L'autre campagne L'Autre campagne Michel Herreria
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Compte-rendu du débat " dé-posséder : limites et alternatives à la propriété privée "
Journée de l'Autre campagne du 10 février 2007 au ministère de la crise du logement à Paris

La question de la propriété privée était abordée sous trois angles : propriété du logement et foncier, propriété intellectuelle, propriété des entreprises et des médias.

Ce texte ne vise pas à offrir un compte-rendu exhaustif des débats, la plupart des intervenants ayant contribué (ou contribueront prochainement) sous forme écrite sur le site. Il s'agit plutôt de mettre en valeur les idées que la confrontation de ces différentes approches de la propriété privée a permis de faire émerger à l'occasion de cette rencontre. Ce texte est donc par nature incomplet et subjectif. Je vous engage à y réagir et à poursuivre ainsi le débat sur cette question.

I - Redéfinir les limites du droit de propriété.

La propriété privée résulte toujours d'un contrat social qui définit historiquement le type d'usage qu'un individu est autorisé à faire de son bien[1]. Les limites des droits associés à la propriété privée ne sont donc pas gravées dans le marbre, mais évoluent au gré des changements légaux et règlementaires et des rapports de forces politiques qui en sont le moteur. Il y a donc toute légitimité à en débattre.

Cette précision est importante, car la critique de la propriété est souvent renvoyée aux rangs des utopies collectivistes du communisme d'Etat (l'annonce de ce débat a suscité de nombreux commentaires très violents sur ce mode). Même si il y a lieu de revendiquer l'existence de biens communs non appropriables telles que les ressources naturelles vitales, il ne s'agit pas de remettre en cause toute idée de propriété privée ; cette notion demeure associée à l'idée d'autonomie et de liberté, ce qui justifie son inscription dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Comme le note Philippe Aigrain en introduction de son intervention, la protection de la vie privée est ainsi associée à l'idée d'une propriété de son espace personnel, et dans ce cas, la lutte contre les formes d'intrusion policière ou marchande peut s'apparenter à une exigence de renforcement de certains droits de propriété.

Ce qui est contesté, par un certain nombre d'intervenants, est l'extension sans fin des droits associés à la propriété privée qui conduit à menacer d'autres droits essentiels, collectifs et individuels. C'est à cette logique " propriétariste " qu'il importe de s'opposer en redéfinissant dans différents domaines les limites des usages autorisés des biens privés, et en modifiant la hiérarchie des droits.

Dans le domaine du logement, plusieurs revendications formulées par le DAL peuvent être traduites sous la forme d'une limitation du droit de propriété :
- Ne plus autoriser l'expulsion de locataires sous le prétexte d'une vente du logement (situations qui représentent actuellement la majorité des expulsions). Ces décisions sont généralement motivées par une différence d'environ 20% du prix de vente entre un logement libre et loué. Une remise en cause du droit d'expulsion dans ce cas particulier, sans remettre en cause la capacité d'un propriétaire à vendre son bien, permettrait de garantir un droit qui semble légitime : celui pour le locataire de rester dans l'appartement qu'il occupe moyennant loyer depuis plusieurs années. - Appliquer la loi de réquisition, accompagnée d'une compensation financière, pour les logements vacants depuis plusieurs années (on en compte près de 2 millions). Là encore, il s'agit de contester la possibilité aujourd'hui offerte à un propriétaire de faire de son bien un simple objet de spéculation. Cet usage spéculatif d'un bien immobilier, dans un contexte de pénurie de logements, doit pouvoir être contesté. Notons que cette loi de réquisition a été appliquée après guerre sous une forme bien plus radicale puisque des logements pouvaient être partiellement réquisitionnés lorsqu'ils étaient " insuffisamment occupés ". Compte-tenu de la situation créée par les nombreuses destructions occasionnées par les bombardements, cette loi de réquisition n'avait fait, à l'époque, l'objet de peu de contestation.

Dans le domaine la propriété intellectuelle, on peut là aussi identifier des pistes qui conduiraient à réduire les droits associés à la propriété des biens informationnels. D'une part, il est possible de rendre librement utilisable une découverte protégée par un brevet non exploité contrairement à ce que prévoit le régime actuel (la plupart des brevets entrent dans cette catégorie et constituent donc avant tout des obstacles à la recherche ou à des développements industriels). La durée d'exploitation des brevets, qui tend à s'allonger régulièrement, pourrait elle-même être réduite.
Mais dans ce domaine, la question la plus sensible semble être la forme de rétribution associée au brevet ou au droit d'auteur. Celle-ci devrait être définie de telle sorte qu'elle encourage la diversité de la création, et favorise le développement d'une recherche bénéficiant au plus grand nombre. Or les formes de rétribution actuelles, et les modèles économiques qui l'accompagnent, conduisent à des effets contraires à l'intérêt commun.
Dans le domaine du médicament, Khalil Elouardighi (Act up) montre que le système des brevets conduit à une concentration des moyens de recherche sur des médicaments " rentables " (c'est-à-dire essentiellement pour des maladies chroniques de pays riches), et se révèle incapable de mobiliser la recherche de nouvelles molécules offrant une vraie plus-value thérapeutique. D'autres formes de rétribution calculée sur la base de ce seul critère, associées au découplage des structures de financement de la recherche et de l'exploitation des découvertes, pourraient être mises en œuvre (voir le texte de Gaëlle Krikorian exposé par Khalil).
Dans le domaine du droit d'auteur, l'émergence des nouveaux moyens de communications, de production et de duplications des œuvres, obligent à une réinvention des modèles de rémunération des créateurs sauf à renoncer aux possibilités d'échanges offertes par les nouvelles technologies. (voir le blog de Philippe Aigrain).

