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Les réactions à "Lutte contre les discriminations : un levier de transformation sociale"par Patrick Simon

1 Dans le Miroir du monde arabe : de l’expert au traducteur culturel ; les délices de l’Occidentalo-centrisme. Un changement nécessaire de perspective par suleiman-gabryel asser
le jeudi 22 février 2007 à 08:08
Dans le flux des informations concernant la question du Proche Orient, il est frappant de voir le consensus médiatique et politique que la question soulève dans l’espace occidental. J’aimerais proposer une analyse de ce mouvement profondément occidentalo-centré dont l’attitude médiatique n’est qu’un triste révélateur. Cette réflexion a un principe directeur, il est urgent de changer le regard envers les réalités du monde arabe. Ce n’est que par ce changement de perspective que l’Europe pourra penser de manière autonome son rôle dans le monde arabe .
Le Liban et sa tragédie humaine ont illustré la construction d’un nouveau consensus occidental institutionnalisé à partir des attentats du 11 septembre 2001. Par l’entremise de différentes littératures intellectuelles (Kramer, Pipes, Lewis) a été mis en place un nouveau cadre terminologique et idéologique dont le concept de l’Occident serait l’élément structurant. Reprenant les idéaux de la guerre froide, ces nouveaux intellectuels néo-conservateurs théorisent sur l’inévitable clash des civilisations dont l’Islam serait l’élément le plus dangereux. Le mode pratique de cette idéologie occidentaliste s’est vérifié dans la question du Proche Orient et le soutien inconditionnel envers le gouvernement israélien face aux Palestiniens. Israël, dans cette nouvelle configuration, est vu comme l’élément de structuration d’une nouvelle politique américaine du « Grand Moyen Orient » visant à réduire politiquement et militairement les forces d’oppositions (et donc de déstabilisation) à l’ordre américain dans cette région du Monde. A l’aune de cet objectif, le combat relève d’une lutte essentialisée entre la démocratie et le terrorisme : L’Iran, le Hezbollah, le Hamas, Al Qaida sont rattachés à une même catégorie ; le terrorisme dont l’aspect politico culturel (l’islam) serait l’élément déterminant. Dans ce combat entre le Bien et le Mal, Israël comme « unique démocratie dans la région » est perçu comme l’exemple et le relais du modèle démocratique de l’Ouest. Ainsi toute attaque visant Israël relève d’une « attaque contre le monde civilisé occidental » selon le premier ministre Ehud Olmert.
Le soutien explicite (Les Etats-Unis, La Grande Bretagne) et implicite (L’Union Européenne) à Israël sous-tend l’idée que le danger de l’intégrisme islamique ne relève plus d’un combat localisé, mais impose une alliance solidaire entre toutes les puissances civilisées face à ce qui est considéré comme les « nouveaux Barbares du XXI ». A l’aune de ce paradigme du consensus culturel, les prises de positions et les discours seront jugés sous la toise de ce modèle. Le narcissisme culturel ne peut comprendre l’Autre si seulement ce dernier adopte les usages qu’implique ce lien. Le monopole de la définition qu’il articule permet, d’une part de construire le cercle du consensus culturel convenable, et d’autre part de signifier la mise à l’index qu’encourent toutes personnes enfreignant les règles du jeu. Ainsi on décidera d’une coupure ontologique entre un « bon islam » modéré et soluble dans la démocratie, et un « mauvais islam » intégriste et anti-occidental. On édictera des valeurs prônées (liberté, démocratie, droits de l’homme) comme machine de guerre susceptible d’exclure les importuns accusés et de déroger aux valeurs élémentaires du savoir vivre occidental. On couvrira d’éloge ceux qui, situés à Paris et à Washington, voudront réformer le monde arabe ; on rejettera dans l’opprobre ceux qui se préoccupent du devoir intellectuel de complexité, accusés d’être au mieux une cinquième colonne, au pire des « idiots utiles » compagnons de route de l « ’islamo fascisme ».
Pratiquer cette lecture archétypale sous prétexte qu’elle permet de mieux comprendre l’objet (le monde arabe) tend à brouiller et à accentuer l’effet de crise de la réalité du monde arabe sans pour autant en donner les clés. Cette réduction de la réalité a accentué le monopole et (donc la puissance) de fait de certains médias.
