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Donner la parole aux « sans-voix »
par Miguel Benasayag*

 
Voici donc se profiler une élection présidentielle. Pourvu que je ne sois pas obligé, une nouvelle fois, de voter pour Chirac !

Tous les cinq ans désormais, nous sommes obligés de penser là où l’on nous dit de penser. C’est le moment où l’on nous somme d’être libres et de prendre en mains notre destin. Ce moment-là et pas un autre. Et cette sommation à répondre présent et à s’adapter aux calibres de la pensée fonctionne à merveille. Tout le monde s’accorde à le reconnaître : l’élection, et plus particulièrement l’élection présidentielle, c’est Le moment du politique. Et finalement quoi de plus logique, dans nos sociétés dévitalisées, habitées par la peur que les moments du politique soient ainsi réglementés, bien codés. Le politique est désormais ce qui relève de la délégation. Et surtout, que l’on ne sorte pas du cadre. Ne vous risquez pas à manifester, ce sera très mal vu, voire réprimé, comme on l’a vu avec les étudiants anti-CPE ou criminalisé comme le sont les actions symboliques des opposants aux OGM. En regard de ces comportements de mauvaise politique, l’élection présidentielle s’annonce, elle, comme le moment de la bonne politique.

La question qui se pose alors aux alternatifs est : qu’avons-nous à dire dans un tel moment ? Comment organiser les rapports entre la politique représentative et les acteurs du contre-pouvoir ? Il faut d’emblée évacuer ce préjugé simpliste qui voudrait que la politique se divise entre d’un côté des acteurs de terrain, à la base et de l’autre les politiques sérieux, responsables, qui sont leurs représentants élus. Au moment des élections, on peut voir les seconds flatter les premiers, en soulignant l’importance de ces gens qui « font du social », et ajouter aussitôt qu’il va falloir « passer aux choses sérieuses ».

Il y a là un faux débat qui voudrait que la centralité qui permet de diriger un pays se passe du côté de la politique représentative et la dispersion, du côté du social. Pour nous, le contre pouvoir relève d’une consubstantialité entre le social, tout ce qui épaissit les liens, et la politique. Il s’agit de repolitiser la vie sociale qui fut dépolitisée à la faveur de la seule dimension acceptable, la représentation électorale.
 

L’expérience a montré que le lieu du pouvoir central est impuissant pour changer la donne. Cette impuissance n’est pas due à de la méchanceté ou de la corruption, mais au fait qu’il est justement le lieu de la représentation et non de l’action. Ce n’est pas là que les choses se passent. Un peu comme si l’on faisait l’erreur de prendre la carte pour le territoire. Ce n’est pas en agissant sur la carte que l’on fera changer le territoire. La carte est là pour nous donner un aperçu de ce qui se passe sur le territoire.

Le lieu du pouvoir représentatif est un lieu de gestion de la complexité, des contradictions. Ce n’est pas l’endroit où l’on pourra chercher à polariser ces contradictions de façon radicale. Le lieu du contre pouvoir, en revanche, est celui de la puissance, là où se déroulent les processus, où la complexité devient lisible, où les tensions s’exercent, où la diversité grouille, où s’émettent les hypothèses théoriques et pratiques.
 

De notre point de vue, nous nous demanderons dans les semaines qui viennent quel est le candidat capable d’assumer la réalité historique et non idéologique selon laquelle le moteur du changement est à la base. Un candidat qui accepte que les tenants de la gestion doivent accompagner, voire potentialiser le travail des contre-pouvoirs qui animent ce moteur. Un candidat qui aura compris de quel côté va un certain progrès social et de quel côté on peut renouveler une démocratie trop prise dans la représentation, trop virtualisée.

Nous ne pouvons pas demander aux citoyens à la fois d’être responsables de leur vie et de croire aux promesses qui fleurissent à chaque élection, aussitôt suivies de décisions qui ne sont pas à la hauteur, et ne suscitent que déceptions et désillusions. Si l’on peut faire le constat que nombre de peurs sont dues à l’expérience de la perte de contrôle, alors ces promesses sans lendemain ne font que les nourrir un peu plus. Quitte à alimenter un cycle infernal : je me fais élire sur des promesses, je ne les tiens pas, suscitant un peu plus de désarroi… que j’utilise aux prochaines élections pour nourrir de nouvelles promesses. Le thème de la sécurité en est une parfaite illustration. De cette manière, la politique file entre les mailles du filet de la complexité.

