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>> Citoyenneté et institutions >> Construire la démocratie en repensant la représentation politique >> Changer les visages de la politique en interdisant le cumul des mandats
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LIENS UTILES
Observatoire des Cumulants de la République

LIVRES
Daniel Gaxie, « Les enjeux citoyens de la professionnalisation politique », Mouvement, 18, 2001.
Albert Mabileau, « Le cumul des mandats », Regards sur l’actualité, mars 1991.
Guillaume Marrel, Doctorat de Science politique, CERAT – Grenoble, L’Elu et son double. Cumul des mandats et construction de l’Etat républicain en France du milieu du XIXe au milieu du XXe siècle, soutenue à Grenoble le 18 décembre 2003 (direction : Gilles Pollet).
Pierre Sadran, « Démocratie locale : les carences de l'acte II », Cahiers Français, 318, janvier/février 2004


 
En finir avec le cumul des mandats pour changer les visages de la politique
par Marion Paoletti*

 

La dénonciation du cumul des mandats est en passe de devenir l’attitude la mieux partagée du milieu politique professionnalisé, l’engagement en faveur d’une loi une routine des principaux partis politiques. Une évidence, pour l’avenir. Cette propension française à cumuler les responsabilités est bien le symbole d’une démocratie représentative élitiste, repliée sur elle-même, crispée sur ses enjeux internes, et les principaux titulaires des postes politiques ne peuvent plus faire mine d’ignorer la défiance qu’ils suscitent chez les représentés.

A ce point de consensus, fait écho une attitude pratique commune de la part des professionnels de la politique : préserver l’essentiel, la possibilité de dérouler une vie professionnelle en politique. Les engagements de papier résistent mal face aux règles du jeu politique. Les lois venant limiter le cumul des mandats (et ce faisant immanquablement l’autoriser) en 1985 et 2000, à l’initiative des socialistes, rappellent combien les ambitions initiales sont toujours revues à la baisse : les valeurs partisanes ne pèsent pas grand-chose dans un Parlement d’élus cumulants, quand sont en cause des intérêts professionnels considérés comme vitaux et relayés par de puissantes associations d’élus locaux. C’est ce que montre une nouvelle fois le dernier et laborieux compromis de 2000 [1].

Les pratiques les plus récentes de cumul n’incitent pas à envisager une transformation profonde et sincère à venir. Au parti socialiste, ce sont bien souvent des présidents d’exécutifs locaux qui sont candidats aux élections législatives de 2007 et porteurs de l’engagement en faveur du mandat unique pour les députés, négociant déjà un report dans le temps. Sans excessive surprise, les députés qui en 2002 avaient fait campagne pour un mandat unique n’en n’ont pas tenu compte : 53 députés sur 577 (9%) n’exercent que ce seul mandat. En toute logique, des femmes politiques nouvelles entrantes à la faveur de la première application de la parité en 2001 ont appris à vouloir ce à quoi elles pouvaient prétendre : de nouveaux mandats. A droite, toutes les limites ont été franchies comme s’il n’y avait pas de frontières au cumulable pour les professionnels de la politique. L’évidence pour un ministre de n’exercer que cette seule fonction n’a plus tenue après 2002. Le ministre de l’intérieur est ainsi le supérieur hiérarchique du préfet en charge de contrôler la légalité des actes que prend le Président du Conseil général des Hauts-de-Seine. Que ces deux hommes soit le même, ce n’est là que l’acmé du conflit d’intérêt consubstantiel au cumul des mandats et des fonctions.

La décentralisation telle qu’elle se pratique depuis 1982 constitue un autre exemple de la nuisance du cumul des intérêts : « [Elle] est faite par des élus locaux, pour des élus locaux » comme le proclamait en 2003 au Sénat, Patrick Devedjian, alors ministre des libertés locales. A l’Assemblée Nationale, au Sénat et à travers leurs associations corporatives si efficaces dans le processus législatif sous la Ve République, ce sont les élus locaux qui contrôlent le processus. Il en résulte une multiplication des niveaux locaux (on en rajoute sans en enlever faute de pouvoir le faire), des réformes impossibles (péréquation, fiscalité, démocratisation réelle), une complexification du système outrancière.

Le cumul des mandats, grand pourvoyeur de complexité locale, finit pour certains par se justifier par la complexité qu’il ne cesse de produire. Encore à demi-mot, on entend parfois qu’il faut en politique s’en remettre comme en d’autres domaines à des professionnels. Ou que le pouvoir politique, menacé par la financiarisation de l’économie, a besoin de s’incarner dans des figures cumulantes pour résister. L’évidence de la dénonciation publique du cumul des mandats cède le pas à un retournement hésitant des discours sur la professionnalisation politique. Au risque de fragiliser plus encore les promesses de campagne électorale.

La professionnalisation politique, phénomène majeur dans nos démocraties représentatives, constitue un enjeu décisif pour les citoyens. Historiquement, la professionnalisation accompagne la démocratisation. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les dirigeants politiques sont souvent issus des cercles de notables, ils n’ont pas besoin de la politique pour vivre. L’activité politique professionnelle apparaît progressivement avec les premiers partis politiques, l’ascension politique d’hommes moins fortunés, en particulier dans le mouvement ouvrier, l’investissement à temps plein de la politique, l’instauration d’indemnités versées aux élus. Liée au départ à un mouvement d’élargissement de la démocratie représentative, la professionnalisation politique, qui n’a cessé de s’accentuer, aboutit aujourd’hui à une crispation des dirigeants sur eux-mêmes et à un resserrement corporatiste de la démocratie représentative. Il y a désormais des spécialistes des affaires politiques et du même coup des non-spécialistes, tous les autres, les citoyens.