Dans le domaine de la propriété des entreprises, Frédéric Lordon montre que l'exigence de taux de rentabilité démesurés, associée à la fluidité des capitaux induits par la déréglementation financière, est contradictoire avec l'intérêt industriel des entreprises et celui des salariés. Il propose de plafonner par l'impôt les revenus actionnariaux à un niveau calculé sur la base d'un taux d'intérêt additionné d'une prime de risque. Cette proposition, intitulée SLAM (voir texte à venir et le " portrait d'idée ") peut s'apparenter à une restriction du droit de propriété qui par l'interdiction d'un usage usurier de la propriété actionnariale au nom de l'intérêt collectif et des droits des salariés.

II - Inventer de nouvelles formes de propriété, et de nouveaux modes de gestion des biens communs.

Au-delà de ces revendications sur le droit de la propriété telle qu'elle existe, cette rencontre a permis de montrer la nécessité de réinventer de nouvelles formes de propriété et de réfléchir sur les modes de gestion collectives des biens communs. Il s'agit aussi de définir la façon dont la puissance publique doit intervenir pour garantir la pérennité de ces expériences alternatives.
Jérôme Bourdieu, dans son introduction à la dernière table ronde, note que les mécanismes juridiques et économiques utilisées par la finance peuvent parfois être détournés de leurs objectifs de profit et ne sont pas fatalement destinés à n'être que des instruments de domination et d'exploitation. Cette remarque fait référence à la proposition exposée par le CLIP (Collectif pour la Libération de l'Immobilier Privé - texte à venir sur le site) qui reprend une expérience menée en Allemagne : il s'agit, pour un certain nombre de personnes, de se porter acquéreur de leur logement au travers de plusieurs structures de type SARL. L'ensemble du dispositif est conçu pour rendre impossible toute décision de revente à des fins spéculatives (en diluant le plus possible le contrôle de la décision) tout en laissant autonome chaque lieu de vie pour la gestion collective du bien (qui peut être quelques appartements, ou un immeuble). Cette proposition vise à concilier la volonté de pérenniser les expériences d'autogestion (telles que les squats ou toute autre forme d'appropriation collective de lieux) en se préservant du risque d'expulsion, tout en se protégeant par avance des tentations de la spéculation.
Alice Le Roy et Laurence Baudelet présentent une expérience de " jardins partagés " menées notamment à Paris avec l'association " graines de jardins ". Il s'agit de récupérer des friches inconstructibles et de les laisser en gestion aux habitants du quartier. Le succès de cette expérience d'une propriété collective qui n'est pas sous contrôle direct de l'Etat ni d'un seul individu contredit le " tragedy of commons ", c'est-à-dire l'idée généralement répandue que chaque individu aurait tendance à sacrifier le bien commun. Ces espaces collectifs deviennent des lieux d'expérimentation d'autres relations sociales, et à l'égard de l'environnement et du bien public en général. Alice et Laurence indiquent néanmoins que ce succès implique l'élaboration d'une charte entre la commune et les personnes en charge des jardins. La définition des règles de gestion d'un bien partagé, c'est-à-dire de la démocratie sociale semble être une question centrale. Frédéric Lordon montre clairement que l'intéressement salarial (la participation des salariés aux profits de l'entreprise) ne pouvait en aucun cas constituer une réponse au conflit capital/travail (compte-rendu plus détaillé de son intervention à venir). Mais il souligne également que la disparition de l'actionnaire n'élimine pas les conflits d'intérêts internes à l'entreprise. Le combat pour un affaiblissement du pouvoir des actionnaires ne peut faire l'économie de celui en faveur d'une démocratisation de la gestion des entreprises.
Dans le domaine des médias, Renaud Lambert souligne que, s'il est urgent de réguler certaines questions liées à la propriété des médias (notamment les concentrations capitalistiques), il faut aussi travailler au développement d'un tiers secteur audiovisuel autonome qui doit se voir doter des moyens de son existence. Même dans un secteur public qui serait libéré des contraintes de l'audimat imposées par les revenus publicitaires, la question du contrôle des moyens de production de l'information par les salariés et les citoyens reste entière.

[1]" La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les réglements " (Code civil, 1804, art. 544, p.100)

Rédigé par Georges Debrégeas