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Les réactions à "Mariage entre personnes du même sexe et homoparenté"par Daniel Borrillo

3 Réactions de l'APGL à la réponse de l'auteur par APGL
le mardi 01 mai 2007 à 07:07


Nous avons pris connaissance de votre réponse, il semblerait que des malentendus subsistent. Pour une partie, la faute nous en incombe. Pour une autre partie, nous nous plaçons sur un plan d’analyse différent mais qui nous semblent pour autant tout à fait conciliable avec votre approche.

Commençons par notre mea culpa.
Nous aurions dû clairement préciser dans notre réaction à votre article qu’en 2007, l’APGL a abandonné le concept du livret de l’enfant.
Une des raisons de cette évolution est que ce livret de l’enfant laissait à entendre que nous demandions une inscription des origines biologiques dans le droit, ce qui n’était nullement le cas. De tout temps, l’APGL a demandé que la filiation légale soit basée sur la volonté et l’engagement parental et nullement sur le biologique. Par ailleurs, nous considérons que les origines biologiques ressortent du domaine privé. Elles concernent uniquement l’enfant, les donneurs de gamètes, la femme qui lui a donné naissance et éventuellement ses parents si il est mineur. Ces informations n’ont aucune pertinence dans l’identité sociale d’un enfant. Il n’est nul besoin pour un individu de préciser qui sont ses géniteurs lorsqu’il fait des études, lorsqu’il loue un appartement, lorsqu’il demande une carte d’identité, lorsqu’il présente sa carte d’électeur ou lorsqu’il souhaite contracter un mariage.
L’autre inconvénient du livret de l’enfant est qu’il conduisait à faire des hiérarchies entre les enfants : ceux qui disposaient des mêmes noms dans toutes les cases et ceux dont certaines cases resteraient à jamais vide.
Ce livret de l’enfant a été un outil pédagogique fort utile pendant de nombreuses années pour faire comprendre les différents aspects de la filiation (biologique, légale, sociale) à une variété de personnes, notamment politiques.. Devenu source de confusion, il a donc été entériné cette année par vote du conseil d’administration de l’APGL de supprimer le livret de l’enfant de nos revendications.

Venons en maintenant aux autres critiques que vous formulez en laissant pour l’instant de côté la place des origines biologiques (nous y reviendrons plus loin).

Vous écrivez « elle [l’APGL] demande aussi « d’autoriser la recherche en paternité par les enfants n’ayant qu’une seul origine connue » (proposition pour l’évolution législative, voir le site web de l’association). »
Nous ne savons pas où vous avez pu trouver de tels propos de notre part, ou alors c’est une phrase qui est sortie de son contexte. Nous demandons la possibilité pour les enfants qui le souhaitent, pour ceux et celles qui en éprouveraient le besoin, d’avoir accès à leurs origines,. Nous ne demandons aucunement que cette recherche soit faite de façon systématique dès lors qu’il n’y aurait qu’une seule origine connue (ce que cette phrase laisse sous entendre). Cette recherche ne peut d’ailleurs aucunement s’appeler recherche en paternité puisque le lien biologique ne fait pas un père. A nos yeux, il s’agit éventuellement pour un enfant de rechercher un géniteur, certainement pas un père.

Vous écrivez : « Le lapsus commis par la représentante de l’association dans l’audition du séant le 13 juillet 2005 est fort significatif : « Nous souhaitons que la filiation soit basée sur l’engendrement » (page 3 point B) la connaissance des origines). »
Cette phrase est tout bonnement à l’opposé de ce que nous demandons sur tous les tons depuis des années : une filiation qui soit basée sur la volonté et l’engagement parental. Vous trouverez des centaines de références (interventions écrites ou orales) sur cette conception de la filiation que nous prônons. Nous n’avons pas retrouvé trace de ce lapsus dans les documents dont nous disposons. Il est possible qu’il s’agisse d’une erreur de retranscription. Si toutefois il s’agissait bien d’un lapsus, nous espérons que vous voudrez bien considérez que les centaines de références contrebalancent largement cette erreur qui s’est malencontreusement glissée. Vous nous obligeriez en ne l’utilisant pas comme prétexte à nous faire dire le contraire de ce que nous disons !

En ce qui concerne la levée du secret sur les origines biologiques (anonymat des donneurs, accouchement sous x), vous vous étonnez que ces revendications semblent dépasser le cadre de notre association. Elles sont pourtant sous-tendues par la logique globale dans laquelle nous nous inscrivons.
Notre société est historiquement baignée dans le primat de la reproduction biologique. Il ne nous semble pas possible de repenser le droit actuel sans repenser l’idée que nous nous faisons de la biologie et la remettre à sa place.

