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Repenser les priorités et les modes d’intervention de la police
par Laurent Bonelli*

 
Parmi les multiples interprétations des troubles qui ont secoué les banlieues françaises en octobre-novembre 2005, peu se sont interrogées sur les raisons qui ont poussé trois adolescents de Clichy sous Bois à fuir un contrôle policier, alors même qu’ils rentraient d’une partie de football et n’avaient rien à se reprocher. A fuir de manière si éperdue, qu’au mépris du danger, ils pénétrèrent dans un transformateur électrique qui ôta la vie à deux d’entre eux. Est-ce parce que l’un, pourtant scolarisé, était sans-papiers ? Est-ce parce qu’appartenant aux jeunesses populaires, issus de l’immigration et vivant dans un quartier dit « sensible », ils anticipaient les conséquences souvent déplaisantes d’un tel contrôle : tutoiement, humiliation et parfois violence physique ? Au delà de ce tragique exemple, la récurrence et la concordance des témoignages sur ces pratiques policières rendent incontournable la réflexion sur les priorités de l’institution et la manière dont elles s’exercent au quotidien.
La police n’est plus aujourd’hui seulement en charge du maintien de l’ordre public et de la lutte contre la criminalité. Elle doit désormais juguler les désordres nés de la dégradation sociale et économique des milieux populaires, laminés par vingt cinq ans de chômage massif, de précarité professionnelle et d’insécurité existentielle. Cette fonction de régulation de ceux qui apparaissent à bien des égards comme des surnuméraires pour l’ordre libéral se reflète fidèlement dans les statistiques policières. Alors que les faits constatés par les services de police et de gendarmerie doublaient entre 1974 et 2004, le nombre de personnes interpellées pour infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS) était multiplié par 39 et pour infractions à la législation sur les étrangers (ILE), par 8,5… Dans le même temps, les taux d’élucidation (affaires résolues/faits constatés) régressaient fortement, passant de 43,3% à 31,8%. Ce qui en d’autres termes veut dire que l’activité policière se concentre sur des petits délits dont la constatation résulte de la présence policière dans la rue, ainsi que de l’intensification du contrôle de certains groupes sociaux . La police opère ainsi un profilage social quasi systématique, dont les « jeunes » des quartiers populaires et les migrants sont les principales cibles.
Pour mener à bien ces nouvelles missions, la priorité a été donnée à une police d’intervention plutôt qu’à une police d’investigation ou comme feignent de le croire les responsables socialistes, à une police de proximité. Le développement des brigades anti-criminalité (BAC) est le plus significatif de ce mouvement, que certains policiers n’hésitent pas à dénoncer comme une « militarisation » de leur métier. Fortement dotées en matériels offensifs et défensifs (flash-ball et récemment tasers), ces unités musclées préfèrent le « saute dessus » à l’enquête. Au delà de certains cas avérés de racisme, la brutalité de ces forces d’intervention a des raisons plus structurelles, au premier rang desquelles leur jeunesse. Celle-ci s’explique, outre les sélections physiques nécessaires pour y entrer, par le fort turn over qu’elles connaissent. Les policiers les plus expérimentés les désertent, faisant jouer leur ancienneté pour demander leur mutation dans des services plus « tranquilles » ou des rapprochements géographiques de leur région d’origine. Ces unités restent donc, le plus souvent, dépourvues « d’anciens » qui pourraient inculquer des savoir-faire opératoires et donner quelques clés de décryptage de situations incompréhensibles à beaucoup. En effet, peu assurés professionnellement, ces jeunes policiers, souvent issus de petites villes de province, sont socialement très éloignés des cités et de leurs habitants, qu’ils soient ou non d’origine immigrée. D’où leur malaise à intervenir dans des grands ensembles dont ils ne connaissent ni les codes ni le fonctionnement, ce qui se traduit à la fois par la peur d’intervenir et surtout par l’absence de distance au rôle qui caractérise des policiers plus expérimentés et en affinité avec leur terrain.
Dans un contexte politique appelant à la « reconquête des cités », ou plus simplement à « faire du chiffre », leurs interventions se résument le plus souvent à une répression sans délits, à des contrôles sans infraction qui sapent l’autorité de la police. Les interactions quotidiennes avec les groupes de jeunes prennent alors la forme de confrontations ritualisées dans lesquelles toute défaite, symbolique ou physique, de l’un ne peut être perçue que comme une victoire de l’autre. Cette forme de rivalité mimétique explique les attroupements systématiques lors des contrôles voire les « caillassages » des policiers par les jeunes, auxquels répondent d’inutiles vérifications d’identité à répétition, des intimidations, des humiliations, voire des coups, ainsi que l’usage de plus en plus fréquent des catégories « outrage » et « rébellion ». Cette situation induit une spirale de violence qui ne résout rien en matière de désordres, et dont les effets sont funestes tant pour la légitimité policière que pour ceux qui – à Clichy et ailleurs – en sont les victimes.
Il importe donc de repenser de manière urgente les priorités et les modes d’intervention de la police. Les opérations de police spectaculaires, qui déplacent au mieux les problèmes et procèdent d’une réaffirmation théâtrale de l’ordre public doivent laisser la place à un travail judiciaire plus discret, mais beaucoup plus efficace à terme.
Ceci suppose d’abord d’en finir avec la « culture du résultat », basée uniquement sur la baisse des statistiques, dont les statisticiens non policiers ont montré les limites. En d’autres termes, il vaut souvent mieux arrêter les trois responsables d’un réseau local de trafic de drogue que quinze petits revendeurs, qui seront remplacés aussitôt. C’est statistiquement moins probant, mais les effets sont sans commune mesure à court et à moyen terme, tant sur le climat d’un quartier que pour la légitimité de la police.
Ceci implique également de réfléchir sur les modalités des interventions policières et notamment de l’usage de la force. Le peu d’empressement de la justice à réprimer les abus que peuvent commettre les policiers, de même que l’absence, soulignée unanimement par les observateurs internationaux, d’institution indépendante de contrôle, dotée de pouvoirs de sanction sont des questions qui doivent être résolues de manière urgente, tant elles cristallisent les ressentiments.
Ces différentes mesures ne sont pas inaccessibles. Elles sont même relativement faciles à mettre en place et peuvent se nourrir de précédents étrangers. Elles permettraient à très court terme de pallier le manque d’imagination politique qui conduit gouvernants de droite comme de gauche à faire de la police le principal régulateur de la marginalité urbaine, en dépit des résultats catastrophiques de cette option. Ce n’est sans doute qu’à ce prix que le slogan « police partout, justice nulle part » pourrait perdre de son acuité.
Laurent Bonelli*