L’Amérique Latine, que l’on aime volontiers citer à gauche ces derniers temps, nous montre un exemple significatif. On a pu voir ce qui s’est passé récemment au Brésil comme une illustration de ce mécanisme. Issu du mouvement syndical, de la base, Lula a modifié son discours depuis qu’il est à la tête du pays, déclarant que désormais il avait à aborder les choses sérieusement. C’est ainsi qu’il s’est vu pris à son tour dans les mailles du filet. La contradiction apparaît flagrante dans son parcours et son action car il n’a pas su dire d’emblée qu’il n’était là, comme président, que pour accompagner le moteur des mouvements sociaux.

Les élections tentent de nous entraîner systématiquement dans une logique infantile d’opposition entre les élus et la base, le pouvoir et le contre-pouvoir. C’est une erreur de considérer que le bon moment de la politique, de la revitalisation du champ social arrive tous les cinq ans. Il arrive tous les matins…
L’une des explications au fait que les élections ne sont là que pour organiser la gestion de nos sociétés et non pour leur donner du sens et de l’élan, tient dans le rapport des élus au temps, à la durée. Tous les problèmes essentiels que nous avons à affronter ne peuvent être compris, voire résolus, que sur une longue ou très longue durée, qu’il s’agisse du progrès technique, de la santé, de l’éducation, de l’emploi. Ce n’est évidemment pas en cinq ans que l’on peut dégager de grandes pistes, faire des choix décisifs. C’est à peine le temps qu’il faut pour saisir la complexité de ces questions. C’est justement au niveau du contre-pouvoir, détaché de toute contrainte électorale, de toute échéance, que peuvent être embrassées les grandes problématiques de nos sociétés.
Miguel Benasayag*

* Philosophe et psychanalyste.



Réaction(s) à cet article
4 Prise d'otage à gauche ou à droite ? par Martin
le jeudi 10 mai 2007 à 11:11
Qui décrète qui est "sans-voix". N'est-ce pas leur donner une seconde mort à ces supposés sans voix ? Et s'ils survivent à cette épreuve, quelle est la légitimité du discours ?
La frontière décrite par l'auteur entre pouvoir et action est artificielle. Elle procède d'une méconnaissance du quotidien des hommes. Je suis à ce propos surpris de la la... [ lire la suite ]
3 les sans-voix sont présents par pru
le lundi 26 mars 2007 à 22:10
Si j'ai bien compris vous êtes un sans-voix comme tant de millions de personnes dans ce pays. J'espère que le moment venu, vous serez présent à l'appel? Le contre pouvoir accompagné à l'heure actuel n'existe pas, et dans ce cas déposer un bulletin n'a aucun sens où alors c'est de la langue de bois! [ lire la suite ]
2 La otra campana en el otro lado par Appel aux sans voix
le jeudi 22 février 2007 à 07:07
Bonjour la otra campana en el otro lado
(l\'autre campagne de l\'autre coté...de la frontière) commencera le 1er Mars (communiqué de submarcos, 6 février 2007)
En France, la tournée de Keny Arkana est annulée et est remplacé par l\'appel aux sans voix dans une vingtaine de ville jusqu\'au 19 mai....ci dessous l\'appel (les visuels sont... [ lire la suite ]
1 Faut-il se résigner à une non-représentation politique des « sans-voix » ? par Gilles Garcia
le samedi 17 février 2007 à 10:10
Entièrement d'accord avec les termes dans lesquels Miguel Benasayag pose le rapport entre représentation politique et « contre-pouvoir » ou « mouvements sociaux ». Cela conduit à la question qui est posée ici : quel est le candidat qui acceptera l'idée que « le moteur du changement est à la base », voire, dans le meilleur des cas, celle de «... [ lire la suite ]