D’un point de vue purement juridique, la solution paraît toute simple : il suffit d’ouvrir l’adoption plénière et l’accès à l’AMP aux couples de même sexe, comme vous le dîtes. Pour autant, les représentations sociales de la reproduction bisexuée restent un frein à de multiples niveaux. Selon ces représentations (que nous dénonçons) :
- seul un couple hétérosexuel pourrait engendrer donc seul un couple hétérosexuel pourrait être parent (d’où la prééminence de l’hétérosexualité sur l’homosexualité dans l’espace social de la reproduction que vous dénoncez très justement).
- Seuls les géniteurs pourraient être parents.
- La différence des sexes dans le couple parental serait essentielle pour qu’un enfant puisse se construire.
Nos revendications concernant l’accès aux origines ont donc essentiellement pour but de démontrer comment le droit actuel organise des secrets, des mensonges et des fictions lorsque ces représentations sont battues en brèches pour les parents hétérosexuels qui ne sont pas géniteurs. Ces secrets, mensonges et fictions tout à la fois s’appuient et viennent renforcer la prééminence de la reproduction biologique. Or, ce sont bien ces représentations qui nous interdisent pour l’instant l’accès à la filiation légale. Notre démarche vise à déconstruire ces représentations.

En ce qui concerne la levée de l’anonymat, les couples de lesbiennes ne demandent pas cette levée de l’anonymat pour elles mêmes. La preuve en ait qu’une très faible minorité de ces couples se tourne vers les Pays-Bas, seul pays permettant aujourd’hui à un enfant de faire une demande motivée pour avoir des informations sur ses origines biologiques à sa majorité.
Mais qu’en est il, qu’en sera-t-il pour les enfants de ces couples? Qu’en est il en général pour les enfants conçus par IAD? Nous savons aujourd’hui que certains enfants conçus par IAD au sein d’un couple hétérosexuel vivent comme une curiosité, parfois une souffrance de ne pouvoir avoir au moins quelques informations sur leur géniteur. Parmi eux, seuls une petite proportion de ces enfants aimeraient disposer de l’identité du donneur, voir le rencontrer. Les raisons pour cette quête peuvent être multiples et quelles qu’elles soient, nous devons nous poser la question : qu’est ce qui empêche que la demande de ces enfants soit recevable ?
Nous pensons, et c’est le sens de la réponse que nous vous avons faites, que l’Etat, au travers du droit, n’a pas à décider à la place des parties concernées : les géniteurs, les enfants et les parents s’ils sont mineurs. L’Etat n’a pas à protéger l’intérêt des parents qui vivent les géniteurs comme une menace (du fait justement du la prééminence du biologique dans les représentations), à cautionner l’organisation du secret de la conception, ni à juger illégitime la demande de ses enfants.
La première condition pour pouvoir avoir connaissance de ses origines biologiques est qu’il y ait un conservatoire des origines. C’est le sens de notre demande.
La deuxième condition est que le donneur lui-même donne son accord, soit immédiatement au moment du don, soit lorsqu’il est contacté plus tard si l’enfant issu de son don en émet la demande.

Concernant l’accouchement sous X, nous considérons qu’une femme doit avoir le droit d’accoucher sans que cela ne fasse d’elle une mère légale. Le droit actuel renvoie les femmes du coté de la nature : accoucher suffit à faire d’elles des mères (ordonnance de juillet 2005). Si elles ne veulent pas de cette maternité, le droit fait comme si l’accouchement n’avait jamais existé. Sans faire de psychanalyse de concierge, cela ressemble à un déni de réalité organisé socialement.
Nous demandons à ce que les femmes qui mettent au monde un enfant sans vouloir en être le parent puissent renoncer à leurs droits parentaux (Nous demandons la même chose pour les hommes. C’est aussi renvoyer les hommes à la nature que de leur imposer une paternité simplement parce qu’ils sont les géniteurs, alors même qu’ils ne veulent pas être pères). Nous souhaitons que les femmes puissent faire ce choix en toute transparence et que l’on cesse de les culpabiliser lorsqu’elles décident, pour elles-mêmes, de ne pas s’occuper des enfants qu’elles mettent au monde. Ce n’est donc pas la suppression de la nature confidentielle de l’accouchement sous X que nous préconisons. Nous demandons à ce que les femmes puissent librement renoncer à leurs droits parentaux d’une part, et d’autre part laisser la possibilité aux enfants qu’elles mettent au monde de pouvoir disposer d’informations sur leur génitrice, un jour, si ils en éprouvent le besoin. Au nom de quoi une femme qui a fait ce choix de confier son enfant à d’autres parents ne pourrait pas très simplement expliquer les circonstances de sa naissance à son enfant biologique ? Ou avoir le choix de refuser de fournir des informations si telle est sa décision? Si la culpabilité n’est plus associée au fait de refuser d’être une mère, si on prend conscience que ce sont la volonté et l’engagement parental qui font parent, pas la biologie ou l’accouchement, de quoi faut il donc avoir peur ? Au passage, pourquoi continuer à stigmatiser ces seules femmes en faisant mine d’oublier qu’il y a aussi quelque part un géniteur qui a implicitement renoncé à être un père (ou qui ne peut le revendiquer si d’aventure la grossesse lui a été dissimulée)?

