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>> Citoyenneté et institutions >> Mettre en œuvre une autre politique de la sexualité et des libertés sexuelles et repenser les politiques familiales >> Mariage entre personnes du même sexe et homoparenté
 
Mariage entre personnes du même sexe et homoparenté
Egalité, nouveaux droits et nouvelles descriminations
par Daniel Borrillo*

 
Le droit au mariage pour les couples de même sexe et l’établissement d’une filiation doublement masculine ou doublement féminine mettent fin au monopole de l’hétérosexualité, non pas comme pratique sexuelle, mais comme espace symbolique d’une reproduction sociale basée exclusivement sur la différence des sexes. Cette prééminence était traditionnellement garantie par la nécessité du coït hétérosexuel, seul moyen de perpétuation de l’espèce humaine. Les nouvelles techniques reproductives d’une part, ainsi qu’un système juridique qui permettait de fonder la filiation sur la volonté et non plus uniquement sur le biologique d’autre part, ont crée les conditions de possibilité d’une nouvelle forme de filiation : l’homoparenté. C’est la perte de ce monopole symbolique (déjà affaibli par l’adoption monoparentale, par l’accès à l’assistance médicale à la reproduction et par la délégation parentale au profit du partenaire de même sexe) qui a produit les vives réactions auxquelles on a pu assister ces dernières années en France et partout où le débat a lieu. Au moment où l’homoparentalité devient une réalité juridique, un nouveau combat conservateur commence à s’articuler, qui cherche à préserver la fiction d’une filiation hétérosexuelle, sous prétexte du prétendu intérêt supérieur de l’enfant à connaître ses origines biologiques. Alors que le droit au mariage est devenu consensuel à gauche, une hiérarchie dans la parenté commence à se profiler au sein de laquelle la « vérité biologique » viendrait signaler la suprématie hétérosexuelle en matière de filiation.

Le monopole de l’hétérosexualité comme forme d’engendrement est à l’origine de la croyance en sa supériorité physique et morale. L’ordre traditionnel des genres et des sexualités se trouvait agencé autour de la complémentarité du masculin et du féminin, et était fonction de la prééminence politique du premier de ces genres. La lutte pour l’égalité des femmes avait déjà commencé à fissurer la structure de cet édifice ; le mouvement gay et lesbien approfondit la mise en question de l’ordre traditionnel de l’alliance et de la filiation, en interrogeant non seulement le genre mais aussi et surtout l’orientation sexuelle. L’hétérosexualité cesse d’être la norme pour devenir, elle aussi, une orientation sexuelle légitime parmi les autres – homosexualité et bisexualité. Cela a d’abord été le cas au niveau de la vie privée, grâce à la dépénalisation de l’homosexualité et à l’égalité de la majorité sexuelle hétéro/homo (1982) ; la reconnaissance de la vie familiale et celle des couples vinrent avec le Pacs (1999), celle de l’autorité parentale avec la loi de 2002, qui permet la délégation de l’autorité parentale à un tiers, et avec la décision, en 2006, de la Cour de cassation, qui autorise ladite délégation à la compagne de la mère biologique. Le niveau de la reconnaissance juridique met toutefois en évidence les résistances de l’ordre hétérosexiste. En effet, le Pacs n’est pas le mariage ; et la délégation de l’autorité parentale ne signifie nullement la reconnaissance de la filiation homoparentale. Le Pacs ne répond pas à une logique universaliste, et bien qu’il trouve un succès incontestable auprès des usagers hétérosexuels, il ne faut pas oublier qu’il fut conçu pour répondre à la demande politique du mouvement gay et lesbien sans mettre en question la prééminence de l’alliance hétérosexuelle, seule susceptible d’entrer dans l’espace institutionnel le plus légitime : le mariage. De même, la délégation de l’autorité parentale répond à la nécessité d’organiser certains aspects de la vie pratique des familles recomposées au sein desquelles le nouveau conjoint (co-parent ou beau-parent) était traité comme un étranger vis-à-vis de l’enfant de son ou sa partenaire. Là aussi, la situation juridique est loin d’être égalitaire : l’exercice de l’autorité parentale par le partenaire de même sexe (ce que les anthropologues appellent « homoparentalité ») n’est pas la filiation (l’« homoparenté »). La hiérarchie juridique est clairement établie, le mariage et la filiation sont réservés aux couples hétérosexuels, tandis que le concubinage, le Pacs et les aménagements de l’autorité parentale sont communs à l’ensemble des couples.
À l’époque où le couple était défini, implicitement ou même explicitement – depuis les lois de bioéthique de 1994 – comme l’union d’un homme et d’une femme, le droit esquivait sans difficulté la règle biologique au moment d’établir le lien de filiation. La présomption de paternité n’impliquait nullement la reconnaissance d’une quelconque réalité biologique, le mari étant présumé le père, indépendamment de son apport génétique à la création de l’enfant. Le droit est allé encore plus loin, notamment avec l'insémination artificielle avec donneur. En effet, lorsque le problème a été posé par les couples hétérosexuels, la question de la vérité biologique et de la reconnaissance des origines n’a presque pas été évoquée : quand ce fut le cas, elle a été rapidement évacuée. Si aujourd’hui elle revient avec force, c’est précisément parce que la notion juridique de couple englobe désormais également les couples constitués par des personnes du même sexe.

