par la concertation et l’évaluation des politiques publiques. Ils organiseraient ainsi le nécessaire contrôle de l’élu en même temps qu’ils seraient une sorte d’école de la citoyenneté au quotidien. Mais ces principes posés, se pose une nouvelle fois la question : qui représente le citoyen actif engagé dans les procédures participatives ? Faut-il procéder à un tirage au sort des citoyens et renouer ainsi avec les principes de la démocratie athénienne ? Est-ce un collectif, au risque de retomber dans les limites de toute délégation, et si oui, quelles associations sont légitimes ? La question n’est pas mince, et trop souvent occultée par la gauche…

Ces propositions n’épuisent pas, loin s’en faut, le sujet crucial de la re-mobilisation politique et du renforcement de la démocratie. Elles ont en tout cas l’énorme mérite de dépasser des oppositions au final assez scolastiques entre démocratie représentative et démocratie directe pour, au contraire, montrer que l’on peut et l’on doit jouer sur l’ensemble des facettes du politique, de l’architecture institutionnelle à la participation politique dans toutes ses dimensions, pour redonner sens et goût au politique. Indépendamment de son résultat, le référendum sur le traité constitutionnel européen l’a montré : dès lors qu’un véritable débat est engagé, la passion du politique se ravive et innerve la société dans son entier.
Isabelle Sommier*

* Politiste, maître de conférences à l’IEP de Paris, Université Paris I, Panthéon Sorbonne, directrice du Centre de recherches politiques de la Sorbonne, CNRS.



Réaction(s) à cet article
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