Les enfants qui naissent par IAD ou qui sont adoptés, sont élevés et baignés dans la culture historique de nos représentations sociales, médicales, religieuses ou autres. Ces représentations doivent évoluer et pour qu’elles évoluent, il y a deux approches qui nous semblent complémentaires et que nous défendons avec une égale détermination. La première est d’évacuer toute référence au biologique dans l’établissement de la filiation légale, et sur ce point nos avis convergent. Au-delà du droit, il y a cependant des individus qui doivent être considérés comme libres et responsables de leurs actes. La deuxième approche consiste à dénoncer l’incapacité à penser le biologique pour ce qu’il est : la biologie ne suffit pas et n’est pas nécessaire pour faire parent. Au niveau de l’individu, il nous semble donc important de préciser les rôles des donneurs de sperme, des donneuses d’ovocytes et des génitrices afin de différencier ce qui est de l’ordre du droit de la filiation (l’engagement parental) et ce qui ne l’est pas. C’est le sens de nos revendications.

Contrairement à votre interprétation, nous ne mettons pas comme condition de rendre explicite la reproduction procréative pour ouvrir un droit de filiation à un couple de même sexe. La solution juridique est simple, mais si la majorité dominante hétérosexuelle n’est pas à même de repenser lien biologique et filiation y compris pour elle-même, alors notre combat sera d’autant plus difficile.

Lorsque nous vous lisons, nous avons le sentiment de partager votre vision des choses sur le plan juridique et symbolique. Nous regrettons donc d’autant plus d’avoir si souvent le sentiment de ne pas être compris.

L’écrit n’étant pas nécessairement la forme la plus aisée pour aborder ces sujets, nous aimerions vous rencontrer pour en discuter plus avant. Il nous semble que les uns et les autres gagnerions à un échange constructif.

Cordiales salutations.

Marie-Pierre Micoud (membre du bureau national de l’APGL) et Martine Gross (présidente d’honneur de l’APGL)


PS : Au début de votre article, vous remerciez les « représentants » de l’APGL. Pourquoi pas les « représentantes » ? Venant de vous, c’est surprenant !
2 Réponse de l'auteur
Commentaire à la réaction de l'APGL à mon article par Daniel Borrillo
le samedi 07 avril 2007 à 16:04
Je remercie vivement aux représentants de l’APGL qui ont répondu à mon article « Mariage entre personnes du même sexe et homoparenté ». Le commentaire à cette réponse me permettra de préciser mes critiques à la politique de l’APGL non pas en matière d’homoparentalité, je partage pleinement ce combat et je fournis dans des nombreux articles les arguments juridiques permettant une pleine reconnaissance de la parenté unisexuée.
Mon désaccord avec l’APGL porte sur la place que celle-ci entend octroyer à la question des origines biologiques. Dans l’ensemble des propositions d’évolution législative ainsi que dans les auditions parlementaires, les représentants de l’APGL demandent une modification du système de filiation actuel en matière d’anonymat. En effet, l’APGL milite pour que « l’anonymat de l’insémination artificielle avec donneur soit levé, en conservant l’identité des donneurs pour permettre aux enfants d’accéder à leur majorité à la connaissance de leurs origines » (audition au Sénat du 13 juillet 2005), elle demande aussi « d’autoriser la recherche en paternité par les enfants n’ayant qu’un seul origine connue » (proposition pour l’évolution législative, voir le site web de l’association). L’APGL milite également pour la suppression de l’accouchement sous X et pour la création d’un conservatoire des origines.
Le combat de l’APGL va au-delà de l’égalité des familles homoparentales. Elle devient aussi une association pour la reconnaissance des origines biologiques. Le lapsus commis par la représentante de l’association dans l’audition du séant le 13 juillet 2005 est fort significatif : « Nous souhaitons que la filiation soit basée sur l’engendrement » (page 3 point B) la connaissance des origines).
Dans l’état actuel du droit, il suffit simplement d’élargir l’accès à l’adoption plénière et l’assistance médicale à la procréation aux couples de même sexe pour mettre fin à la discrimination dont ces dernières sont victimes. Pourquoi aller au-delà ?