* Sociologue, université de Paris X – Nanterre.

[1] Et l’abandon corrélatif de la répression de toutes les formes de délinquance complexe, comme le reconnaît le Rapport au Garde des Sceaux sur la politique pénale menée en 1999, Direction des Affaires Criminelles et des Grâces, avril 2000, p. 27. Voir ci-après les contributions de Aïda Chouk et Eva Joly.


Réaction(s) à cet article
4 Gardiens de la Paix par van duyns
le mercredi 02 mai 2007 à 19:07
Remarquable analyse, tellement véridique et c'est un flic qui vous en félicite, un flic qui en 3O ans de carrière a vu se détériorer ses conditions de travail et surtout ses pratiques.Il ne faut pas parler de "culture du résultat"
notion trop "positive" en terme de réussite mais de tyrannie du chiffre, faire du chiffre à tout prix. Mais si la... [ lire la suite ]
3 Violences et insécurité par Sylvain
le dimanche 01 avril 2007 à 10:10
Le phénomène de l'insécurité, notamment dans les quartiers populaires, ne doit pas etre nié. Cependant, il est nécessaire de s'interroger sur les causes réelles de l'insécurité.
Différentes études sociologiques, comme celle de S.Beaud et M.Pialoux, soulignent les causes sociales de la violence urbaine. Ensuite, L.Bonelli souligne un autre aspect... [ lire la suite ]
2 à Elisa par Kassad
le mercredi 14 mars 2007 à 18:06
Vous ne faites que reprendre les argument fallacieux de la doite et de leurs laquais de TF1. Que dites-vous du rapport annuel de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) qui signale à nouveau une augmentation des saisines (+ 25% par rapport à 2005) concernant les abus policiers en sachant que la majorité des plaintes émises en... [ lire la suite ]
1 Aux frontieres du reel... par Elisa Lamouine
le lundi 12 février 2007 à 17:05
"l’activité policière se concentre sur des petits délits dont la constatation résulte de la présence policière dans la rue, ainsi que de l’intensification du contrôle de certains groupes sociaux"...Peut etre qu'ume cite devient calme quand personne n'y fait attention, comme une bougie dans la foret, n'est-ce pas? C'est vrai, quelle erreur de... [ lire la suite ]