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>> Citoyenneté et institutions >> Justice et libertés individuelles >> Comment faire des conditions de détention une question publique ?
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LIENS UTILES
Campagne pour le respect du numerus clausus
Observatoire international des prisons
Sémaphore

LIVRES
Sanctions alternatives à l’emprisonnement et « récidive », Annie Kensey, Françoise Lombard, Pierre V. Tournier avec la collaboration de France Line Mary. éd. Ministère de la justice, 2006.


 
L’aliénation carcérale : sortir d’une impasse ?
par Michaël Faure*

 
Double langage

Le 15 février 2006, le Commissaire européen aux Droits de l’Homme, Alvaro Gil-Robles condamnait sans détour les conditions de détention en France. Il soulignait l’inadéquation entre « le discours de la France, les bonnes volontés qu’elle affiche et sa pratique ». Passer de la velléité à la volonté politique, sur un sujet qui est à la fois à la marge de la société et qui en période électorale prend une place disproportionnée à travers l’unique prisme de l’insécurité, est un exercice que n’ont pas réussi à faire les gouvernements successifs. Ce n’est pas faute d’être alerté de toute part. En 2006, nombreuses sont les institutions parmi les plus reconnues qui sanctionnent les atteintes aux droits de l’homme en prison. La Cour des comptes en janvier, le Conseil économique et social dans un avis publié le 22 février stigmatisent consécutivement les geôles de la république française du XXIe siècle.
Depuis 2000, moult états de lieux, tous plus accablants les uns que les autres, ont été dressés sur la question carcérale. Des rapports parlementaires, où plus de 100 associations ont été auditionnées, qu’en est-il sorti de concret ?
D’états généraux en états généraux, les constats sont pour l’essentiel les mêmes et sont largement partagés, y compris par le personnel de surveillance. Tout est comme si, il suffisait de dire pour faire et que comme par magie les transformations sociales s’opèrent. Or, passé l’agitation médiatique le soufflé retombe. Militants, professionnels, chercheurs, experts, journalistes se débattent vaguement dans leur marasme institutionnel pour combattre l’inertie ambiante et faire émerger les archaïsmes de la chose carcérale et judiciaire, en vain.
L’alerte lancinante, bien que toujours nécessaire, est banalisée. Au même titre que la souffrance des personnes détenues et de leurs proches, on assiste à une accoutumance.

Vanité carcérale et hypocrisie politique

Nous ne pouvons nous défaire du réflexe carcéral, tout est comme si nous étions aliénés à ce modèle et la magistrature ne peut se sortir de cette équation délinquance = prison. Cela fonctionne quasiment comme un dogme. On tourne autour du totem carcéral et l’on renvoie des boucs émissaires dans une violence mimétique à des statuts de non-personne. Car, qu’est-ce que l’enfermement si ce n’est la négation d’une personne ? Qu’est-ce que cela signifie d’enfermer deux, voire trois personnes dans 9 mètres carrés ? Dans une cellule prison, ce « loft de 9 mètres carrés », la chambre comprend le salon et la cuisine, les W.C sont dans la chambre et donc dans la cuisine, c’est du tout en un, partagé à trois. Aucun Président ne se soucie du « bruit et des odeurs » lorsqu’il s’agit de l’insalubrité de l’univers carcéral. Aucun ministre ne se préoccupe de nettoyer les murs au karcher. L’incurie des uns et des autres sur la question est patente, en dépit de la dénonciation par certains de leurs ex-amis VIP, de « l’enfer carcéral ». Chacun faisant preuve de plus de zèle dans la spirale sécuritaire, avec au centre la prison, comme réponse à tout. Pourtant, quiconque est un peu expérimenté sur la question, sait que la prison produit de l’insécurité et accroît les vulnérabilités personnelles, sociales et économiques. Si la prison ne change pas, c’est qu’on ne veut pas qu’elle change, il n’y a pas de volonté politique aujourd’hui en ce sens. Il n’y a d’ailleurs pour ainsi dire pas de politique pénale. La place est laissée à des bonimenteurs qui ne croient pas aux discours démagogiques qu’ils prononcent et pour cause. Ce n’est pas plus de sévérité qu’il faut aujourd’hui en matière de sanction, lorsque la sanction est légitime, mais plus de sens. En effet, ce dont souffre les politiques pénales et ceux qui les subissent, c’est d’un déficit de sens accordée à la peine. Et dans de très nombreux cas, l’incarcération n’a pas de sens, elle rime avec dégradation, violence et non avec réparation. En outre, elle est inefficace. Les comparutions immédiates, synonymes de justice expéditive, qui sont le plus souvent dignes d’une parodie, sont venues suralimenter le flux des entrées en prison.