C’est précisément ce combat de l’APGL contre l’accouchement sous X et contre l’anonymat de l’IAD qui me semble susceptible d’être critiqué pour deux raisons principales :

D’un point de vue théorique, l’inscription (même sans effet juridique) dans le livret de famille des origines biologiques introduit symboliquement la présence du géniteur, comme si le fait de fournir du matériel biologique dans le processus d'engendrement lui octroyait un statut à côté de celui du parent juridique. Cette inscription est particulièrement encombrante pour les couples de même sexe qui souhaitent établir un lien de filiation directe sans la présence du ou des géniteurs.

Du point de vue pratique, je ne suis pas sûr que les couples de lesbiennes qui accèdent à la maternité par l’IAD veulent voir le nom du donneur inscrit dans le livret de famille. Pourquoi imposer un géniteur là où le couple a choisi l’anonymat ?
L’accouchement sous X est un moyen qui permet à beaucoup de femmes de renoncer à la maternité sans recourir à l’avortement (soit par conviction soit par prescription du délai légal). Pourquoi obliger donc à cette femme à se trouver un jour face à l’enfant qu’elle a légalement abandonné ?

C’est en ce sens que j’ai écrit dans mon article que l’APGL participait (peut être involontairement) de cette mouvance de remise en question du principe juridique classique de dissociation de la reproduction et la filiation (et de toute référence à une origine biologique quelconque). Il s’agit pour cette idéologie d’ouvrir des droits parentaux aux homosexuels à condition de préserver quelque part la prééminence procréative de l’hétérosexualité, c’est après avoir rendu explicite l’origine procréative (différence de sexes) que l’homosexualité pourra par la suite demander de s’inscrire dans l’ordre des filiations.

Il me semble que l’APGL est une association de défense de droits des parents et futurs parents gays et lesbiens et non pas une association pour la défense du droit aux origines biologiques des enfants.
Si tel est devenu le cas, il me semble qu’il faudrait le communiquer plus clairement.
1 réponse de l'APGL au texte de Daniel Borrillo l'a mettant en cause par Gross Martine
le lundi 12 mars 2007 à 15:03


HOMOPARENTE ET ORIGINES BIOLOGIQUES
par Marie-Pierre MICOUD* et Martine GROSS**

L’APGL est la principale association représentant les familles homoparentales. Depuis bientôt 10 ans, l’APGL est auditionnée par différentes missions parlementaires ou gouvernementales chaque fois qu’il est question d’une réforme du droit de la famille ou des lois de bioéthique.
A chaque fois, elle dénonce les conséquences de la filiation juridique actuelle basée sur l’engendrement qui conduit, en l’absence de sexualité procréatrice, à l’organisation de fictions. Lorsque plus de deux personnes ont contribué, qui par la volonté, qui par les gamètes, à la venue d’un nouvel être au monde, tout est fait pour dissimuler que les parents désignés par la loi ne sont pas ceux qui ont procréé. Prenons deux exemples : l’adoption et le recours à un don de gamètes. Dans l’état actuel du droit, l’adoption est une filiation instituée par laquelle « les enfants sont réputés être nés de leurs parents adoptifs ». Dans le cas de l’insémination artificielle avec donneur, les pères hétérosexuels stériles doivent s’engager à ne pas contester leur paternité biologique. Le législateur aurait pu demander à ce que ces pères adoptent les enfants ainsi conçus. L’irrévocabilité du lien de filiation aurait été parfaitement garantie tout en rendant inutile le montage d’une fiction juridique alambiquée.

