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Construire l’Europe sans attendre le miracle constitutionnel
par Paul Hermant* et Nicolat Levrat**

 
Appelés à confirmer le choix du revêtement à poser au faîte de l’édifice de l’Union européenne, les électeurs français en ont profité pour rappeler qu’ils n’avaient pas été consultés lors de l’élaboration des plans de l’édifice et que ses fondations leur paraissaient mal orientées. Qu’aussi, avant d’approuver la couleur des murs et l’architecture du toit, ils souhaitaient voir une construction européenne aux fondations plus conformes à leurs aspirations. Ce décalage majeur entre les propositions des dirigeants et l’expression de la volonté d’une majorité de citoyens ouvre un espace qu’il nous est possible d’investir.

Réinventer une autre Europe politique

Réinventer du politique dans les friches de systèmes en décomposition, c’est ce que nous faisons depuis 1988, à Causes Communes [1]. C’était alors Opération Villages roumains contre le plan de systémisation d’un sinistre conducator. Puis dès 1992, les Ambassades de la démocratie locale pour soutenir ces communautés et villes des Balkans où l’on souhaitait continuer à vivre et construire sans ces étiquettes nationales ou ethniques qui étaient autant d’appels au meurtre. C’est une Europe par le bas qui s’est construite à ce moment-là, où municipalités et citoyens (de 5000 communes de 14 pays, tout de même) avaient anticipé pour une part ce qui tombait en Europe et qui l’agrandirait demain. Nous tournant alors vers la Commission européenne, négociant quelque soutien, nous nous étions entendu répondre : « Vous êtes l’Europe, levez vos impôts ». Nous avons beaucoup appris de cette demi-blague : nous les avons levés, en effet, avec un fonds d’urgence intercitoyens pour les réfugiés, qui a permis, en de nombreuses occasions, d’anticiper des politiques et des programmes qui viendraient sans doute, mais trop tard, pour le temps de l’urgence citoyenne qui nous habitait.
Peut-on, aujourd’hui, réinventer notre rapport au politique en nous inspirant de ce qui fut fait hier en d’autres circonstances ? L’exercice est plus difficile, pour deux raisons. Premièrement, la maladie n’est pas ailleurs, elle est en nous. Il est plus facile de diagnostiquer la maladie chez les autres ; or c’est notre propre société qui est atteinte. Deuxièmement, la décomposition est moins brutale et spectaculaire que ne le furent la destruction des villages roumains ou bosniaques. Mais le mal est le même. Le saccage de communautés politiques, laissant place aux pires excès. Saccage d’autant moins évident à constater qu’il n’est pas certain que la conscience d’une communauté politique européenne existe. Ne laissons pas pour autant avorter la société politique européenne. Cette histoire politique de l’Europe, il nous faut cependant l’écrire avec une grammaire et un vocabulaire nouveaux.

Initions tout de suite la relance européenne par le bas…

Il ne s’agit pas de trouver une nouvelle solution institutionnelle à l’équilibre des relations entre Etats européens. Ce qui importe, c’est de donner les moyens aux citoyens européens de devenir les acteurs de cette indispensable communauté politique. Nous ne pensons pas qu’il soit urgent de trouver une solution, nous pensons qu’il est urgent de permettre à tous de participer à la recherche de la solution. C’est pourquoi, portés par un sentiment d’urgence démocratique, nous, citoyens d’Europe, demandons à contribuer directement à un impôt européen. Jusqu’ici, en effet, les citoyens européens ne paient pas d’impôt direct à l’Europe. Leurs États respectifs participent à l’élaboration du budget communautaire où chacun d’entre eux verse sa quote-part sans que le citoyen ne sache vraiment d’où vient cet argent (TVA, accises, douanes, etc.) ; ni quelle part de ses impôts nationaux y est effectivement affectée ni même s’il y en a une… Cette façon de faire permet aux États de faire trop souvent valoir des intérêts particuliers en lieu et place du bien général qui est notre préoccupation commune. Cette façon de faire n’est pas non plus très respectueuse des citoyens ni des pratiques démocratiques qui les relient. On connaît l’adage qui dit « No taxation without representation » : pas d’impôt sans représentativité politique. Hé bien, serait-on tenté de dire, pour les citoyens européens, c’est le contraire qui se passe : ils ont le droit de voter pour l’Europe, mais ils n’ont pas le droit d’y contribuer directement. Cette position infantilise les citoyens que nous sommes ; cela fait de nous des « demi-citoyens ». C’est pourquoi nous disons : « No representation without taxation ».
Oui, nous avons envie de payer des impôts car ce n’est pas seulement utile de payer des impôts, c’est aussi très beau. N’étant bien entendu pas en position de le lever, cet impôt, nous proposons un substitut temporaire intitulé FUSE (Fonds Utile de Solidarités Européenne). On comprendra que nous nous situons, pour une bonne part, dans le symbolique. Car, ce qui nous intéresse, ce n’est pas tant la somme que la qualité de cet impôt. Ce qui nous importe avant tout, c’est d’établir ce lien entre citoyens et politique, au niveau européen, par cette participation qui emporte la représentation. Parce qu’il serait aujourd’hui judicieux qu’à côté des États-membres, il y ait aussi des Citoyens-membres et que la Commission et les autres institutions soient amenées à leur porter cette même attention qu’elles réservent d’habitude aux gouvernements… Ainsi, FUSE, ce n’est pas seulement l’anticipation du nécessaire impôt européen, c’est aussi et peut-être surtout, la matérialisation de la possibilité de l’Europe politique.

… ce qui appelle une dimension européenne dans la campagne présidentielle

Si l’Europe devient politique, il conviendra que, parallèlement aux citoyens qui se l’approprient, les politiques qui en France s’apprêtent à briguer les suffrages de leurs concitoyens s’en préoccupent. Evacuer l’Europe du débat est mortifère. Pour l’Europe comme pour la France, cela ne conduira qu’à l’aggravation du mal. Nous ramenons donc l’Europe. Ce n’est pas une demande, c’est une offre concrète d’Europe que nous formulons. La modeste contribution politico-financière d’un grand nombre via le FUSE, permettra que l’Europe devienne un défi politique pour les candidats. Prenez garde, Madame ou Monsieur le futur Président, à y être préparé et dites-nous comment vous compter y préparer la France. Ne croyez pas que nous nous laisserons après coup imposer une solution discrètement décidée à Berlin ou à Bruxelles. C’est au grand jour et avec nous qu’il faut désormais faire et négocier l’Europe.
Paul Hermant* et Nicolat Levrat**

* Causes Communes.
** Causes Communes.

[1] L’initiative dont il est question ici a été développée par Causes Communes et l’association française ICE (Initiative Citoyens en Europe) sur le site de laquelle on pourra trouver des informations relatives au projet (www.initeurope.org).