Le Pacs de la filiation

En 1999 la stratégie de la gauche socialiste a été de créer, à côté du mariage, un contrat permettant de résoudre un certain nombre de problèmes pratiques afin que les couples non-mariés, et particulièrement les unions de personnes de même sexe, puissent trouver une place dans le droit sans menacer l’ordre hiérarchique des alliances. En 2007, l’histoire risque de se répéter. En effet, afin de remplir ses obligations électorales, le parti socialiste semble disposé à mettre fin aux discriminations dont les couples homosexuels sont encore victimes, en élargissant d’une part le mariage à l’ensemble des couples, en institutionnalisant d’autre part les familles homoparentales. Toutefois, si l’égalité semble acquise au niveau de l’alliance, les choses sont moins claires au niveau de la filiation. Par une illusion d’optique, tout en revendiquant réthoriquement l’égalité, on peut instaurer un système de filiation inégalitaire : un système au sein duquel la filiation hétérosexuelle jouira d’une prééminence symbolique. Ceux qui sont appelés à gouverner seront sans doute d’autant plus enclins à mettre en place un tel système que l’APGL (Association des parents et futurs parents gays et lesbiens) leur en aura fourni la recette.
Cette association propose en effet d’inscrire dans le droit l’origine biologique de la filiation. C’est à partir de cette base « vraie » qu’il sera désormais possible de construire des liens de filiation fictifs, c’est-à-dire non fondés sur le coït hétérosexuel reproductif. Et voilà comment la question des origines devient une revendication à côté de celle de l’égalité des filiations. Dans cette entreprise, les alliés sont nombreux : juristes, anthropologues, psychanalystes, philosophes… Tous semblent d’accord pour produire un bouleversement révolutionnaire du système actuel de filiation afin de permettre ensuite une entrée, fût-elle timide, des homofamilles. Un tel consensus théorique est troublant : remise en question de la loi de 1966 autorisant l’adoption monoparentale, critique de l’accouchement sous X, interdiction de l’anonymat absolu en cas de don de sperme, demande croissante d’inscription de l’origine biologique dans les actes de naissance en cas d’adoption plénière. C’est donc à condition de préserver quelque part la prééminence procréative de l’hétérosexualité que l’homosexualité pourra par la suite demander de s’inscrire dans l’ordre des filiations. La question du biologique reprend ainsi une vigueur renouvelée, d’une part en assurant la place de l’hétérosexualité au sein de l’homoparentalité et d’autre part en fondant la norme non pas sur la volonté mais sur l’immanence du naturel. Nous sommes loin des solutions égalitaires et conformes au droit moderne de la filiation proposées par les lois espagnole ou canadienne, qui permettent l’accès à la procréation médicalement assistée aux couples de femmes ainsi que la présomption de paternité pour la compagne de la femme qui se fait inséminer avec le sperme du donneur anonyme.
La proposition de loi nº442 tendant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe, déposée au sénat par le groupe socialiste le 30 juin 2006, écarte explicitement la présomption de paternité de l’article 312 du code civil pour les couples homosexuels ; quant à la proposition de loi n°443 relative à l’exercice de l’autorité parentale, elle ne modifie nullement les règles d’accès à la procréation médicalement assistée, demeurant donc réservée aux couples hétérosexuels. De même, les maternités de substitution sont complètement absentes, non seulement des propositions de loi socialiste mais du débat politique français dans son ensemble.
La filiation n’est pas la reproduction et le droit n’a nullement besoin de la biologie pour fonder ses règles. Pourquoi donc cette résistance permanente à assumer nos valeurs égalitaires ?
Peut-être, comme le suggère Hannah Arendt, ne pouvons-nous nous défaire de notre tradition politique platonicienne, et plus précisément du rêve platonicien de fonder une société, non pas sur la délibération volontaire de tous mais sur la vérité supra-politique des idées auxquelles seulement certains initiés ont accès.
Incapable d’assumer une filiation volontaire (particulièrement lorsque les homosexuels s’invitent au débat), on demande à la biologie de nous dire le vrai. La peur de la délibération démocratique, conjuguée avec l’hétérosexisme, produit encore bien de blocages à l’heure d’assumer une politique universaliste du mariage et de la filiation. Enfin, soulignons également que la délibération démocratique implique non seulement l’alignement des droits en fonction des institutions existantes mais aussi leur modification et même la création des nouvelles formes d’organisation de la vie affective et familiale. La contractualisation du mariage (grâce surtout au divorce) et les nouvelles formes de conjugalité (pacs, concubinage) ont donné une place centrale à la volonté individuelle capable de créer d’autres formes d’aménagement de la vie privée non seulement au niveau du couple mais aussi au niveau de la filiation. Un droit de la famille démocratique commence par l’abandon des modèles au profit d’une protection de l’ensemble d’organisations affectives et familiales que les individus estiment les plus adaptés à leurs différentes réalités.
Daniel Borrillo*

* Juriste, maître de conférences en droit privé à l’université Paris X Nanterre, chercheur associé au CNRS.



Réaction(s) à cet article
3 Réactions de l'APGL à la réponse de l'auteur par APGL
le mardi 01 mai 2007 à 07:07


Nous avons pris connaissance de votre réponse, il semblerait que des malentendus subsistent. Pour une partie, la faute nous en incombe. Pour une autre partie, nous nous plaçons sur un plan d’analyse différent mais qui nous semblent pour autant tout à fait conciliable avec votre approche.

Commençons par notre mea culpa.
Nous aurions dû... [ lire la suite ]
2 Réponse de l'auteur
Commentaire à la réaction de l'APGL à mon article par Daniel Borrillo
le samedi 07 avril 2007 à 16:04
Je remercie vivement aux représentants de l’APGL qui ont répondu à mon article « Mariage entre personnes du même sexe et homoparenté ». Le commentaire à cette réponse me permettra de préciser mes critiques à la politique de l’APGL non pas en matière d’homoparentalité, je partage pleinement ce combat et je fournis dans des nombreux articles les... [ lire la suite ]
1 réponse de l'APGL au texte de Daniel Borrillo l'a mettant en cause par Gross Martine
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