Dans certains cas, l’importance accordée à la vérité biologique permet de contester certaines filiations établies. Un enfant, reconnu par le compagnon de sa mère, qui portait un nom, avait un père, s’en voit dépouillé du jour au lendemain, lorsque avec la séparation, l’homme ne veut plus de cette paternité. Dans d’autres cas au contraire, un homme peut se voir imposer une paternité qu’il n’a pas voulue. A l’heure actuelle, il est par exemple très périlleux pour un couple hétérosexuel, une femme ou un couple de femmes de recourir à un donneur connu. Un homme souhaitant leur apporter son aide ne peut acter de sa volonté à renoncer à ses droits parentaux. Si cet homme a des enfants par ailleurs, ceux-ci ne sont pas à l’abri d’une recherche en paternité de la part des enfants nés grâce à son don.
L’ordonnance de juillet 2005 portant réforme du droit de la filiation va encore plus loin pour baser le droit sur la nature : une femme non mariée n’a plus besoin de déclarer sa volonté d’être parent pour établir la filiation. Le seul accouchement suffit à l’établir. Pour ne pas établir cette filiation, il lui reste l’accouchement sous X qui, on le sait peu, est un dispositif qui supprime l’accouchement lui-même (il est réputé ne jamais avoir eu lieu).

Notre droit de la famille ne permet pas de reconnaître qu’il y a des situations où coexistent des géniteurs et des parents. Dans de telles situations, les uns doivent être impérativement remplacés par les autres. D’un côté, être géniteur donne automatiquement la qualité de parent, parfois contre son gré. De l’autre coté, être parent sans être géniteur doit être dissimulé comme quelque chose de faux.

Du coté des représentations sociales, les liens de sang continuent d’être perçus comme une condition sine qua non pour devenir et se sentir parent. Les parents qui ne sont pas aussi des géniteurs se sentent bien souvent insécurisés quant à la force des liens qu’ils vont pouvoir développer avec leurs enfants. Il n’est pas rare qu’ils dissimulent à tous, y compris à leurs enfants, le recours à un don. En cherchant à apparier les donneurs autant que faire se peut aux pères intentionnels (mêmes caractéristiques physiques, même groupe sanguin, etc.), la médecine contribue elle aussi au renforcement de la prééminence des liens de sang. Le tabou organisé sur le bien-fondé d’une telle pratique fait question. Le droit à son tour en instaurant l’anonymat des dons légitime les secrets des parents au détriment des enfants. Combien d’entre eux se sentiront trahis lorsque le secret finira par être éventé ? Si les êtres en qui ils ont le plus confiance leur ont menti sur l’histoire de leur conception, sur quoi d’autres encore leur auront-ils menti ?

Cette confusion entre engendrement et filiation conduit de la même manière les donneurs de sperme et les donneuses d’ovocytes à craindre la révélation ultérieure de leur identité (« je n’ai pas envie que les enfants nés de mon don viennent frapper un jour frapper à ma porte et attendre de moi ce que je ne suis pas, un père ou une mère »). Elle conduit à la culpabilisation des mères qui accouchent sous X et au désarroi d’hommes qui ne peuvent refuser une paternité qu’ils n’ont pas souhaitée.

La boucle est bouclée : paradoxalement, les enfants qui en éprouveraient le besoin sont dans l’impossibilité d’accéder à l’identité de leurs géniteurs (cela menacerait les parents non géniteurs) et dans le même temps se profile l’idée d’un droit absolu de l’enfant à accéder à ses origines.
Par un effet de boomerang, le droit vient renforcer les représentations sociales enfermées dans une confusion permanente sur ce qu’est un parent, sur ce qu’est un géniteur. Leurs places, pourtant distinctes dans l’histoire et la vie de l’enfant, se trouvent hiérarchisées.
Or, à l’heure où procréation et parenté peuvent advenir sans rapport sexuel entre un homme et une femme, il devient nécessaire de repenser l’aspect légal de la filiation – celui qui fait sens pour la société et pour la protection de l’enfant – comme détaché de l’engendrement.

Les propositions de l’APGL s’appuient sur un socle commun : une réforme du droit de la famille avec une filiation qui soit fondée non plus sur l’engendrement ou la vraisemblance d’une sexualité procréatrice mais sur une éthique de la responsabilité et de l’engagement parental. Du point de vue de la société et de l’Etat, le but d’une filiation légale est d’instituer qui sont les parents (ceux qui s’engagent à l’être auprès de l’enfant et auprès de la société) et non de s’appuyer sur un lien biologique – parfois fictif – entre les parents et leurs enfants.
Ce droit revisité de la filiation permettrait de faire place à toutes les configurations familiales, quelle que soit la manière dont les enfants sont conçus et accueillis par leurs parents.

