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>> Citoyenneté et institutions >> Justice et libertés individuelles >> Réformer la procédure pénale
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LIENS UTILES
Syndicat de la magistrature.

LIVRES

Justice, journal du Syndicat de la magistrature, traite des sujets d'actualité sur la justice et propose une autre lecture de la justice. Voir également le site du Syndicat de la magistrature www.syndicat-magistrature.org

Le Sexe et ses juges ouvrage collectif sous la direction du Syndicat de la magistrature, Syllepse, 2006.

G. Sainati et L. Bonnelli (dir.), La machine à punir: pratiques et discours sécuritaires, L'esprit frappeur, 2004.

Vos papiers: que faire face à la police, Syndicat de la magistrature, L'esprit frappeur, 2004.

En finir avec la criminalité économique et financière, Syndicat de la magistrature/ATTAC, Mille et une nuits, 2002.

Justice pour tous, sous la direction des équipes des revues Justice et Témoin, La découverte, 2001.


 
Rétablir les équilibres institutionnels afin que la justice soit en mesure de sauvegarder les libertés individuelles
Qui osera une réforme de fond de la procédure pénale ?
par Aïda Chouk*

 
Après les attentats du 11 septembre 2001, la campagne présidentielle de 2002 centrée quasi uniquement sur les questions de sécurité a contribué à créer un climat délétère dans lequel la défense des principes fondamentaux – procès équitable, présomption d'innocence, droits de la défense – était devenue inaudible. Dès 2001, des syndicats de policiers[1] ont dénoncé des décisions de mise en liberté qualifiées « de bavures judiciaires ». La loi du 15 juin 2000 « renforçant la protection de la présomption d'innocence » devenait alors « la loi des voyous ». Au mépris des nécessaires équilibres de la procédure pénale, un consensus s'est peu à peu institué sur un droit à la sécurité légitimant toutes les atteintes aux libertés individuelles. Cette évolution a été parachevée par l'exploitation politique de faits divers qui, sous le diktat de l'émotion, justifiaient de nouvelles lois déséquilibrant toujours plus la procédure pénale.
Ainsi des réformes entraînant une rupture croissante des équilibres des droits des parties au procès pénal ont vu le jour : augmentation des délais de garde à vue, recul des garanties liées à la présomption d'innocence avec des placements en détention provisoire facilité, multiplication des procédures expéditives.
Cet empilement de texte a contribué à brouiller les rôles des différents acteurs de la procédure pénale : accusation, défense, juge et police. Alors que le ministère public et la police voyaient leurs prérogatives croître, celles des juges et la défense se trouvaient en perte de vitesse. Ce n'est que par une clarification des rôles de chacun des acteurs à la procédure pénale qu'une garantie effective des libertés individuelles sera assurée.
Un parquet indépendant, maître de l’enquête pénale.
Les pouvoirs du garde des Sceaux sur les magistrats du parquet ont été renforcés. La loi Perben II, en intronisant dans le code de procédure pénale le garde des Sceaux en chef de la politique d’action publique, a mis la touche finale à un édifice déséquilibré. L’écrasante majorité des enquêtes pénales est supervisée par un magistrat du parquet, chargé du contrôle de l’enquête, du choix de la procédure, exerçant des pouvoirs quasi-juridictionnels mais subordonné au ministre de la justice. Ces derniers sont sommés d'appliquer des directives qui leur commandent de faire du chiffre au détriment de la protection des libertés publiques. Ainsi rien n'a été fait pour leur permettre de diriger et de contrôler effectivement la police judiciaire. Avec la généralisation du traitement en temps réel, les orientations de procédures sont décidées sur simple rapport téléphonique par des parquetiers qui n'ont pas toujours le temps de lire la procédure. Le contrôle des gardes à vue et des lieux de détention est devenu virtuel.

L’indépendance du parquet est le préalable incontournable d’une réforme ambitieuse, confiant au magistrat du parquet l’enquête pénale, avec la contrepartie nécessaire d’un juge, chargé de toutes les mesures touchant aux libertés individuelles et une défense effective, renforcée dans ses prérogatives.

Afin d’éviter l’écueil de chefs de parquet tout-puissants et détenteurs d’un pouvoir éclaté, émietté, sans unité possible de la politique pénale, le principe de légalité des poursuites, tempéré par la loi dans les domaines et pour les infractions ciblées par le seul législateur, doit alors remplacer le principe d’opportunité des poursuites que nous connaissons actuellement.

Un juge de l’instruction garant d'une procédure contradictoire

Un nouveau juge sera en charge de la mise en état de l’enquête pénale et des mesures touchant aux libertés individuelles. La présence d’un magistrat du siège spécialisé devant lequel le parquet sera tenu de justifier des diligences effectuées, de l’avancement de l’enquête est indispensable à la protection des citoyens et au respect des droits de la défense. Ce magistrat du siège fixera les délais impartis à l’enquête, sera compétent, tant en matière criminelle que correctionnelle, pour apprécier l’opportunité de procéder aux actes d’enquête nécessaires à la manifestation de la vérité et statuera en matière d'expertises, de perquisitions, d'écoutes téléphoniques, de saisies, de contrôle judiciaire et de détention provisoire... Il assurera ainsi la mise en état de l’enquête pénale, dans une mission d’arbitrage entre le parquet et la défense, indispensable au respect de l’égalité des armes. Ce juge spécialisé siégera en formation collégiale pour les mesures telles que la détention provisoire ou le contrôle judiciaire.

Une police judiciaire rattachée aux juridictions

La qualité de l’enquête pénale dépend largement des services d’enquête, de la qualité des officiers de police judiciaire et des moyens qui leur sont donnés. La tutelle actuelle du ministère de l’intérieur pèse lourdement sur l’indépendance et les marges d’action des officiers de police judiciaire. Les exemples abondent de cette mainmise du ministère de l’intérieur sur les enquêtes pénales et donc sur la justice pénale. Le rattachement aux juridictions des officiers de police judiciaire s’avère donc indispensable pour garantir l’efficacité et l’efficience de l’enquête pénale.

Une défense effective pour tous, au service du procès équitable

L'équilibre de la justice pénale repose aussi sur le « contre-regard » de la défense, qui sert à mieux juger. La réforme pénale que nous préconisons doit assurer une possibilité d’intervention de la défense à tous les stades de l’enquête et depuis la garde à vue. Cette présence effective et active de la défense ne doit plus être l’apanage de quelques justiciables, dont les moyens financiers ou l’intérêt de l’affaire leur permettent d’accéder à une défense de qualité. Un État de droit doit assurer à tous les citoyens une défense digne de ce nom, par une réforme de l’aide juridictionnelle. Cette réforme passe nécessairement par un abaissement significatif du seuil d’admission au bénéfice de cette aide et par l’accroissement de la rémunération par l’Etat des avocats dont les clients bénéficient de l’aide juridictionnelle.

Ce nouvel équilibre permettrait de pallier les inconvénients de notre actuel système inquisitoire, sans tomber dans certains travers d'un système accusatoire.

Aïda Chouk*

* Présidente du Syndicat de la magistrature.