Le numerus clausus : «Trop c’est trop ! »

Une campagne contre la surpopulation carcérale, intitulée « Trop, c’est trop » est mise en oeuvre depuis début 2006 jusqu’aux présidentielles de 2007. Organisée autour d’un collectif d’associations, initiée et coordonnée par Bernard Bolze (fondateur de l’Observatoire international des prisons), elle se veut pragmatique. Elle pointe un fait précis et demande une réponse structurelle à un problème structurel : l’application du numerus clausus. Dans une place, une personne. Elle fait notamment référence au code de procédure pénale et aux règles pénitentiaires européennes. D’après le rapport de la Cour des comptes précité, chaque personne détenue dispose en moyenne de 4,8m2 et dans 20% des cas cette surface est inférieure ou égale à 3m2. En janvier 2006, 82% des maisons d’arrêt sont surpeuplées et accueillent 91% de la population détenue. A l’inverse, 77% des centres de semi-liberté autonomes sont sous occupés.
L’observatoire international des prisons (OIP) n’a de cesse d’alerter sur l’état déplorable des conditions de détention en France. Dans son rapport 2003, L’OIP rappelle les propos tenus par Gilbert Bonnemaison, auteur du rapport de 1983 « Face à la délinquance », à la commission parlementaire de 2000 : « je vous dirai en préambule ma conviction, forte hier, plus forte aujourd’hui, que vider les prisons de leur trop plein et créer les moyens d’interdire la reproduction de celui-ci par le numerus clausus est le seul moyen de résoudre le problème des prisons ». « Seul dispositif susceptible de concrétiser l’intolérance absolue au surencombrement des prisons, le numerus clausus n’est pourtant pas à l’ordre du jour » note l’Observatoire, qui organisait fin 2006 des états généraux de la condition pénitentiaire.

Mettre des limites, donner du sens

Outre le problème endémique de la surpopulation carcérale, différentes questions seraient à aborder sans délais. On pourrait en égrainer une liste à la Prévert. Pour n’en citer que quelques-unes : l’isolement, le mitard, l’éloignement de la détention par rapport aux familles, les transferts intempestifs, sont des pratiques dont on pourrait se passer. Aujourd’hui, la culture, la musique, l’ordinateur, la télé, l’élu (trop rarement) entrent en détention. La sexualité est encore taboue, on en parle, on en parle… mais ça reste sale, honteux, punissable et de déni en déni, la prévention du VIH est un vain mot. Les unités de visites familiale et le droit à l’intimité en prison sont emblématiques de ce qui doit impérativement se mettre en place et qui reste constamment en souffrance. De même, est-il digne de laisser mourir en détention une personne en stade final d’une maladie incurable, comme c’est le cas une fois sur deux, en dépit de la loi Kouchner de 2002 ?
Les propositions pas plus que les constats ne sont à établir aujourd’hui.
Appliquer tout simplement les recommandations des nouvelles règles pénitentiaires européennes et se mettre au diapason des recommandations du Comité européen de la prévention de la torture serait une avancée considérable.
Pour limiter les violences et les violations du droit en détention, une instance de contrôle indépendante est nécessaire. On ne peut-être juge et partie. Réclamée par de nombreux parlementaires, associations, syndicats et Alvaro Gil-Robles lui-même, cette instance n’a toujours pas vu le jour. En son absence, les choses resteront en l’état.
Encourager les aménagements de peines, la semi-liberté, la liberté conditionnelle, et les sanctions autres que la prison, favoriserait la réinsertion et limiterait la récidive tout en réglant en partie la question de la surpopulation carcérale.
Nous avons le devoir de sortir de l’impasse carcérale et d’appeler la peine de prison par son nom : un châtiment corporel. Plutôt que d’en faire une surconsommation aiguë, en faire un usage exceptionnel, ce qui ne lui donnerait que plus de sens et de crédibilité
Michaël Faure*

* Sociologue, membre du comité de pilotage de la campagne « Trop c’est trop ! », directeur de Sémaphore (Centre de recherches, formations et interventions en sciences sociales).



Réaction(s) à cet article
1 Après la visite des élus au centre pénitentiaire de Varennes le Grand par Daniel Deriot
le lundi 05 février 2007 à 12:12
La lecture de l’article relatant la visite des élus découvrant le Centre Pénitentiaire de VARENNES LE GRAND ( Journal de Saône et Loire du Vendredi 6 octobre 2OO6) peut laisser supposer que l’univers carcéral est un lieu propice à la détente. Il nous semble nécessaire de reprendre point par point les allégations contenues dans cet article qui... [ lire la suite ]