L’APGL revendique non seulement que la filiation soit établie en actant un engagement parental irrévocable mais elle revendique également la possibilité de manifester dès la conception de l’enfant la volonté des géniteurs d’établir leurs droits parentaux ou d’y renoncer (comme cela est déjà possible en Allemagne).

L’APGL ne demande pas d’inscrire les origines biologiques dans le droit. Elle souligne au contraire que seul l’engagement parental compte, de ce fait les origines biologiques peuvent être libérées de toute conséquence juridique sur la filiation légale. Il ne s’agit donc nullement d’entériner de manière symbolique, comme le dit Daniel Borrillo, la prééminence de l’hétérosexualité sur l’homosexualité, mais de remettre en question la prééminence du biologique pour l’établissement de la filiation légale.

L’information sur les origines n’a de sens qu’au niveau des histoires individuelles : celle de l’enfant, celle de ses parents et celle de ses géniteurs. Détacher la filiation de l’engendrement, c’est favoriser l’émergence de nouvelles représentations sociales sur ce qu’est un parent, sur ce qu’est un géniteur. Dans ces nouvelles représentations que nous appelons de nos vœux, un donneur de sperme ou une donneuse d’ovocytes, une femme ayant accouché sous X, sont des géniteurs, pas des parents. Pourquoi devraient-ils vouloir garder l’anonymat ou se sentir coupables d’avoir contribué à donner la vie tout en refusant d’être un père ou une mère?
Les parents sont eux porteurs du désir qu’ils ont eu d’accueillir un enfant et de s’engager auprès de lui. Pourquoi devraient-ils se sentir insécurisés par la présence de géniteurs ou de génitrices ?
Enfin, faire évoluer le droit et les représentations sociales en donnant des places claires et distinctes aux parents et aux géniteurs ne peut que favoriser la restitution vraie et cohérente de l’histoire de leur conception aux enfants. Maintenir un secret sur la manière dont un enfant a été conçu est probablement néfaste comme le sont généralement les secrets de famille. Quant au secret qui entoure l’identité même des géniteurs, beaucoup d’enfants nés d’un don (don de gamètes, don à l’adoption) n’éprouvent pas de besoin vital de la connaître. Il en est d’autres, au contraire, pour qui ces informations prennent une importance d’autant plus aiguë que la loi leur interdit d’y accéder.
Si certains enfants veulent savoir à qui ils ressemblent, pourquoi ne pas leur apporter une réponse ? Leurs « vrais » parents sont ceux qui se sont engagés à l’être et ils n’entrent pas en compétition avec ceux qui ont seulement donné la vie. Pourquoi géniteurs et parents devraient-ils se sentir mutuellement menacés dans les places distinctes qu’ils occupent dans la vie de l’enfant ?

Libérée des droits et des obligations liées à la filiation légale (basée sur la volonté), libérée de la prééminence du biologique sur l’engagement parental dans les représentations sociales, l’information sur les origines devient accessible. Il devient envisageable de pouvoir énoncer sans s’en sentir menacé de quoi est faite la chair de nos enfants.

Par ses propositions, l’APGL ne participe donc pas au « consensus théorique » qui remettrait en question l’adoption monoparentale. Au contraire, elle demande à ce que l’AMP soit ouverte aux femmes seules, tout comme l’est l’adoption. Quant à l’anonymat des donneurs, et l’accouchement dans le secret, elle préconise de les organiser de manière à ne pas hypothéquer l’avenir : que soient conservées les identités des donneurs de gamètes et des femmes qui ont accouché dans le secret. Les enfants qui le souhaiteraient pourraient ainsi être en mesure de demander – peut-être, un jour – les informations concernant leurs géniteurs, avec l’accord de ceux-ci.
Un droit de la famille basé sur la volonté n’efface pas d’un coup de gomme le fait que les humains sont faits de gamètes mâle et femelle mais ne donne à ce fait qu’une valeur d’information, rien de moins mais rien de plus non plus. Le secret sur les origines, pas plus que la levée de ce secret, ne devrait être imposé par la loi. La révélation ou non des origines biologiques relève des décisions, des choix et des attentes des parties concernées : les enfants, les parents et les géniteurs.

On est loin du tout biologique auquel Daniel Borrillo voudrait nous assigner et il nous a paru important d’en faire état.



* Marie-Pierre MICOUD est Coordinatrice des Antennes et Référente Nationale IAD au sein de l’APGL.

** Martine Gross est Présidente d’Honneur et Responsable du groupe Recherche au sein de l’APGL.