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>> Citoyenneté et institutions >> Lutter contre les discriminations et les inégalités >> Pour un traitement équitable des religions
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LIENS UTILES
La documentation française

LIVRES
Jean Baubérot, Laïcité 1905-2005, entre passion et raison, Seuil, 2004.
Alain Boyer, La loi 1905. Hier, aujourd’hui, demain, Éd. Olivétan, 2005.
Philippe Portier, « Les laïcités européennes : vers une convergence des modèles ? » in G. Saupin et M Launay, L’idée de tolérance en Europe, Presses Universitaires de Rennes, 1999)
Jean-Paul Willaime, Europe et religions. Les enjeux du XXIe siècle, Fayard, 2004.

Film/Documentaire :
La séparation, un film-documentaire de François Hanss, sur un scénario de Bruno Fuligni, coproduction Grenade Productions/LCP Assemblée nationale/La ligue de l’enseignement, 2005.


 
Pour un traitement équitable des religions dans la société française
par Ghislain Waterlot*

 
La question du traitement équitable des religions gêne les responsables politiques français, qui l’écartent du débat public, à la récente exception de Sarkozy, et la considèrent dans le huis clos des cabinets ministériels ou des rencontres discrètes. Pourquoi la gauche devrait-elle nécessairement rester en retrait sur un sujet que l’on ne pourra pas ignorer indéfiniment, et sur lequel la majorité des pays de l’Union Européenne a déjà beaucoup travaillé ?
En France, un traitement équitable des religions doit être pensé sur le fondement de la laïcité, dont le cœur est la loi de 1905. Cette loi n’est pas une arme contre les religions, mais l’instrument qui doit permettre, selon l’article 1, que la liberté de conscience soit assurée et que le libre exercice des cultes soit garanti. Par ailleurs, si l’article 2 de la loi souligne que la République ne reconnaît aucun culte, cela ne signifie nullement qu’elle n’a pas à en connaître, mais qu’elle exclut la reconnaissance telle qu’elle s’exerçait durant le temps du Concordat [1] ; ce qui veut dire qu’aucune religion ne doit pouvoir prétendre à des privilèges et parler à ce titre au nom de la collectivité française.
La loi de 1905 a toujours été appliquée dans un sens libéral. Dès les années 1930, l’Église catholique s’est vue accorder des baux emphytéotiques [2] ; en outre, les collectivités religieuses auxquelles est reconnue « la grande capacité cultuelle » bénéficient de nombreux avantages en matière d’imposition ; enfin des dispositions fiscales ont été prises permettant aux membres des cultes de bénéficier d’une réduction d’impôts pour les dons qu’ils consentent.
Cela manifeste que l’État français reconnaît l’utilité publique (humanitaire, sociale, culturelle) des religions présentes sur le territoire et pas seulement leur rôle pour le for intime et les questions ultimes des individus [3] : pour une partie de la population, elles contribuent au maintien du lien social et elles ont des choses à dire, à partir de leur point de vue, sur la société française elle-même, dans la mesure où les cadres de ces religions connaissent les membres et leurs difficultés de vie.
Mais ce qu’il faut prendre en compte aujourd’hui, c’est la nouvelle donne du paysage culturel et social français : la France est désormais pluriculturelle et l’affirmation de la liberté a fini par apporter la diversité et la nécessité de la tolérance. Des athées affichés, de nombreux agnostiques, des croyants de diverses religions nouvelles vivent ensemble sur le sol français. La liberté de ces nouvelles religions doit pouvoir être prise en compte, leur existence ne doit pas être menacée, si l’on ne veut pas laisser s’installer de redoutables injustices.
Une politique qui permette l’implantation et la pérennisation d’un islam de France, qui ne dépende plus d’influences rétrogrades, devrait être continuée et approfondie. Mais il importerait aussi de mieux assumer la diversité religieuse française : entre les grandes dénominations religieuses traditionnelles affaiblies et les individus qui se bricolent leur identité religieuse singulière, il y a de nombreuses collectivités religieuses inédites en France (de tendance orientale ou animiste, de tendance syncrétiste, de nouvelles formes d’évangélisme, etc.).
Bien sûr, il ne saurait être question de considérer sur le même plan toutes les collectivités religieuses. Seules celles qui présentent des garanties de durée et de représentativité doivent pouvoir prétendre à des relations élargies et approfondies avec les pouvoirs publics (en particulier avec le ministre de l’intérieur et des cultes). Il ne s’agit donc pas de se mettre à l’écoute de tous les « mouvements religieux », nombreux et le plus souvent de très petite taille (quelques centaines, voire quelques dizaines de membres). En outre, il importe d’être vigilant à l’égard des « dérives sectaires ». Il est important qu’un organisme comme la Miviludes [4] continue son travail de connaissance et de veille, car derrière certaines appellations religieuses se cachent des escroqueries ou des délires destructeurs et négateurs des droits. Ces dérives sectaires doivent être identifiées et combattues par l’introduction de dispositions claires dans le corps des lois civiles et pénales, sans que l’on cède pour autant à la tentation de définir juridiquement la notion de « secte » ou de « religion ». Même les spécialistes de théologie et de sciences des religions estiment qu’il est impossible aujourd’hui de donner une définition de la notion de religion… Le risque serait bien sûr de définir la religion à partir de ce qui est traditionnel, européen et monothéiste, et qui est bien admis dans les représentations de l’opinion publique : le résultat serait de tracasser, voire persécuter, les formes de religiosité qui choquent les habitudes. N’est-ce pas précisément ce qu’il importe d’éviter ?
Enfin il faudrait tirer les conséquences du pluriculturalisme français jusqu’au niveau de l’enseignement. Les premiers pas ont été accomplis il y a quelques années, lorsque une large majorité de députés de tous bords a souligné, dans l’annexe du projet de loi sur l’école, l’importance d’une meilleure connaissance du fait religieux par les élèves et par les maîtres. Pourrait-on sans dommage abandonner une telle visée ? On sait que l’enjeu est double : une meilleure appropriation de leur culture par des élèves qui sont nombreux à littéralement tout ignorer du fait religieux, mais aussi apprendre à connaître la diversité du paysage religieux français, et donc être moins soumis aux réflexes d’intolérance ou aux représentations imaginaires et fantasmatiques, qui font de l’adepte d’une religion méconnue une personne forcément dérangée ou dangereuse, et un excellent bouc émissaire en puissance. Dans ce domaine comme dans d’autres, la culture des citoyens est une condition nécessaire pour qu’une politique équitable soit applicable et appliquée.
Ghislain Waterlot*

* Philosophe, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Genève, membre titulaire de l'UMR CNRS 5037 (Institut d'Histoire de la pensée classique, de l'Humanisme aux Lumières).

[1] Conclu en 1801 entre Bonaparte et le pape Pie VII.
[2] Ces baux sont conclus entre une commune propriétaire et une association cultuelle, avec les termes suivants : pour 1€, un bail de 99 ans ou moins est assuré à l’association, en échange de quoi la commune devient propriétaire des édifices construits par l’association au terme dudit bail.
[3] Elles ne sont pas privées au sens d’intime, mais au sens juridique qui oppose le privé au public des institutions de l’État.
[4] Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.


Réaction(s) à cet article
1 LAÏCITE ou privé par pru
le lundi 26 mars 2007 à 22:10
La laîcité est un concept, nous sommes en dedans ou en dehors!
un seul choix! A prendre ou à laisser! [ lire la suite ]