 Il faut garder de la professionnalisation le meilleur et jeter le pire.

Le pire : envisager d’abord l’exercice d’un mandat au prisme d’intérêts de carrière sans rapport avec le travail de représentation politique. Le meilleur : pouvoir vivre de la politique en s’y consacrant à plein temps, acquérir des compétences dans la gestion des affaires publiques. Le statut de l’élu existe en France, par comparaison avec d’autres pays européens et par contraste avec l’absence d’un statut de l’élu associatif. S’il est à approfondir en lien avec la volonté de renouveler constamment les élus, c’est d’abord sur son volet formation, aujourd’hui facultatif et parfois fantaisiste.

Pour autant, l’exigence de clarifier les différents niveaux (Europe/Etat/local) comme de s’assurer de représentants qui représentent vraiment ne doit pas conduire à une interprétation maximaliste du slogan « mandat unique ». Il faut certes envisager un terme dans le temps à l’exercice des mandats pour assurer un renouvellement générationnel permanent dans les fonctions électives. Mais en gardant présent à l’esprit qu’un des effets non voulus des réformes assurant une plus grande rotation des mandats dans certains Etats de la côte Ouest des Etats-Unis est d’avoir considérablement renforcé le poids de l’administration dans la décision publique. Il n’est pas certain que ce soit un gain pour la démocratie. Des élus temporaires, formés, légitimes, impliqués, tel doit être l’horizon d’une réforme sur le cumul des mandats.

 En ce sens, le mandat unique pour les députés doit être une mesure, immédiate, simple, non négociable. A imposer aux plus professionnels des élus, immédiatement après l’élection de 2007. Ce préalable acquis, bien des transformations institutionnelles peuvent être discutées et décidées dans le cadre d’une assemblée Constituante pour un approfondissement de la démocratie.

Marion Paoletti*

* Maîtresse de conférences en science politique à l’université Montesquieu-Bordeaux IV et membre fondateur de la Convention pour la Sixième République (C6R).

[1] Le compromis de 2000 a été laborieux (deux ans de négociation), son résultat lacunaire (la loi n’envisage pas les structures intercommunales, elle n’envisage pas les communes de moins de 3 500 habitants – 34 000 communes), l’ambition initiale a été revue à la baisse et le cœur du cumul n’est pas touché (pas de mandat unique pour les députés, la présidence d’un exécutif local ayant été interdit aux seuls députés européens, qui verront rétablie cette « injustice » par une loi de 2003), sans imagination (la limitation du cumul dans le temps n’est pas envisagée), accommodante (n’est pas mis fin au principe déroutant de l’écrêtement – un élu ne peut toucher plus d’une fois et demi l’indemnité parlementaire : au-delà, il choisit le(s) élus(s) local(aux) au(x)quel(s) il reverse le surplus). Persiste en outre la règle selon laquelle un élu doit se mettre en conformité une fois l'élection passée et non au préalable, encourageant les élus à construire des carrières stables, notamment en constituant des équipes au sein desquelles ils distribuent rôles et responsabilités.


Réaction(s) à cet article
5 Réaction à la proposition de Bernard Granier (ci-dessous) par Thomas Heams
le dimanche 04 mars 2007 à 15:03
La contribution de Bernard Granier a un mérite important, qui est de mettre en
évidence le sentiment qu'un citoyen, même informé, peut avoir d'être privé
d'information sur l'évaluation des lois, point evidemment absolument essentiel
dans le rapport de confiance que les citoyens ont vis a vis de leur
représentants et de leurs institutions.
Ce... [ lire la suite ]
4 Mettre en place de façon systématique des bilans et évaluations des lois votées par Bernard Granier
le dimanche 04 mars 2007 à 15:03
par Bernard Granier, ingenieur informaticien à la SAGEM, membre du CA d'un groupe local d'ATTAC (Cergy). Syndiqué à la CFDT cette année.

L'objet de ce message est de présenter et d'argumenter la proposition suivante : il faudrait créer une loi obligeant à inclure dans les lois des moyens de bilans et d'évaluation. A partir d'une telle loi, il y... [ lire la suite ]
3 La limite temporelle- Le mandat spatio-Temporel Unique (MSTU) par Homo Politicus Interlopus
le mardi 13 février 2007 à 06:06
Comme Mme Paoletti l'indique, dans les mots le mandat unique semble faire conscensus mais pas dans les faits. La dependance de l'elu au Pouvoir est difficile a surpasser.
Cette dependance est d'autant plus forte que la periode passee 'au pouvoir' est longue et il faut donc la limiter.
Je pense modestement qu'une limite de UN serait la bonne... [ lire la suite ]
2 une seule voie efficace de réforme du cumul par uguen
le lundi 05 février 2007 à 11:11
C'est l'exemple type de réformes qu'il est quasiment impossible de faire passer par le parlement ; Il y a trop de chausses trappes, (élus : juges et parties), veto du sénat, arguties des organisations partisanes.
Nous connaissons tous les arguments développés par tel ou tel pour expliquer la difficulté de réformer les modalités d'exercice des... [ lire la suite ]
1 À l'attention de Marion Paoletti par Gilles Clamens
le vendredi 19 janvier 2007 à 14:02
Merci pour votre rappel à propos de mandat unique, au moins pour les députés. Il vous amusera peut-être d'apprendre qu'une candidature "bizarre" aux législatives de 93, en Dordogne, n'avait guère que ce point à son programme. Je m'y suis bien amusé quant à moi - mais blague à part je saute sur l'occasion pour suggérer que cette résistance légitime... [ lire la suite ]