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>> Citoyenneté et institutions >> Construire la démocratie en repensant la représentation politique >> Instaurer des formes de démocratie participative en amont des choix de société (tirage au sort, loi d’initiative citoyenne, etc.)
A lire aussi dans l'Autre Campagne

LIVRES
Alain Caillé (dir.), Quelle démocratie voulons-nous ?, Paris, La Découverte, Sur le vif, 2005.
Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, 2001.
Marion Gret et Yves Sintomer, Porto Alegre. L’espoir d’une autre démocratie, Paris, La Découverte, Sur le vif, 2005.
Bernard Manin, Volonté générale ou délibération ? Esquisse d’une théorie de la délibération politique, Paris, revue Le Débat, n°33, janvier 1985.
Sandrine Rui, La démocratie en débat. Les citoyens face à l’action publique, Paris, Armand Colin, 2004.


 
Instaurer des formes de démocratie participative en amont des choix de société
La démocratie participative : un préalable à l’action publique
par Marion Gret*

 
La participation des citoyens à la prise de décision politique – ici appelée démocratie participative ou participation citoyenne – est un concept mal défini, mais fréquemment revendiqué et mis en œuvre, soit pour instrumentaliser la parole citoyenne, soit pour enrichir et alimenter l’action publique. Nombre de collectivités territoriales expérimentent, depuis quelques années, des outils permettant l’introduction des citoyens dans le processus décisionnel politique. S’il est, cependant, évident que la participation citoyenne ne peut régler tous les problèmes de la démocratie représentative, il reste opportun d’inventer une véritable politique de participation : un système cohérent d’outils intégrant formellement le citoyen dans la boucle de décision politique. Cette proposition est exposée dans les limites imposées par cette contribution.

Des outils à organiser, des étapes à respecter

La réintroduction du citoyen dans la boucle décisionnelle implique la participation des habitants à toutes les étapes de la mise en place d’un projet (qui peut être aussi celui d’un syndicat, d’une association, etc.), d’une politique : le diagnostic, la formulation d’un problème, l’élaboration d’une stratégie, la définition de ses objectifs et des moyens affectés, la mise en œuvre du projet et son évaluation. Il s’agit d’aller au-delà de la simple information et consultation de la population, et d’établir une relation de partenariat entre les participants.
Il existe, pour cela, une batterie d’instruments qui ouvrent la voie à la co-élaboration des politiques et de l’action publiques en mettant en tension les intérêts et objectifs d’individus-citoyens, de représentants d’administrations, de techniciens, de responsables politiques, de gérants d’entreprises, etc. Ces instruments sont utilisés afin de donner corps et forme au lien d’association. Ils doivent aussi permettre de renforcer les élus dans leur rôle d’arbitre, et à l’inverse, d’affaiblir leur pouvoir discrétionnaire au même titre d’ailleurs que pour l’ensemble des acteurs en lice : la dissémination du pouvoir est au cœur de l’impératif démocratique.
Les citoyens doivent pouvoir, à toutes les échelles territoriales, prendre part aux décisions relatives au budget et du même coup à la définition des politiques publiques.
Concrètement, il faut procéder par étapes successives, une étape venant renforcer l’autre au fil des ans. Selon le contexte, il faut débuter par les objets les plus litigieux. S’il le faut, classer les problèmes et les traiter, les uns après les autres, en organisant une conférence citoyenne. Ceci présente l’avantage de ne pas mobiliser les participants au-delà du temps de la conférence, d’aboutir à un résultat concret, d’en permettre l’application rapide, un contrôle efficace et une large visibilité. Ce faisant, la résolution d’un certain nombre de questions ouvrirait la voie à la mise en œuvre d’un budget participatif.
Ce dernier, tel qu’il s’est développé à Porto Alegre [1], est l’une de ces formes de démocratie participative qui effectue une combinaison – propre au contexte – de plusieurs outils permettant la participation d’un large public à l’orientation d’une partie non négligeable du budget municipal et à la construction de l’action publique. Bien d’autres outils existent, présentant chacun ses limites et ses avantages. Ce sont, par exemple, le tirage au sort – pour lequel le panel de départ est toujours extrêmement délicat à construire –, les forums hybrides – qui naissent à l’issue de conflits violents faisant émerger à la fois le débat et les acteurs du débat –, la conférence citoyenne, les jury citoyens, etc.

Des difficultés à surmonter

Cependant, la démocratie participative doit, en permanence, relever de nombreux défis. L’un des principes majeurs qui prévaut : un citoyen sommeille en chacun, il faut l’éveiller. Prétendre que d’une discussion non organisée jaillit une solution d’intérêt général est absurde. Bien souvent, ce premier défi conditionne le degré de participation (le défi de la participation) et l’efficacité d’un processus quant à son résultat (le défi de l’efficacité). Il faut donc surmonter la difficulté que rencontre chaque groupe humain : définir correctement le problème et former – sans parti pris (le défi de la manipulation, de l’apprentissage et de la formation).
D’autres difficultés existent : un budget participatif est constitué d’assemblées organisées sur un an mensuellement. Cela peut produire plusieurs effets pervers tels l’épuisement des participants, la « professionnalisation » de certains, le manque de perméabilité aux volontés formées hors des espaces liés au budget participatif (le défi démocratique), etc. Il est donc nécessaire d’adapter en permanence les règles de fonctionnement de ce type de processus.
Enfin, la démocratie participative doit affronter le défi de la légitimité – il faut ici se convaincre qu’il ne s’agit pas tant de la légitimité des participants qui est en cause, mais bien plutôt celle du résultat obtenu. Il convient de contrôler si ce résultat répond à l’intérêt général. Pour l’heure, il s’agit là d’une articulation clef entre démocratie participative et représentative : les élus, en la choisissant, donne sa légitimité « traditionnelle » à la solution retenue par les participants. La démocratie représentative légitime, ou délégitime, les « décisions » prises de manière participative. Le risque de détournement, par les élus, ou par des citoyens organisés, se réduit avec la publicité donnée aux processus participatifs et à leurs résultats. Cette publicité augmente d’autant la légitimité des processus participatifs et représentatifs.

Conclusion

Si l’on souhaite mettre en œuvre des formes de démocratie participative, l’urgence, qui s’inscrit dans le champ des possibles, est de mettre en place à toutes les échelles de pouvoir, et pour tous les élus, l’obligation d’organiser au minimum des forums de concertation en cas d’apparition d’un conflit sur quelque sujet que ce soit. Cette obligation devrait être assortie au minimum d’un système de coercition et de contrôle de l’action publique mise en place par les élus après obtention du résultat de la concertation : il va s’agir de respecter la décision prise ou la solution adoptée à l’issue du débat public. Il va sans dire que les Institutions, elles-mêmes, devraient rapidement faire l’objet au minimum de concertation multiacteur.
Marion Gret*

* Politiste, chercheuse associée CERI/Science Po – Université Paris I.

[1] Marion Gret et Yves Sintomer, Porto Alegre. L’espoir d’une autre démocratie, Paris, La Découverte, Sur le vif, 2005.