Ce pouvoir devient un objet de lutte où le narcissisme culturel structure bien des comportements occidentalo-centrés. Le débat est ainsi marqué par la dictature de l’actualité et le primat du religieux comme unique vecteur explicatif des questions de terrorisme, et du rapport entre les pays du Nord et du Sud. Dans cette gestion de l’information, dans ce processus de fabrication médiatique, l’Islam semble être un sujet idéal. Il permet de traiter un sujet sérieux et en même temps, il renvoie au sensationnel.. Du thème de la politique (fondamentalisme) jusqu’au domaine privé (vision de la mixité sexuelle, droit de la femme), l’Islam est un sujet attrape tout. L’important n’est pas tant d’en parler véritablement, en le restituant dans sa complexité mais au contraire, d’en faire un objet de sujet simplifié et polémique complètement déconnecté de la complexité des choses. Le « sujet islamique » décrit devient un spectre omniprésent sur lequel, attentats et guerres permettent aux spectateurs occidentaux d’éviter de voir l’humaine altérité cachée derrière ces mondes virtuellement accessibles et sur interprétés.
A ce stade de la question, il serait réducteur de ne se préoccuper que des modes de propagandes médiatiques sans prendre en compte les canaux d’interprétations (La société médiatique, le champ intellectuel, les institutions). Des canaux qui, à l’aune du marasme général, peinent à trouver le chemin des différentes réalités concernant le monde arabe. Paradoxe (apparent) dans la société de la communication mondiale, les canaux concernant l’Autre se réduisent à quelques images (souvent de violence), quelques conflits politiquement flous, quelques dictateurs sanguinaires. La réalité de l’Autre pour le public se résumant ainsi à l’horreur ou à la peur. Le traducteur remplace le spécialiste dans la configuration du débat public. Il n’est plus demandé aux spécialistes de rendre compte de la marche du monde, mais de devenir l’interprète prudent de la « révolte contre l’Occident ». « Pourquoi nous détestent-ils ? ». A cette question angoissante, l’essayisme du traducteur est censé répondre qu’ « Ils » sont contre « la démocratie » et la « liberté ». Pourquoi comprendre ce qui peut être facilement interprété et restitué comme une guerre de « tous contre tous » ? Légitimé par le prisme déformant de la machine médiatique, le traducteur essayiste devient l’élément commode, d’un coup de force symbolique permettant de légitimer des catégories récusées par les sciences sociales et de définir une nouvelle doxa binaire où le monde arabe serait divisé entre un « bon islam » tranquille et modéré et un « islam radical » fasciste et terroriste. La construction d’un nouveau vocabulaire scientifique permet de séparer des camps jugés aux intérêts opposés, et de s’émanciper de tout jugement de valeurs universitaires, sans que jamais les questions épistémologiques puissent véritablement être débattues ou posées. En cela, le spécialiste traducteur reproduit explicitement le rapport du fort au faible, monopolisant l’interprétation d’un objet réduit à une identité préconstruite. Du fait de la construction de l’altérité du monde arabe et de l’Islam, la violence symbolique se fait scientifique permettant de définir l’autre sans prendre le temps d’établir un dialogue. Etablir une différence ontologique entre l’observateur et l’observé permet au premier de devenir le traducteur du second. Un traducteur qui bénéficie d’un monopole interprétatif à propos de catégories (les « arabes », les « musulmans ») présentées de manière textuelle et virtuelle. Ces modèles sont imbriqués dans les différents modèles de l’emboîtement que le spécialiste expert impose à son étude. A l’aune de cette méthodologie, le sujet (de l’individu à la société) devient l’Autre comme personnage culturel global, différencié et même déréalisé ; le spécialiste prenant l’aspect convenable, confortable de traducteur culturel, d’un objet de plus en plus étranger et exotique. Pour reprendre le vocabulaire de l’anthropologie, l’observateur tend à être un sculpteur culturel qui procure de manière autoritaire une forme sociale ou politologique pourvue de sens à un être réduit à une catégorie qui sera, à proprement parler, une création.

Suleiman Gabryel Nasser
Doctorant en science politique et en philosophie à l’IEP-IREMAM et l’université de Genève.

BIBLIOGRAPHIE

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Pierre Bourdieu, John B. Thompson (Préface) « Langage et pouvoir symbolique ». Seuil 2001.
Edward Saïd L\'orientalisme : L\'Orient créé par l\'Occident (Broché) Editeur : Seuil (14 octobre 2005) Collection : La couleur des idées
François Burgat L\'Islamisme à l\'heure d\'Al-Qaïda Editions La Découverte (27 octobre 2005)
François Burgat L\'islamisme en face. La Découverte.2002
François Burgat L\'islamisme au Maghreb. Payot1995